II. — VII. — À VALA

Pardonne-moi pour cette longue convalescence et mon mutisme. Je ne soupçonnais pas mon corps si amoindri par l’effort de guerre.

Oublie une part de tes inquiétudes. Je me porte bien mieux, malgré encore quelques faiblesses. Sans surprise, mes maux habituels demeurent ; mais je n’ai pas trop à m’en plaindre depuis le début de ma détention. Mes geôliers font grand cas de ma santé et lorsqu’une crise survient, ils prennent soin de moi autant que possible. À ces mauvaises occasions, la soldatesque s’efface et laisse place à des esprits doués de science médicinale. Les raisons de cette sollicitude m’échappent. Je goûte seulement l’ironie amère de la situation. Je me retrouve davantage préservé chez les Astrusques, que dans ma propre famille.

Je suis coincé entre quatre murs, en un lieu qui m’est inconnu. Sans surprise, il y fait humide et gris. J’entends la pluie claquer sur le toit boisé. Elle s’infiltre dans les rainures et impose son rythme en interminables filets. À travers un disque découpé dans la chaux, une lumière pâle dévoile avec peine les contours de ma prison. Mes poignets sont ferrés, mais je reste libre de tout mouvement, consigné dans cet espace restreint.

Nos échanges demeurent préservés. J’en ai la certitude, car les arcanes de la Nuit me sont accessibles dans leur plénitude. Nul ne m’a empêché d’y recourir ou suggéré le moindre interdit. Et quand bien même, la volonté de mes geôliers s’opposerait à ma pratique, seraient-ils en mesure d’entraver mon kosmos de quelque façon que ce soit ?

Nous en savons si peu. Toi, les adeptes d’Ys et moi errons à travers des brumes similaires. Ici, ils en arpentent d’autres. Leur ignorance se teinte du paradoxe de la familiarité et d’une tradition, devenue évanescente au cours des âges. Bien que la plupart des Astrusques s’ouvrent à la Nuit, très peu parviennent à créer et entretenir un véritable kosmos. Ils s’aventurent à bâtir quelques étoiles orphelines, rien de plus. C’est là une chose curieuse, mais inhérente à la nature hétérogène de la Nuit. Seuls quelques-uns détiennent une maîtrise semblable, peut-être même supérieure, à la mienne. La reine Astrusque, Ramthas, m’en a fait la démonstration aux pourparlers en invoquant sous mes yeux une Constellation. Était-elle responsable de cette tortue tombée du ciel ?

Dès qu’il est question de la Nuit, je ressasse sans cesse mon aveu d’ignorance. Par instant, je me demande si le moindre savoir tangible m’est acquis.

Néanmoins, en d’autres sujets plus terrestres, je détiens davantage de certitude.

Quelques échos de la bataille me sont parvenus. Dans la langue gutturale des Astrusques, certains mots ont fait sens, précieux fruits de mon récent apprentissage lacunaire. Associés à un Valain incertain qui m’a été partagé du bout des lèvres, un tableau a émergé.

Il semblerait que l’issue du combat n’ait pas complètement tourné à la faveur de nos ennemis. S’ils avaient bien l’avantage tactique lors de ma capture, le rapport de force se serait rétabli par la suite. Le consul Titus-Livius et ma sœur Livia ont survécu. Par ailleurs, cette dernière a mis un terme à la bataille en portant un rude coup sur l’aile gauche de l’ennemi, précipitant ainsi une « trêve ». Elle aurait usé d’une magie pour enrager ses légionnaires, les rendant insensibles à la peur et à la douleur.

J’y vois la marque de l’imperium. Je ne pensais pas que Livia se dévoilerait si tôt devant l’ennemi, mais aussi devant de potentiels adversaires politiques. La situation devait être critique pour qu’elle recoure à ses talents si longtemps préservés de tout témoin. T’avais-je déjà signalé cela ? Je n’en suis plus très sûr. Les nombreux serments faits à Titus-Livius se confondent à mes omissions et autres semi-vérités. J’en oublie ce que j’ai tu à mon frère par nécessité et ce que je te partage sans faillir à ma parole.

D’ailleurs, de Arpa, as-tu la moindre nouvelle ? Peut-être pas, puisque tu arpentes en cet instant les cruelles Dorsales. Je prie les dieux pour que Faustus se porte bien. Je ne comprends pas le sort de la cité. Je ne vois pas qui, parmi l’aristocratie, a pu s’ériger en tyran. Comment Faustus a-t-il pu laisser une telle chose advenir sous sa propre gouvernance ?

Enfin, qu’y puis-je ? Rien. Pas en l’état. Mes efforts doivent se concentrer sur ma situation et y trouver une solution.

J’ignore ce que les Astrusques attendent de ma part, car jusqu’à présent, nul n’a jugé opportun de m’en informer. La reine Ramthas harcèlerait l’arrière-garde de notre armée, dans les limites offertes par la « trêve ». Je n’ai, jusqu’à ce jour, rencontré personne se réclamant de son autorité.

Cependant, j’ai appris hier, au détour d’une conversation hachée entre deux des soldats postés en faction devant ma geôle, qu’une prisonnière me rejoindrait sous peu. Ils ont ajouté qu’après son arrivée, les Cinq viendraient. À cette mention, leur voix m’a paru très excitée ; trop à mon goût. Je gage que cela ne présage rien de bon.

Je te souhaite la santé et la paix, malgré les terres ennemies que tu sillonnes. Garde-toi des cruelles Dorsales et de ses rats.

De mon côté, je vais m’appliquer à préserver ma vie du mieux possible.

6 jours après le Solstice Rouge, en Astrurie.