J’échoue à contenir le flot de mes émotions, si bien que mon langage Nocturne s’en retrouve tout embaumé. À trois reprises, j’ai tenté de réfréner ce déluge, mais chaque fois, je me suis un peu plus enfoncé dans le maelstrom. Je me résigne donc à te transmettre un souvenir plus qu’un récit ; le souvenir d’un cruel monologue.
L’homme est apparu au centre de ma prison. Il n’a pas franchi la porte gardée. Il a émergé d’un espace vide pour le remplir de sa nébuleuse présence. Au premier abord, je croyais que mes yeux m’abusaient. Il n’en était rien. L’homme flottait dans une sombre substance étoilée qui épousait le contour de sa silhouette décharnée. Après une courte inspection des lieux, il m’a fixé de ces orbites creuses.
« Les miens m’appellent l’Arpenteur. Bien que tu ne sois pas des nôtres, tu peux me nommer ainsi. Si la vie t’est accordée, sème ce nom à travers le monde. Des légendes fleuriront peut-être des suites de ces germes. Le nom du plus grand des Cinq Sages marquera alors les esprits de votre Péninsule. Il touchera à l’universel par delà l’océan.
Je ne suis pas aveugle au point de nier ma fierté ou mon arrogance ; et bien que la chair de mes yeux m’ait été arrachée, je perçois plus que tu en es toi-même capable.
J’ai erré bien des temps, en maint kosmos. Dépossédé du pouvoir d’influence, j’ai été seulement un témoin des sens et du rêve des kosmocrators. Ma mémoire abrite le souvenir de chaque étoile d’Astrurie. Mon talent m’a mené jusqu’aux astres d’Ys, lointains et pâles, suspendus au-dessus de la cime des Dorsales.
Néanmoins, la montagne s’est érigée comme une frontière, un rideau de roc et de pierre, tant et si bien que les kosmos à l’est de ces sommets demeurent hors de ma porté.
À la découverte du tien, je me réjouissais de pénétrer un espace d’un tout autre genre, imprégné des us de l’est. Pourtant, il n’en a rien été. Ton kosmos m’était familier. Très familier. J’y ai retrouvé ma propre essence en certains endroits, quelques filaments d’inspiration disséminés ici et là. Puis, elle m’est apparue, la Voilée. J’ai cru redécouvrir cette chère Pathie. Je me trompais. Je rencontrais seulement son héritage, une petite ombre dessinée par un soleil haut dans le ciel.
Savais-tu que nous l’avions accueillie en ces terres et faite d’elle l’une des nôtres, une Astrusque par le cœur ?
J’ai été son Maître pendant un temps, très court. Après cela, elle m’a accepté comme élève.
De ma longue existence, jamais je n’ai rencontré créature humaine si singulière. Son esprit voguait en d’autres mers que les nôtres, nous le vulgaire commun. Elle brillait de tous les feux possibles. L’ombre même luisait en sa présence. Chacun l’aimait à sa manière. Et elle nous le rendait, selon sa volonté. Certains pensaient qu’elle pratiquait une science plus ancienne que la Nuit, un art d’une filiation plus étroite encore avec la Tradition Mère. J’en ai l’intime conviction, toujours.
Ses talents attiraient la convoitise, un fardeau qu’elle n’a eu de cesse de traîner dans son sillage. Afin de l’amoindrir, elle s’autorisait à partager sa science au commun, au plus grand nombre, sans distinction. Ainsi, elle parvenait à tempérer les ardeurs les plus vivaces.
Et puis, un matin venu, elle s’en est allée. J’ai arpenté son kosmos jusqu’à Ys, aux portes des Dorsales. Après cela, elle a poursuivi toujours plus l’est, vers la cité d’Arpa, le terme des philosophes.
Selon les prophéties de votre Voyageur, il est écrit qu’au terme de notre existence, nous, les kosmocrators, répondons à l’appel de l’est.
Tu y répondras toi-même, en digne héritier de cette mère du cœur. Sous peu. Tu le pressens en bien des façons, mais tu n’oses te l’avouer même aux lueurs du soleil. Depuis quand le sommeil t’a-t-il délaissé ? Ton kosmos pèse de cette lassitude propre à l’éveil éternel. Le tissu de ton espace paraît prêt à s’effondrer sur lui-même. Ses cordes, toutes fébriles, vibrent étrangement le long de leurs boucles.
Chaque jour, ton cœur faillit à quelques battements, cédant à des éclairs aigus, une douleur fugace, mais éblouissante. Puis dans la reprise du rythme, l’organe fatigué s’alourdit, comme soudain gonflé, imbibé d’un mauvais sang. Ton corps se désagrège peu à peu.
La vie fuit une enveloppe qu’elle sait condamnée à bien peu d’années.
Ton terme approche.
Abandonne donc Vale et ses folles ambitions. Retourne derrière les murs d’Arpa. Embaume tes derniers instants des odeurs, des goûts et des couleurs de ton foyer. Embrasse une dernière fois le souvenir d’une nuit allongé à ses côtés, l’Œil Stellaire embrasant la voûte étoilée.
Adieu. »
Il s’en est allé, aussi soudainement qu’il était apparu. Sa silhouette bordée d’étoiles s’est volatilisée, aspirée par une singularité suspendue dans l’espace vide.
Terrifié…
Je suis terrifié qu’un être puisse détenir et divulguer une vérité de cette ampleur. Je n’ai pas à douter un seul instant de ces dires. Il vise juste concernant ma personne. Et ces révélations sur Pathie recoupent des fragments que je connaissais déjà.
Jamais, je n’ai entendu vérité si pure.
Vala ?
J’ai si peur de mourir.
Alors déjà qui est cet Arpenteur ? Il a l’air d’appartenir aux Astrusques (géographiquement parlant), mais est-ce qu’il se place parmi eux alors qu’il est né dans les étoiles, ou est-ce qu’il a été fait de chair un jour ? On dirait en tout cas que c’est un point de différentiation avec Scavius (« Bien que tu ne sois pas des nôtres, tu peux me nommer ainsi. ») sauf qu’à la fin il sous-entend qu’ils font quand même partie d’un groupe commun, parce que si j’ai bien compris Scaevius serait un des fameux kosmocrators ? (Je me base sur ça : « il est écrit qu’au terme de notre existence, nous, les kosmocrators, répondons à l’appel de l’est. Tu y répondras toi-même »).
Du coup c’est quoi ce « nous » pour l’Arpenteur ? On en revient à la question « qui est-il » finalement, on sait qu’il se désigne comme un des « Cinq » déjà mentionnés précédemment (et « le plus grand » d’entre eux, il a l’air un brin imbus de sa personne mais il l’admet donc ça passe xD) et comme un kosmocrator. Et surtout, il connaissait Pathie !
On dirait que Pathie est décidément plus qu’une simple personne, jusqu’ici elle paraissait « faite de chair » si je puis dire, très humaine par la vision qu’en avait Scaevius et Faustus, mais rien n’est moins certain désormais. C’est surtout ça qui me le fait dire :« J’ai été son Maître pendant un temps, très court. Après cela, elle m’a accepté comme élève. »
Si elle est devenue le maître de l’autoproclamé plus grand des Cinq, est-ce qu’elle pourrait avoir été une des Sages ? Est-ce qu’il aurait été les Six un jour ? (est-ce que je réfléchis trop ? ça j’ai la réponse : oui xD)
Si Pathie était une kosmocrator, et que ça a l’air d’impliquer une mort lente de l’enveloppe corporelle :Est-ce qu’elle s’est donnée la mort pour se débarasser de ces douleurs ? Est-ce qu’elle est la Voilée ? Ou alors la Voilée appartenait à son kosmos ? Et si c’est cette deuxième option alors est-ce que comme l’Arpenteur, elle pourrait apparaître/discuter de façon plus claire un jour ?
Breeeeef ça fait beaucoup de questions et encore, je t’ai organisé mes notes parce que c’était un carnage sinon x)
Et je n’ai même pas encore vraiment mentionné ce pauvre Scaevius, quelle angoisse ce qui lui arrive, on sent bien sa détresse... C’est optimiste si j’espère qu’il va trouver une issue de secours ?
J’espère que tu as survécu à toutes mes théories x)
Bon courage pour la suite de l’écriture :D
C'est vraiment captivant de voir ta façon d'interpréter dans cette lettre. C'est rigolo, parce que ce que tu pointes, le "Du coup c’est quoi ce « nous » pour l’Arpenteur ", pour moi, c'est évident (normal vu que je décide x)), mais à aucun moment, je me suis dit qu'il y avait potentiellement plusieurs possibilités comme tu le détailles de façon très juste. J'ai l'impression que ça vient du fait que les Astrusques sont encore trop peu connus, chose qui va évoluer assez rapidement par la suite. Mais on a le point de vue de Scaevius, et pour le moment, finalement il n'en sait pas grand chose. Pour-parlers, bataille, prison. Pas vraiment le temps de faire connaissance.
"Ou alors la Voilée appartenait à son kosmos ?". Pour cette question, c'est peut-être difficile à trouver, mais la réponse est cachée dans une lettre précédente ^^. Mais on y répondra de façon plus frontale à un moment, vers la fin du livre II si je ne change pas d'avis, car la réponse constitue un enjeu important pour l'acte final lors du troisième livre.
Tout dépend de ce que l'on appelle issue de secours et de ce qu'on définie comme une fin heureuse. Ca paraît mal parti ^^'. Dans ce que j'ai en tête, il y a quelque chose d'heureux pour lui, mais c'est clairement une façon de voir les choses qui m'est personnel :).
J'ai survécu et je suis prêt à en reprendre ! Et c'était très intéressant comme toujours ! Encore plus ici, car j'ai l'impression d'avoir été beaucoup moins radin en informations que d'habitude, du coup tu avais plus de grains à moudre !
Merci beaucoup pour tes retours comme toujours ! Moi qui ait un petit coup de mou depuis le début de semaine, ça fait beaucoup de bien :).
A bientôt ! Si la déesse de l'écriture le veut, la suite ce WE ! :)
Moi qui me disait que j'allais lire une belle lettre de Scaevius avant de me coucher... Bonjour la déprime hein T_T C'est joyeux comme tout T_T
Blague à part, j'ai été particulièrement touchée par cette lettre, et j'ai ressenti toute l'ampleur du désarroi de Scaevius. Sa peur de mourir est parfaitement compréhensible. C'est très frustrant parce que je cherche un mot pour exprimer ce que je ressens, mais je ne le retrouve pas ^^' Mais j'ai été très émue en tout cas :) Je me demande si le troisième livre ne portera pas sur son retour à Arpa du coup ?
Quant à Pathie, on apprend un certain nombre de choses sur elle, ainsi que sur sa mort, et c'était très intéressant ^^ J'ai beaucoup aimé en découvrir plus sur cette figure si importante, qu'on ne découvre jamais ailleurs qu'à travers la parole des autres personnages !
"il m’a fixé de ces orbites creuses."
*ses ?
À bientôt !
Ah ah, c'est l'ascenseur émotionnel causé par mon tweet peut-être où je n'ai pas précisé, malgré que c'était une lettre que j'attendais beaucoup, c'était aussi une lettre assez sinistre ! ^^'
Mais en tout cas, je suis hyper content que cette lettre t'ait touchée ! Que les émotions de Scaevius soient bien passées.
C'est une lettre que est importante aussi parce qu'on y apprend beaucoup de choses au sujet de Pathie, qui prend encore une autre dimension. Du coup je suis aussi très content que cette partie soit bien reçue :).
Merci pour la coquille ! Elle est trop vilaine !
Merci beaucoup pour ton retour :)