Une chose étrange et innomée nourrit la fraîcheur de l’air. La brise se gonfle alors, et ses murmures agités ravivent le souvenir glacé du Solstice Blanc. La chose imprègne la pluie, dont les cordes tendues claquent sans répit. Elle infiltre les sols flegmes et pâteux, où la terre régurgite la matière en bouillon spongieux. Elle habite aussi les flammes qui, sous son influence, perdent leur âme sauvage. Or et sang s’étirent jusqu’à se ternir en un pâle éclat sans chaleur. Toutefois, les portes de mon kosmos restent closes à cette chose étrange et innomée. Les poisons, propres au socle élémentaire du réel, ne peuvent porter atteinte à l’éther de mes Nocturnes contrées.
Une chose étrange et innomée. Je ne saurais la décrire autrement. Parfois, il me semble qu’il s’agit d’une simple couleur, de ce gris céleste omniprésent qui arrache toute vie à la nature. À d’autres moments, elle s’apparente à l’eau, l’humidité glacée chahutée par les vents, qui à la manière du gris terne, s’infiltre et imprègne toute chose. Ou encore. Ou encore au cœur d’un silence, elle se maquille en une profonde morosité, dans laquelle s’embourbe l’esprit sans vaillance.
Cette chose étrange et innomée est ainsi, pour moi, une sorte d’ensemble complexe, perceptible à plus d’un sens.
Omniprésente en toute heure et tout lieu de ces ternes contrées, elle affecte chacune et chacun. Nul ne lui échappe. Je le vois sur les visages ridés par une vie de camp pénible ; les dos se courbent plus qu’ils ne se redressent et les cernes creusent les yeux en puits d’âme. Elle fait peu de cas que nous soyons faibles ou forts, modestes ou fortunés, patriciens ou plébéiens. En un sens, elle applique une égalité parfaite, ignorant toute distinction. Cependant, nous demeurons fort loin de l’équité, car nous supportons à un degré propre à chacun son morose poison.
À la relecture de ces quelques lignes, il me faut bien avouer que mes propos se révèlent cryptiques. Néanmoins, comme je te l’affirme plus haut, je suis incapable de décrire avec plus de justesse cette chose mystérieuse et innomée qui rôde autour des cœurs.
Je la perçois depuis que mes pieds ont foulé la terre d’Astrurie.
La Nuit constitue un puissant rempart contre ce mal. Et j’en suis fort heureux, car, parmi la légion, l’épidémie fait rage. L’humeur des soldats oscille en tout sens. Parfois, quelques éclats résonnent et de fait, la tension retombe ; mais le répit est toujours de courte durée. Ils s’impatientent ou s’apitoient sur l’inertie de leur sort. À quand le butin clament-ils ? Une armée n’est pas faite pour s’embourber aussi longtemps. La campagne se compte déjà en semaine.
Je t’imagine moqueur, un petit sourire au coin des lèvres, et m’expliquer que je décris, de manière mélancolique, la saison Rouge. Si seulement, il s’agissait de cela… Un simple effet des saisons. Ah… Je t’envie Faustus. Je te jalouse même, d’écouler tes jours sous le soleil bienheureux d’Arpa, loin de la guerre.
Peut-être est-ce un sort jeté par nos ennemis ? Non. Bien sûr que non. Nul mortel ne commande les éléments ou les couleurs. En revanche, pour ce qui est de l’affect, l’imperium et la sophia l’ont conquis depuis bien longtemps.
Enfin, trêve de dissertation sur mes préoccupations spirituelles. Autrement, mes lettres risquent de ne jamais être lues, faute d’accorder suffisamment de place aux faits matériels qui te sont si chers.
Pour commencer, sache que notre armée n’a encore rien entrepris depuis notre malheureux débarquement sur la côte astrurienne. Le consul Titus-Livius ordonne bien quelques manœuvres sous nos remparts, mais rien de plus. Il espère ainsi maintenir la fraîcheur physique et morale de nos troupes. En revanche, de concret, rien ne s’est produit ; et je peux en dire autant des Astruriens qui, depuis leur démonstration de force, se révèlent aussi insaisissables que le vent.
Néanmoins, la rumeur court depuis la veille que des pourparlers vont se tenir très prochainement. Je n’en sais pas davantage, à mon grand regret. Le consul ne me tient pas au courant de tout. Son attitude n’est pas le fruit de sa propre volonté, bien sûr. Cependant, il a une image à cultiver auprès des patriciens. Livia continue de me transmettre discrètement ses bons mots lorsque l’occasion le permet.
L’existence de paria, au sein de sa propre gent, n’est pas chose aisée.
Ce soir je partage le premier quart avec Quintus. Je vais profiter pleinement de ces instants, avant de m’enfoncer dans la Nuit lorsqu’il sera relevé.
J’attends toujours de tes nouvelles. J’espère que tu te portes en bonne santé. Embrasse nos amis d’Arpa de ma part, veux-tu ?
21 jours après le Beau Solstice.
On attend avec impatience la rencontre avec les Asturiens.
Après la grosse attaque maritime de la lettre précédente, l’ambiance a radicalement changé... Ils ont tous besoin d’une sieste, pas d’une guerre !
Est-ce qu’ils sont affectés par une dépression généralisée ? Une qui aurait une cause mystique ? Ou alors, c’est juste que Scaevius n’a pas encore de notions de psychologie capable d’expliquer ça plus « rationnellement » (entre guillemets parce que c’est un monde magique donc tout est possible) ?
A la lecture j’ai l’impression que la « chose » est cette dépression, mais vu que Scaevius évoque déjà les suppositions que Faustus pourrait faire sur un mal saisonnier (l’équivalent de la petite déprime hivernale de chez nous ?) je me dis que peut-être que mes suppositions seront toute aussi peu pertinentes que celles de son frère, haha
A tout de suite, j’enchaîne avec la lettre suivante :)
C'est quelque chose en tout cas proche de la dépression, qui est née de leur arrivée catastrophique, la pluie permanent, l'absence de soleil, les généraux pas cool, etc... Il n'y a pas les notions de psychologie pour mentionner le mot, mais on en est clairement dans cette thématique ;).
Merci pour ton retour :).
A tout de suite !
Voilà une lettre pour le moins intéressante, qui pose nombre de mystères, sur la situation générale comme celle propre de Scaevius.
J’espère ne pas avancer des bêtises en disant que j’ai l’impression que c’est une des premières fois que Scaevius montre autant d’hésitations et d’incertitudes à travers sa plume. Enfin, si j’ai bien traduit. Pas facile de le retranscrire via l’informatique, pas de main qui rature ou tache le papier, mais je crois que quelques points de suspensions ici ou là pourraient aider pour marquer davantage son doute si c'est bien de cela qu'il s'agit. (Je suis peut-être à côté de la plaque, vu qu'il est encore tôt xD)
L’Asturie et son peuple sont de plus en plus intrigants. Eux qui ont l’air si versé dans les Arts de la Nuit risquent d'apprendre bien des choses à Scaevius à l'avenir. Par quel biais, on verra bien ^^
Quand il était prisonnier de sa caverne dans le livre I, l'inquiétude était là, mais je dirais que c'est la première qu'il exprime sa détresse de cette manière, plus frontale peut-être. L'idée des points de suspension est très cool. Je me la note pour les futures corrections. Ca peut aider effectivement :). Et donc non tu n'es pas à côté de la plaque du tout ! :D
Est-ce vraiment un risque d'apprendre des choses ? :D
Merci beaucoup pour ton retour :).
A bientôt !
Cette lettre est très intéressante et instructive, elle pose bien le décor de ce nouveau paysage et on commence à découvrir les enjeux de ce second livre.
Cette « chose » qui occupe Scaevius durant la première partie de la lettre est très intriguante, même sans poser de nom dessus, on comprend ce qu’il veut dire… Je ne m’avancerai pas à de faire une quelconque supposition pour l’instant car en vérité je ne sais absolument aucune idée de ce que ça peut être…
En ce qui concerne la partie plus concrète, ces Astruriens m’interrogent beaucoup… Je me demande bien qui ils sont et ce qui conduit Scaevius sur leurs terres. C’est d’autant plus mystérieux qu’ils semblent très puissants comme le prouve leur démonstration de pouvoir. Enfin, j’ai trouvé très intéressant d’en apprendre plus sur la position de Scaevius et le fait qu’il soit considéré comme un paria… Encore une fois, cela m’intrigue et j’ai hâte d’en savoir plus sur le pourquoi du comment !
Pour conclure, cette lettre pose le décor et soulève un sacré paquet de mystères ^^
Quelques petites notes :
« Toutefois, les portes de mon kosmos restent closes à cette chose étrange et innomée. »
Je ne suis pas fan de la répétition avec les premières phrases de ce paragraphe et du suivant ! Je trouve que ce serait plus joli avec seulement les deux autres, mais c’est très subjectif :)
« Ou encore. »
Je me suis demandée si cette phrase était volontaire ou s’il s’agissait d’une sorte de faute de frappe reprenant le début de la phrase suivante !
« Néanmoins, comme je te l’affirme plus haut, je suis incapable de décrire avec plus de justesse cette chose mystérieuse et innomée qui rôde autour des cœurs. »
Je refais la remarque sur la redite de « chose mystérieuse et innomée », à ce stade de la lettre, je pense que « cette chose » suffit amplement et ça permet de ne pas alourdir inutilement la phrase !
À bientôt !
Merci pour ton retour sur cette lettre légèrement expérimentale pour la première partie en tout cas :). Je suis rassuré que la lecture se soit bien passée ah ah ^^.
Effectivement elles posent clairement tout à un tas de mystères, et l'idée c'est qu'elle constitue le point de départ ces mystères qui se révèleront tout doucement au fur et à mesure : les Astrusques, la position délicate de Scaevius au sein de sa propre famille, et un petit quelque chose aussi qui est encore très discret.
C'est noté pour la répétition. Je vais voir si d'autres personnes te rejoignent. Je voulais testé quelque chose, mais c'est peut-être un peu maladroit ^^'.
Le "ou encore" est volontaire. Il faudrait peut-être que je mette des points de suspension, pour montrer qu'il cherche ses mots.
Merci beaucoup encore pour ton retour ! :D