« Ô cheval, ô mon fils ! prêcha son pieux ramage.
J’ai appris que tu veux, par-delà les nuages,
Ronde Lune cueillir, ton jardin des Délices ?
Apprends qu’il faut d’abord communier au calice
D’une vie de labeur, foi, rigide vertu :
Terre est une vallée par les larmes battue.
Mais ce n’est pas en vain qu’on y souffre de corps.
Le miel en l’Au-Delà récompense l’effort.
Si la Lune en le Ciel ne se prend que de l’œil,
C’est après le trépas seulement qu’elle accueille. »
Pour Dune ce fut un temps de révélation.
« Ah, l’oiseau ! disait-il. C’est donc qu’une intention
A pour son juste plan mis le monde en cet ordre !
Il faut le mériter ? Est péché de le tordre ?
— Tu es si clairvoyant ! flatta le charognard.
Amen, je te le dis : obéir est un art !
Laisse-moi diriger ton âme, petit Dune,
Et dans l’éternité, voleras vers la Lune. »
Dune en remerciement convia le charognard
À venir chaque jour claper dans sa mangeoire.
« Une part est pour moi, confia le volatile,
Mais aux pauvres surtout, tes dons je les distille. »
Dune se nourrissait de ses enseignements
Et au moindre rite se livrait sagement.
Méfiant des bêtes qui, elles, ne croyaient pas,
Des proches et amis – hélas ! – il s’éloigna.
Soudain, un beau matin, crût une odeur immonde
Empestant vers Dune et six mètres à la ronde.
L’oiseau n’y put tenir ; après bénédiction
S’enfuit loin à l’affût de nouvelles missions.
Suffoquant et lâché par son guide du Ciel,
Dune se crut coupable et pleura tant de sel !
Mais alors un putois sortit de sa cachette
Et s’en vint tout de go lui faire la causette.
« Hé là ! Salut, l’ami ! Pardon pour cette caisse !
Il fallait ce moyen pour que l’oiseau te laisse.
Ça va se dissiper, fais-toi un peu patient,
Car je ne veux pour toi que ton bien le plus grand ! »
Mais Dune s’insurgea : « Je serai égaré,
Sans mon ami du Ciel, mon guide vénéré… »
Le putois éclata d’un long rire infernal
Et d’un bond lui donna une tape amicale.
« Laisse aller cet idiot et ses pieuses sornettes !
Écoute-moi plutôt : notre existence est faite
Pour dès maintenant voir un rêve s’accomplir !
Point d’Au-delà ; sur terre on peut tout se cueillir.
— Et pourtant, mon ami, contredit le cheval,
Jamais je ne pourrai galoper les étoiles… »
Le putois devint dur, les yeux pleins de violence.
Dans ses fulminations revint sa pestilence.
« Si la Lune est si loin, malgré tous nos sanglots,
C’est qu’elle fait l’objet du plus grand des complots !
Ah ! Naïf que tu es, tu n’as pas entendu
Parler des rats et de leur pouvoir étendu ?
Eux seuls ont visité le disque immaculé,
Mais conservent pour eux leur science inégalée :
Eux, tyrans du monde, ce leur serait dommage
Qu’avec nous il faille que l’argent se partage ! »
Dune, tout stupéfait, en demeura confus.
Sous son crâne vrombit un immense raffut.
« Putois, comment je peux croire ce que tu dis ?
Démontre ton histoire et lui donne crédit.
— Hélas, Dune, les rats chaque fois s’arrangeaient !
Preuve localisée, ils venaient, la rongeaient ! »
Révolté, le cheval sentait monter l’aigreur
Aussi sûr qu’en son nez grimpait la puanteur.
« Ne peut-on pas, putois, contre eux montrer les dents ?
— Je suis le chef d’un clan ; viens, soyons dissidents !
Parlons aux quatre vents, partout ré-informons !
Et sur la Lune irons, défaits de ces démons !
Or je sais que le chat de ton ranch a aidé
Le grand complot des rats. Peux-tu le liquider ? »
Le cruel s’espérait bientôt débarrassé
De ce pauvre matou qui hier l’avait chassé
Des provisions du ranch où il volait bombance.
Çà ! Ce petit cheval lui ferait sa vengeance !
Mais Dune s’effraya du désir du putois.
Il retourna pour l’heure à son foin et son toit.
[Histoire à suivre - 2/3]
J'aime la façon dans les sujets sont abordés façon La Fontaine, surtout que c'est très bien fait. Il le faudrait peut-être lire le chapitre plusieurs fois pour saisir toute les référence mais comme le précédent chapitre, c'est agréable à lire. Je suis fan de ces rimes !
Ravie de ce retour que tu me fais <3 Ahah oui je me suis lâchée, sur les références aux dérives sectaires / pseudo-scientifiques actuelles + religions
Il y a tant à peindre et une source intarissable de rire sur la société et ses croyances.
Ravie de tes retours !
Ces impressions me vont droit au cœur - grand merci pour ta lecture et pour ces enthousiastes retours. Comme tu le soulignes très bien, j'aime effectivement beaucoup exploiter des formes d'écriture ancienne, voire désuètes - pas du tout un défaut dans ma bouche - mais en y mettant une dose de modernité et de déjanté. Du jeu de registres.
Ravie que tu aies apprécié - et j'espère que la dernière section de ce conte te plaira.
Merci beaucoup pour tes compliments sur ces quelques vers, où je le reconnais, j'invite volontiers un peu de burlesque - mon côté rabelaisien - avec des "caisses" et autres joyeusetés ! Le mélange des genres, le côté drolatique voire baroque, ça me tient à coeur tant en poésie que dans mon travail romanesque - inviter du drôle ou du surprenant dans du "classique" ou dans des ambiances sérieuses voire graves.
Le putois est très rigolo comme personnification (animalisation ?) des complotistes aussi. C'est très imagé, avec cet animal qui diffuse sa puanteur partout, là aussi, j'adore le message derrière, ça passe tout seul !
Plus ça va, plus je pense que Dune n'ira jamais sur la lune parce qu'en réalité, rats, chats ou je ne sais quoi, personne ne semble avoir la solution, la vraie x)
Je lis la fin de suite !
Hahaha, je me suis particulièrement amusée, j'avoue, à écrire les passages du prêtre/charognard et du putois/complotisme, avec leurs rhétoriques respectives.
Très contentes que ces petites animalisations t'aient branchée. Merci :3
En tout cas, c'est très réussi et tes choix d'animalisation étaient très intéressants ^^
J'apprécie toujours autant l'histoire de Dune qui veut atteindre la lune, et qui a la naïveté d'écouter de si mauvais conseillers. Je comprends en même temps sa naïveté (il ne serait pas naïf, il n'y aurait pas cette histoire, mais une autre sans doute), qui permet de convoquer tout un bestiaire de beaux parleurs. Je pense qu'il va vivre encore pas mal de déconvenues, mais il va apprendre à être moins naïf, à peut-être sacrifier un peu cette part d'innocence en lui, en espérant que cela ne lui coûte pas son rêve absolu qui est de rejoindre la lune :)
Ahah, oui c'est sûr que ce pauvre Dune est d'une naïveté confondante x) Et en même temps, d'une curiosité certaine sur la Lune, l'au-delà etc - mais une curiosité sans les warnings nécessaires... la porte ouverte pour les prêcheurs, les fondamentalistes etc.
Thanks again pour ton retour <3
Je lui souhaite d'atteindre la lune, et aux autres de retrouver une once d'empathie...
Petit Dune attire des êtres mal intentionnés. On est soulagés qu'il échappe aux corbeau et à sa méthode personnelle pour atteindre la Lune, même si c'est pour se retrouver entre les pattes d'un infernal putois ! On s'amuse et on apprécie tout le bestiaire convoqué avec son cortège de mythes et de légendes. Pauvre Dune, comment va-t-il s'en sortir ?
Un plaisir en tout cas !