II - La Couleuvre

Par Jamreo

 III . II

 

Le sol de la chambre était recouvert d'un très épais tapis. De la porte jusqu'à la grande fenêtre, deux serpents argentés sillonnaient son fond bleu et leur langue bifide léchait la base du mur. Siva attendait, les bras croisés. Et cela lui paraissait interminable.

Des doigts de lumière dorée s’immisçaient par la fenêtre et caressaient l'air, se posaient sur le tapis et le nuançaient d'ocre, se perdaient dans le noir qui régnait encore sur la massive silhouette des commodes et du lit à baldaquin.

C'était la chambre de Bianca Visconti, inoccupée pour l'heure, jusqu'à ce que Siva termine sa besogne. Il lui fallait tuer les monstres jusqu'au dernier. Aurait-il encore une place sur Terre une fois que tout ceci serait fait ? Il ne savait pas, trop imprégné de cette histoire. C'était une obsession, néfaste, désagréable et aliénante aussi, mais cela lui paraissait tellement familier, c'était pour lui un repère.

Que ferait-il ensuite, sans ce repère ? Il fallait faire attention, Siva en était conscient. Il prenait toujours les choses trop à cœur et elles finissaient par l'engloutir.

Le maître d'armes se ressaisit et fit craquer ses phalanges. L'envie d'en découdre frémissait dans ses doigts. Il traversa la pièce jusqu'au mur opposé où se découpait une petite porte et y donna trois coups.

— Menda ! bougonna-t-il. Dépêche-toi, que fais-tu ? Ils vont bientôt arriver.

Personne ne lui répondit. Il donna des coups plus forts.

— Je te préviens...

— J'ai mis d'autres souliers, ceux-là me faisaient trop mal aux pieds...

C'était dans ces détails futiles que Siva prenait la mesure de leur supercherie. Anis allait-elle se douter de quelque chose ? Allait-elle comprendre que cette fillette n'était pas Bianca ?

Anis, étrangement, n'avait jamais été proche de la véritable Bianca. Ou bien était-ce le duc qui avait volontairement éloigné sa fille de cette femme ? Filippo Maria Visconti avait souvent besoin du conseil d'Anis mais devait tout de même considérer qu'elle donnait à son enfant un mauvais exemple.

La femme ne pouvait donc se douter de la tromperie. Menda n'était pas la jumelle exacte de Bianca, c'était chose impossible ; mais le ciel avait été suffisamment clément et l'illusion ne pouvait que durer.

Menda rejoignit la chambre.

— Voilà, dit-elle, le rose aux joues.

Ses cheveux blonds étaient un peu désordonnés. Siva lui jeta un regard noir et elle les arrangea du plat de la main.

— Va t'asseoir sur le lit.

— Sur le lit ?

— Cela les mettra mal à l'aise.

Il leva la main pour l'effrayer et elle émit un petit couinement avant de se précipiter et d'escalader le lit.

Ils attendirent encore un moment. Siva se demandait si Anis s'amusait à mettre ainsi sa patience à rude épreuve. De plus, si elle était descendue chez Ollin... Ollin n'était pas là, évidemment. Parti à Pavie avec les autres. Il faudrait sans doute échafauder un autre mensonge pour expliquer son absence...

Des pas retentirent bientôt dans le couloir. Le maître d'armes fit un geste impérieux à Menda et celle-ci arbora une moue dédaigneuse répétée et répétée des centaines de fois.

On toqua à la porte. Siva se retira près de la fenêtre, les bras croisés dans le dos. Il tenta pour sa part de prendre la mine attentive mais effacée des inférieurs.

— Entrez, dit Menda.

Anis ouvrit la porte. Elle n'avait pas fait vraiment d'effort pour être plus présentable ; le seul changement était l'absence de poussière sur ses manches et dans ses cheveux en crinière. Elle n'osa pas s'avancer au-delà du seuil. Siva l'observa sans retenue ; elle évitait son regard. Derrière elle se tenait le jeune homme. Le maître d'armes réprima un frémissement qu'il sentait agiter sa lèvre supérieure et qui menaçait de s'étendre au reste de son visage. Le dégoût l'avait pris au ventre en voyant Luca, et il n'était pas certain de ressentir autre chose pour Anis. Elle avait voyagé en compagnie de la bête, l'avait touchée, peut-être même était-elle entrée en contact avec son sang – le souffleur avait arboré une tunique à col large et déchiré, noué à l'aide d'une ficelle. Détail que Siva n'avait pas manqué de noter. La ficelle avait à présent disparu ; Anis lui avait trouvé un habit de rechange à col bien plus étroit mais la façon dont le jeune homme tenait une de ses épaules, légèrement inclinée, laissait supposer qu'il était blessé.

Si c'était le cas, et si Anis avait touché cette blessure...

— Entrez, j'ai dit, entrez, reprenait Menda avec une impatience maîtrisée.

Elle était à moitié allongée sur son lit, accoudée à l'édredon moelleux, minuscule, un simple oisillon dans son nid. Mais ses yeux bleus brillaient d'une froideur intransigeante et Siva remarqua la gêne qui anima Anis et le voyageur.

— Avancez-vous.

Siva fit de son mieux pour ne pas avoir un mouvement de recul. Il répugnait à se trouver si près du monstre, à le voir fouler le sol du château mais c'était là un mal nécessaire. Il faudrait simplement veiller à aérer toutes les pièces du château durant quarante jours successifs après sa mort, car on disait que ces bêtes ignobles dégageaient une puanteur insoutenable lorsqu'elles restaient au même endroit trop longtemps.

Anis obéit à l'ordre de Menda et s'avança de quelques pas. Luca, lui, n'en fit rien. S'il espérait pouvoir suivre ses habitudes bâtardes, certainement héritées de Murano, il se trompait lourdement. Mais Menda ne se formalisa pas de son manque de réaction. Elle oublia de se formaliser.

— Mon fidèle Siva a quelques questions à vous poser, Anis.

— À quel propos, mademoiselle ?

— Il vous le dira lui-même.

La petite fille tendit une main vers le maître d'armes et Anis tourna un visage interloqué vers lui.

— Oui ? demanda-t-elle, glaciale.

— J'ai... j'ai quelques soucis.

Il prenait un malin plaisir à ne plus la regarder en face et retenait volontairement ses mots pour la laisser goûter les menaces implicites de son ton. Aucun besoin de se presser ; il la tenait sous son emprise.

— Tu as passé sous silence bien des choses de ton voyage. En vérité, je mets toute la bonne volonté du monde à te croire et à te faire confiance, mais il subsiste quelques mystères... dérangeants.

— Je t'ai déjà expliqué que nous avons été attaqués, et...

Il la coupa d'un geste.

— Mais ce n'est pas de cela que je veux parler, bien que tu te refuses à nous révéler les détails de ce traquenard... ce qui me paraît curieux.

Il fit un demi-sourire. Anis eut une grimace passagère qui creusa plus encore les pattes d'oie au coin de ses yeux verts.

— Reprenons, dit Siva, semblable au chef de guerre organisant ses attaques. Mademoiselle Bianca et moi nous demandons comment les accompagnateurs de Luca ont pu te fausser compagnie. Comment ils ont pu t'échapper.

— Comment ça, lui échapper ? intervint Luca. Vous parlez comme si Anis devait les faire prisonniers. Et moi avec.

Siva lui accorda un regard aiguisé, mais ne répondit pas tout de suite.

— Il n'est évidemment pas question de cela, dit-il enfin. Veuillez m'excuser si mes propos vous ont dérangé et mené aux mauvaises conclusions. Mais lorsque le duc sera revenu de sa chasse, il me faudra lui faire un résumé des événements, comprenez-vous ; il voudra vous accueillir personnellement et sera très déçu de l'absence de vos deux camarades.

— Ne les appelez pas mes camarades.

— Mais comment sais-tu qu'il y avait deux hommes ? demanda Anis.

Siva reporta son attention sur elle.

— C'est bien ce que Vito Galladun avait laissé entendre au duc. Il lui avait promis que le souffleur serait escorté par deux hommes. Ils devaient l'amener jusqu'à toi.

— Dans ce cas, pourquoi es-tu chagriné par leur absence ? Ils étaient de simples accompagnateurs.

Siva fit jouer les articulations de ses mains dans son dos, comme s'il s'apprêtait au combat. C'était un réflexe irrépressible qui refaisait souvent surface lorsqu'il était mécontent.

— Le duc ne te l'a-t-il pas confié ?

— Quoi donc ?

— Il avait de grands projets pour eux également, c'est un homme généreux.

— De grand projets pour eux... voilà qui est étrange.

La situation échappait au maître d'armes et il n'aimait pas cela. Tout lui filait entre les doigts, il se retrouvait à tendre les mains dans l'espoir futile de retenir quelques rubans, les volutes d'un mensonge qui se détruisait. Les choses auraient dû se dérouler autrement. Il n'était pas né pour être menteur. Il savait jouer la comédie et n'était pas mauvais élève, mais c'était plus fort que lui : sa nature impatiente revenait au galop lorsqu'il n'avait pas ce qu'il désirait ou que les résultats de ses mascarades se faisaient trop attendre.

— Vous ne m'avez pas répondu.

Une veine battait dans son cou et la colère l'envahissait. Le souffleur affichait une moue méprisante et Siva trouva que cela déformait son visage d'une manière tellement détestable que, sous les traits humains, il devina l'espace d'un instant la nature de monstre. Sa main, animée d'une volonté propre, se contracta et s'agrippa au manche d'une petite arme coincée à sa taille.

— Vous deux, précisa-t-il en désignant Luca et Anis. Je vous pose la question une dernière fois. Où sont-ils ?

— Je ne les ai jamais vu, répondit la guide.

— Comment ?

— Je ne les ai jamais vus. Ils n'étaient pas présents lorsque j'ai trouvé Luca. Il m'a raconté que...

Elle s'interrompit. Le souffleur avait eu un sursaut, réprimé trop tard. Siva et Menda l'observaient maintenant tous deux, et ce poids l'acculait dans un piège dont il ne pouvait s'extirper. Anis avait suspendu son récit, incertaine. Cachaient-ils quelque chose ? Siva se demanda si cela avait un rapport avec la blessure du souffleur. Car le doute n'était plus permis : cette inclination de l'épaule...

Le malaise ne dura pas plus d'une seconde. Menda chercha Siva du regard, peut-être pour lui demander conseil, mais il ne répondit pas à ses supplications muettes. Ce n'était pas le moment de se montrer faible.

— Il vous a raconté que... ? dit l'enfant d'une voix fluette.

Elle s'était redressée sur son lit, redevenue parfaite et hautaine.

— Continuez, Anis. Je n'ai pas plus de temps à perdre avec vos hésitations ennuyeuses.

— Veuillez m'excuser. Lorsque j'ai trouvé Luca, il errait seul dans les bois. Ses deux compagnons l'avaient abandonné pour sauver leur peau. Une rumeur étrange circulait au sujet de loups bien que la forêt en question n'en ait plus abrité depuis près d'un siècle. Ces deux hommes ont visiblement pris peur. Ce n'étaient pas des voyageurs très expérimentés, si vous voulez mon avis. Ils ont empoché l'argent que leur avait fourni Vito Galladun et ont préféré abandonner leur mission. N'est pas ce que vous m'avez raconté ?

Elle se tourna vers Luca qui acquiesça. Siva soupira et se perdit un instant dans la contemplation de la fenêtre et des rayons dorés qu'elle distillait, décomposait et rejetait en milliers de gouttelettes de lumière. À les croire, il n'y avait aucune chance de retrouver ces hommes un jour, et donc de mener à bien sa mission. S'il cédait à la violence et à la force, le mensonge que Menda et lui avaient préparé avec soin n'aurait servi à rien. Le duc y avait lui-même tenu : ne pas impliquer Anis plus que nécessaire. Oui, mais voilà, la situation était difficile. Anis serait impliquée, brusquée elle aussi d'une façon ou d'une autre. Peut-être même devrait-il la tuer afin de lui épargner une transformation complète...

Mais pas cette fois-ci. Menda dut comprendre, à son expression ou à un geste qu'il avait fait sans le vouloir, car elle frappa dans ses mains et sauta du lit.

— Bien, dit-elle. Il suffit. Je ne veux plus entendre parler de cette histoire. Siva...

Le maître d'armes s'avança.

— Conduisez nos invités chez eux. Il on sans nul doute besoin de se reposer.

— Bien, mademoiselle.

Elle plongea ses yeux bleus dans les siens en tendant le dos de sa main vers lui, attendant qu'il se penche. Elle ne quitta pas une seconde du regard lorsqu'il effleura sa peau, du bout des lèvres. Il se releva sèchement et elle passa en coup de vent devant lui en chantonnant vaguement. Ses pas ronronnaient à peine sur le tapis et sa cascade de cheveux blonds luisait de reflets changeants, ondulant derrière elle dans sa démarche princière. Lorsqu'elle eut regagné le couloir, Siva se surprit à fixer la porte. Brièvement, il avait cru voir Bianca elle-même.

La main toujours serrée sur son arme, il se retourna vers Anis et Luca.

— Suivez-moi, dit-il sur un ton formel.

Il fit attention de garder quelques pas d'avance dans le couloir. Il n'avait pas peur, pas vraiment – pas tout à fait. Pas encore. Mais ces créatures étaient si fourbes ! On ne pouvait jamais savoir à quel moment elles se réveillaient. Mieux valait rester prudent.

Trois gardes s'étaient joints à eux au fil de leur marche, et Anis les surveillait du coin de l'oeil. Mais les hommes eurent l'intelligence de ne faire aucun geste agressif, et la guide garda son calme.

Plus ils avançaient, plus la bâtisse se faisait austère. C'était la partie la plus ancienne, en aucun cas pas l'endroit où l'on accueillait les invités de marque, mais Anis savait pertinemment quel était son rang et cela ne sembla pas la choquer. Luca, lui ne laissait plus transparaître aucune émotion, mais Siva ne pouvait être certain, car il n'osait se retourner trop souvent.

Ils finirent par s'arrêter devant une porte cloutée.

— Voici, Anis.

Il sourit lorsque la guide le dépassa pour ouvrir la porte sur une chambre chiche, mais correcte. Anis ne se formalisa pas de ne pas retrouver ses logements habituels ; de fait, une telle chose n'existait pratiquement pas. Souvent absente, dépêchée ici et là selon le bon plaisir de Visconti, elle était souvent déplacée et cela ne l'avait apparemment jamais chagrinée. Siva avait même pris la peine d'amener ses effets personnels restés au château durant son périple, de sorte qu'elle n'hésita que quelques secondes avant de franchir le seuil.

Siva fit alors signe à ses hommes ; deux d'entre eux saisirent Luca par les épaules et le dernier referma la porte. Anis donna des coups sur le bois, mais la force de l'autre était trop importante.

— Mais qu'est-ce que vous faites, vous êtes fou ! s'écria le souffleur.

Sans lui accorder la moindre attention, Siva fouilla à sa ceinture et attrapa en extirpa un trousseau de clefs, les laissant nerveusement filer entre ses doigts avant d'en sélectionner une. Voilà, c'était celle-ci. Il ferma à double tour sans se soucier des protestations étouffées qui lui parvenaient depuis l'autre côté.

— À vous, maintenant, dit-il à Luca, faussement poli.

Ses hommes le menèrent un peu plus avant dans le couloir, non loin, jusqu'à une autre porte ; le souffleur subit le même sort que son accompagnatrice et cette fois, Siva s'adossa au panneau, les yeux clos. Il poussa un juron.

— Merci, dit-il aux autres, pour les congédier. Laissez-moi seul.

Il réfléchissait. Puisqu'il ne pouvait mettre la main sur les hommes qui avaient accompagné le souffleur - puisqu'il ne pouvait pas tous les tuer de sa main, une seule solution s'offrait à lui.

Invoquer les Anges. Il faudrait les réveiller de leur très long sommeil et les lancer sur les traces des monstres.

Alors seulement, le travail serait terminé.

0 ~ * ~ 0

Une nuit avait passé depuis le retour d'Anis au château. Iccara, une fille des cuisines, avait entendu le vacarme de son arrivée depuis son travail de maigres épluchures et avait voulu sortir dans les couloirs pour la saluer ; elle s'était toujours très bien entendue avec Anis. Mais elle s'était ravisée au dernier moment, sentant inexplicablement, que quelque chose n'allait pas, et avait continué sa tâche.

Elle ne se doutait pas que le maître Siva viendrait la trouver avant la nuit...

Il ne faisait même pas jour lorsqu'Iccara quitta le lit confortable où elle avait passé la nuit. Dormir dans un lit ne lui arrivait pas souvent. D'habitude, elle dormait avec ses compagnons au rez-de-chaussée où se trouvaient les cuisines, près des remises. Le sol était un peu dur mais il faisait chaud, parce que les cuisines avaient abrité des feux durant toute la journée, même une partie de la nuit ; on travaillait très tard le soir, penché sur les fourneaux crépitants qui envoyaient un déluge de couleurs sombres sur les murs.

Mais les choses n'étaient plus les mêmes à présent. La plupart des meilleurs cuisiniers était partie pour Pavie. Il ne restait plus vraiment à Iccara de camarades de son âge pour discuter ou rire, car beaucoup de servants étaient partis eux aussi. Elle n'avait pas compris pourquoi elle n'avait pas été choisie pour accompagner le duc ; peut-être à cause de son caractère. Elle avait du mal à être obéissante. Plusieurs fois elle s'était glissée hors du château et avait prétendu une course urgente à faire sur ordre des cuisiniers pour s'enfuir vers Milan. Elle ne faisait pourtant rien de mal et n'aspirait qu'à voir la cité, à respirer un air plus frais de temps en temps. Mais ses initiatives déplaisaient au duc. Il l'avait gardée pourtant, parce qu'elle avait une véritable intuition dans l'art de se faufiler partout pour glaner des informations. Elle leur était bien utile pour espionner les invités de marque qui séjournaient parfois au château.

En descendant les marches, elle réfléchissait à ce privilège qui lui avait été accordé par Siva de dormir dans un véritable lit. Le maître d'armes était venu la chercher dans les cuisines pour lui annoncer qu'il aurait besoin d'elle le lendemain, s'assurant que c'était bien elle, la petite fouineuse. Elle avait eu le réflexe de baisser la tête et il avait éclaté de rire.

Siva avait besoin d'elle pour partir avec une poignée de ses hommes à la recherche de la Couleuvre noire.

Elle avait entendu parler de la Couleuvre, bien sûr, mais toujours comme d'une idée perdue, une belle fable. Elle n'avait pas eu de parents pour les lui dire, mais un cuisinier l'avait prise sous son aile depuis son arrivée au château s'était occupé d'elle comme il le pouvait ; c'était de sa bouche qu'elle les connaissait. Pour cette raison, peut-être, elle était très attachée à ces récits : elle avait été, avant tout, attachée à l'homme qui lui avait peint ce joli tableau de mythes, de sang et de courage.

Iccara sortit dans la cour pour trouver trois hommes, des soldats dans leur accoutrement de voyage occupés à seller des chevaux. Comme ils chuchotaient, elle comprit que la discrétion était de mise. Notant la présence de sacs, des besaces contenant de la nourriture, elle se demanda combien de temps le voyage leur prendrait.

Siva était posté en retrait et observait les gestes de ses hommes comme un aigle épie une proie, plane au-dessus d'elle. En l'apercevant, il lui fit signe d'approcher. Ses sourcils rejoints couronnaient son front de sévérité, mais elle ne se laissa pas impressionner. Du haut de ses treize ans, Iccara était une fille courageuse.

— Oui, messire ?

— Tu es prête ?

Elle hocha la tête.

— Tu as bien compris les dangers et la difficulté que représentent le voyage ? Ils ont reçu ordre de ne pas souffrir tes plaintes, ni même tes supplications. Il serait bien plus facile pour eux de t'achever sur le champ plutôt que de ralentir leur course.

— Oui, messire.

Elle n'était pas fragile. Siva s'intéressait à nouveau à ses hommes qui effectuaient les derniers préparatifs. Iccara passa une langue calleuse sur ses lèvres. Devait-elle se joindre à leurs activités ? Tout ceci lui semblait être un rituel sacré, et elle ne savait pas si elle avait le droit d'y prendre part.

— Messire, risqua-t-elle. Croyez-vous vraiment que la Couleuvre existe ? N'est-elle pas une... une légende ?

— Penses-tu que je m'amuserais à courir vainement après une légende ?

Le visage de Siva se durcit de colère. Il n'était pas de bonne humeur et ne rirait pas cette fois. Elle s'excusa à mi-voix.

— Écoute-moi bien. La Couleuvre, d'après les informations que le duc et moi-même avons rassemblées, devrait se trouver dans la campagne environnante. Mais je ne sais pas combien de temps durera le voyage ; cela fait longtemps que plus personne ne s'est approché de l'endroit et il doit bien y avoir une raison. Il se pourrait que vous rencontriez des embûches, que vous vous trompiez de chemin ou vous perdiez. Mais je vous interdis de revenir tant que vous n'aurez pas trouvé. Il me faut la Couleuvre à tout prix ; peu m'importe que vous y restiez des jours. Une fois sur place, je veux que tu explores la Couleuvre de fond en comble. Je veux que tu cherches dans les moindres recoins et que tu assistes mes hommes en tout point.

Il l'avait attrapée au bras et tirée vers lui. Elle pouvait sentir son souffle passer sur ses joues.

— Mais pourquoi ne participez-vous pas au voyage ? dit-elle, hésitante.

— Je n'ai aucune explication à te donner, fillette.

Malgré tout il lui lança un regard contrarié, et fit un hochement de tête nerveux.

— Je me dois de rester au château pour tenir compagnie à Anis et son protégé.

— Mais que dois-je chercher ?

Elle avait de moins en moins envie de s'engager dans ce périple. Des larmes lui montèrent aux yeux, mais elle s'efforça de me pas les laisser couler. Siva la lâcha, distant ; sa colère et son empressement étaient tombés comme un soufflet raté.

— Contente-toi de m'obéir. Si tu me déçois, crois bien que je te punirai. Allez, en selle, vite.

Il glissa une poignée de recommandations au soldat le plus proche et s'éloigna. Un homme s'approcha d'Iccara.

— Je ne suis jamais montée à dos de cheval, débita-t-elle à toute allure, anxieuse.

— Tu vas faire la route avec moi, petite. Tout s'passera bien. Je m'appelle Ward, au fait.

— Iccara.

Il l'aida à se mettre en selle et la regarda agripper des poignées de crinières, qui glissaient entre ses doigts.

— Alors, pas trop peur ?

— Non, répondit-elle fermement.

Il eut un sourire peu convaincu. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Slyth
Posté le 01/10/2014
Eh bien, on dirait que les choses s'accélèrent. Siva commence à perdre patience et ça, ça ne peut qu'être mauvais pour Luca et Anis. Et le doute plane toujours : vont-ils réellement finir par se transformer en monstres ? D'ailleurs, je me souviens qu'ils devaient aller voir un médecin à la fin du chapitre précédent. Comme on n'a pas eu de nouvelles, j'imagine qu'ils ne l'ont pas trouvé. Dommage, il aurait peut-être pu nous renseigner un peu plus sur la blessure de Luca et peut-être même le soigner, qui sait ?
Après ce chapitre, j'aurais tendance à dire qu'Anis commence à regagner ma confiance. Elle n'a peut-être pas toujours tout dit à Luca mais, si Siva souhaite l'éliminer, c'est qu'elle a véritablement été mise à l'écart de toute cette affaire et qu'elle ne sait pas ce qui risque d'arriver au souffleur de verre. 
Quoi qu'il en soit, j'espère que tous les deux trouveront un moyen de s'entraider et de fuir cet endroit sinistre ! 
La Couleuvre noire hein ? Tu l'as peut-être déjà mentionnée auparavant et, si c'est le cas, j'en suis désolée mais je n'ai pas réussi à déterminer de quoi il s'agissait : un objet ? Ou plutôt une sorte de lieu ? Mais j'imagine qu'on en apprendra plus sur cette mystérieuse expédition par la suite. Une suite que je me réjouis de venir découvrir en tout cas ! ^^
Jamreo
Posté le 01/10/2014
Il serait temps que les choses s'accélèrent en tout cas, à force de tourner autour du pot je me retrouve à court de cartouches xD
Ils devaient effectivement trouver un médecin à la fin du chapitre précédent, mais justement ne l'ont pas trouvé ^^ du coup il n'y a pas eu de diagnostic, juste quelques soins sommaires.  Mais de toute façon je ne sais pas si ça aurait été suffisant pour le soigner entièrement. 
Donc Anis remonte dans ta confiance ? (ça ne se dit pas, mais bref). Elle a en tout cas sacrément l'air de ne rien savoir, et d'être suspectée elle aussi.
Concernant le dernier point que tu soulèves, je me rends compte que ça n'a jamais été vraiment explicité ^^' arg. Il y a eu une brève allusion dans le prologue de la partie 2, mais pas grand-chose depuis. En fait il s'agit d'un bâtiement et il va d'ailleurs apparaître très vite.
Merci pour ta lecture et merci beaucoup d'être arrivée jusque là aussi ! J'ai perdu pas mal de monde en route, voire tout le monde, ça se traîne ou du moins j'en ai l'impression xD en plus ça fait très longtemps que l'histoire est sur PA. Mais je veux poster la suite et fin ici.
Donc merci merci beaucoup pour ta lecture de ce chapitre ! 
Vous lisez