Augustin avait lâché ses rames qui ondoyaient lentement au gré du courant, seulement liées à l’embarcation par leur dame de nage en laiton
Ils avaient amarré sommairement leur petite barque en lisière d’un groupe de roseaux, à proximité d’une étroite plage caillouteuse.
Augustin était adossé à la bancelle et Madeleine, blottie contre son flanc, laissait reposer sa tête sur sa poitrine. Ses longs cheveux châtains démêlés tournoyaient en cascade sur le torse de son ami.
L’air était doux et bourdonnait par moments de nuées d’insectes ; libellules ou simples mouches d’eau.
La majorité des canots se reposaient au bord du fleuve, à l’image de leurs passagers que la sieste consécutive au repas arrosé du midi avait engloutis.
« De l’iris de l’œil d’un paon,
la nuée s’échappait en piaillant,
et prenait le soleil de l’instant,
pour leur maman »
- C’est joli, de qui est-ce ?
- Eh bien, de moi. Ne l’avais-tu pas deviné ?
- Je croyais que c’était de l’un de tes poètes préférés ; un Symboliste, comme on les nomme de nos jours.
- Les Symbolistes ont apporté beaucoup à la poésie et je leur suis reconnaissant de m’avoir entrouvert la porte de ce monde mais chaque génération doit apporter sa pierre et moi, j’aspire à un renouvellement.
Madeleine ne répondit pas.
Depuis l’autre rive du fleuve tranquille, on entendait des enfants rire dans la barque familiale qu’on avait accostée au ponton.
Madeleine soupira :
- Tu pourrais au moins venir à l’atelier ; découvrir à quoi ressemble une auto.
- Je le sais bien, figures-toi ; j’en ai déjà vu.
Augustin fit une pause et comme Madeleine ne répondait rien, il poursuivit :
- Ce sont des entassements aux formes agressives, faits de fer et de bois, assemblés sans harmonie aucune, et vibrant de fébriles tremblements. Je n’ai aucune envie d’approcher ces phénomènes-là.
- Mais cela ferait plaisir à papa de voir que tu t’intéresses un peu à sa passion.
- Ton père et moi, nous n’avons aucun point commun ; il n’est pas dans son élément que lorsque ses mains baignent dans l’huile de vidange. Moi, ce n’est pas la matérialité qui m’intéresse mais plutôt l’impression, l’imaginaire, le songe. Qu’irai-je faire dans son usine à fatras ? Me briser les tympans contre ses moteurs à mi-temps ?
- À deux temps.
- Tu vois, toi aussi, il t’a déjà contaminée. Alors que tu voulais devenir poétesse comme moi, te voilà embrigadée dans ces techniques modernes qui me font horreur.
- Mais va le voir, au moins une fois ! Sinon tu resteras à ses yeux le bon nigaud qui entend bien continuer à vivre au Moyen Âge. Nous n’habitons plus dans des châteaux forts et je ne suis plus une princesse.
- Si, pour moi tu seras toujours ma jolie princesse.
Et ils s’embrassèrent amoureusement.