III. Eleusis Garden ou de l'exercice de la tyrannie en corset

Par Lyra
Notes de l’auteur : I'm baaaack ^^ Ou plutôt, ce chapitre traînait depuis six mois dans les fichiers de mon ordi...Pas sûre de l'avoir même relu (quelle honte..). Mes plus vivaces excuses pour maladresses, erreurs de style, orthographe douteux et autres tortures oculaires.

Les fleurs en provenance d’Éleusis Garden étaient reconnues dans tout le pays comme les plus verdoyantes, les plus colorées et les plus vivaces qu’on puisse trouver. On se pressait pour acheter à prix fort une orchidée délicate, un robuste géranium ou un rosier parfumé tout en cherchant à percer le mystère qui entourait la propriété. Entourée de hauts murs bardés d’éclats de verre, il semblait impossible d’y pénétrer par autre chose que les grilles du large portail en fer forgé. Comme des ronciers, ces dernières accrochaient sans pitié les vêtements des visiteurs non autorisés, ne cédant le passage qu’à quelques privilégiés. Tous les enfants de la ville avaient un jour essayé d’escalader la muraille pour chiper des cerises ou une pomme, sans autre résultat qu’une belle dégringolade à mi-hauteur. On ignorait même qui y vivait. Certains murmuraient qu’il s’agissait d’une richissime veuve, pleurant un mari décédé dans une lointaine contrée. D’autres arguaient qu’il ne pouvait s’agir que d’un duc libertin, se cachant de poursuivants sanguinaires, car il avait osé séduire la fille d’un prince. D’autres encore affirmaient que ce n’était ni plus ni moins que la demeure de Lucifer en personne, et qu’on devrait dépêcher un exorcisme massif et, de préférence, brûlant. Fort heureusement ces derniers étaient minoritaires, la plupart s’accordant à dire qu’après tout, ce n’étaient pas leurs affaires duc, veuve ou démon. Les plantes vendues au marché par des domestiques aussi muets que souriants étaient belles et vigoureuses, on n’en demandait pas plus. Aussi l’inquisition de l’homme en noir n’eut-elle que peu de réponses dans la ville.

Oui la demeure était habitée.

Non on n’avait jamais vu les propriétaires.

Oui, toujours fermée.

Pas beaucoup de visites non. Une ou deux calèches par mois à date fixe.

Au marché ? Que des serviteurs pas causants, mais honnêtes, ils faisaient des réductions quand on tirait le diable par la queue.

Une jeune fille ? Pas à leurs connaissances, mais tout était possible. Et puis pourquoi toutes ces questions ? Ce n’est que des honnêtes gens ici, et si le propriétaire du manoir tient à la discrétion, ce n’était pas leurs affaires… Chacun est libre après tou…

O..oui oui bien sûr ! Libre, dans la Foi… et ils remercient Dieu et la Sainte Église chaque jour pour cela pour ça... Oui, b-belle journée aussi...

Est-il parti ? Si les Corbeaux se mettaient à traîner vers ici ce n’était pas bon signe... Enfin, c’était sans importance.

Non, sans importance aucune…

 

–Oh si jeune fille c’est primordial !

–Mais c’est atroce !

–Ne dites pas de bêtises, c’est très joli et ça ira merveilleusement bien avec votre teint !

–Je préfère mettre un sac à pommes de terre plutôt que cette..cette chose.

–Moi vivante jamais vous ne sortirez comme ça !

–Ne me tentez pas Rosemary…

–Serait-ce une menace ?!

–Jamais je n'oserai…

–J’espère bien ! Maintenant, arrêtez de faire l’enfant Coré et mettez cette robe !

La Dionée attrape-mouche, Dionaea muscipula pour les intimes, posée sur le chiffonnier frémit. Elle avait de lointains, mais indéniables liens de parenté avec certaines hôtes de la serre qui lui avaient raconté par des voies connues des seuls végétaux l’ouragan de la matinée. Repliant prudemment ses mâchoires, elle espérait ne pas être comptée comme « dommage collatéral » à la fin de la journée.

La scène qui se déroulait devant elle était pourtant assez habituelle. Rosemary la gouvernante/cuisinière/femme de chambre tendait n’importe quelle robe convenable à une Coré qui refusait de l’enfiler.

Encore là le pire n’était pas arrivé. On en était qu’au choix du chiffon. Non, la vraie bataille arriverait lorsque Rosemary extraira le corset baleiné et amidonné du haut de l’armoire.

Quoique la tentative d’évasion, stoppée de justesse par un Wilson désabusé, avait déjà soigneusement ramoné les conduits auditifs de tous les êtres vivants présents, végétaux compris. Avant cela la plante carnivore ignorait qu’elle pouvait avoir mal aux tympans sans en posséder un seul. Elle envisageait presque de changer son régime alimentaire pour lui pincer la pulpe des doigts la prochaine fois qu’elle lui remettrait du terreau, histoire de lui rappeler que les plantes avaient elles aussi leur sensibilité.

L’objet de la discorde était cette fois-ci une robe longue en dentelle, rose pâle, bouffante et festonnée au possible. Étalée sur le lit défait, elle narguait une Coré retranchée derrière un fauteuil fleuri, aidée par une gouvernante passablement hérissée.

Bonnet de travers, joues écarlates, cette dernière respirait un agacement de moins en moins contenu.

–Coré, menaça-t-elle, un doigt pointé vers la jeune fille, cessez donc de faire l’enfant, cela devient ridicule !

–Rien à fiche !

–Langage !

–N’empêche !

La gouvernante s’empara d’une manche de la robe l’agitant comme une badine.

–Enfin, elle ne va pas vous manger cette robe non ?! s’exclama-t-elle

— Preuves ? bougonna la jeune fille qui entreprenait un stratégique repli vers le guéridon, moins exposé à un potentiel étranglement par horreur en dentelle.

Le visage de plus en plus cramoisi de sa gouvernante lui laissa penser que la dentelle était sûrement une matière hautement vénéneuse en plus d’être laide.

–Coré, dernier avertissement... chuchota Rosemary dans un souffle.

Si l’instinct de Coré avait été proportionnel à son envie de garder sa vieille robe brune, le ton de la gouvernante l’aurait aussi assurément alertée qu’une écharde dans le pouce. Mais fort heureusement pour Rosemary, l’instinct décroissait de manière proportionnelle à l’entêtement de sa pupille. Aussi, sortit-elle ses épines sans crier garre :

— Coré, soit vous mettez cette robe soit je demande à Asphodèle de venir m’aider.

Une tierce personne aurait probablement ri effrontément d’une menace en apparence aussi peu dangereuse, mais pas Coré. Elle n’était pas inconsciente à ce point.

–Vous n’oseriez pas ?! s’insurgea-t-elle depuis le derrière de son guéridon.

Pour la première fois depuis le début de la dispute elle semblait néanmoins inquiète.

–Bien sûr que si jeune fille, clama la gouvernante, agitant des bottines lacées d’un air menaçant.

–C’est bas.

–Je ne m’en cache pas.

–C’est écœurant.

–La vie est ainsi faite ma petite.

–C’est…

-Asphodèleeeee !!!! s’époumona Rosemary qui devait s’occuper d’autres tartes avant le thé

— Naon ! beugla Coré, en se jetant sur elle, renversant le guéridon au passage.

C’était sans compter sur le poussiéreux sens de l’humour des tapis vengeur : Rosemary apprécia le « boum ! » produit par la collision de sa pupille avec le chiffonnier, la dionée moins.

–Aïe… gémit Coré le nez dans les fleurs brodées du tapis.

–Ça vous apprendra à faire l’enfant, bougonna la gouvernante, nullement émue par la chute. La jeune fille l’avait habituée à bien pire, ce n’était pas une bosse qui allait l’effrayer.

- Madame Rosemary ? interrogea une voix grave depuis la porte, qui eut pour effet de faire bondir la blessée.

Malmenée par la collision d’une andouille avec son support, la plante carnivore s’accorda tout de même le luxe de s’attarder sur la nouvelle venue qui terrifiait tant sa propriétaire, cela pourrait toujours être utile en cas d’oubli d’engrais ou d’eau.

La femme qui venait d’entrer n’avait pourtant rien d’extraordinaire. Un peu plus grande que la moyenne, elle dépassait la gouvernante d’une tête, la jeune fille de deux. Quelques rondeurs, mais rien de flagrant, une jolie peau couleur d’ébène et des cheveux noirs de jais serrés dans un chignon strict qui n’étais pas sans rappeler celui de lady Cérès. Ce n’est que lorsque son regard balaya la pièce que la plante le remarqua : ses yeux étaient d’un blanc laiteux, tranchant avec le reste de son visage.

Et tranchants tout court d’ailleurs. Il y avait dans ces orbes vides une impression de détachement de tout. Son regard glissait sur les meubles blancs de la chambre sans s’y attarder et lorsqu’il se posa sur la gouvernante qui l’avait appelée nulle expression ne s’y lisait. Ni froideur, ni amitié, ni dureté, ni tendresse. Juste l’attente d’une directive.

Bien que Rosemary l’ait mandé, elle ne put s’empêcher de frissonner devant la femme.

Elle ne s’attendait pas à la voir arriver si rapidement ni à la voir tout court. Son but avait simplement été de faire peur à Coré pour la convaincre de s’habiller convenablement et seule Asphodèle y arrivait, pour une raison qui lui échappait encore. Ses arrivées étaient aussi furtives que ses départs rapides et, pour être honnête avec elle-même, Rosemary était heureuse qu’elle ne vienne pas souvent à l’office manger avec les autres domestiques. On ne la voyait jamais dans les lieux communs de toute manière.

Sentant le regard de la femme peser sur elle, Rosemary bafouilla :

–Euh... Eh bien, je…

Asphodèle restait immobile dans l’encadrement de la porte tandis que Coré rasait les murs en direction de la fenêtre, à droite du lit. Cette vision sembla lui rappeler le but de son appel de même que sa fatigue et, réajustant une des mèches folles qui s’était échappée de sa coiffe elle reprit abruptement :

— Je vous ai appelé que vous m’aidiez à préparer Coré. Lady Cérès a fait demander à ce qu’elle porte cette robe pour le thé de ce soir et soit coiffée comme il sied à une jeune fille et non une paysanne.

Cette dernière remarque s’accompagna d’un regard courroucé en direction de la fugitive, laquelle s’empara d’un des coins du baldaquin pour le dresser comme un bouclier entre elle et la gouvernante, lançant de brefs regards en direction de la porte.

–Bien madame, dit simplement Asphodèle en entrant dans la pièce calmement.

Rosemary fut surprise. Tout autre domestique aurait râlé pour la forme ou lancé une boutade, mais pas Asphodèle, qui le plus sérieusement du monde se dirigea vers la robe étalée sur le lit et Coré.

La jeune fille recula, heurtant le mur, le velours anis du baldaquin dans les mains.

Asphodèle ne sembla pas voir la mutinerie qui se jouait en face et se saisit de la dentelle rosée, qui coula entre ses doigts. Elle tourna ensuite sa tête vers Coré qui brandit son rempart de tissu.

–Mademoiselle, dit-elle simplement, il faut que vous mettiez ceci.

La gouvernante se retient de lever les yeux au ciel, cela faisait presque qu’une heure qu’elle expliquait ceci à sa pupille, sans résultats, alors si la domestique pensait arriver du premier coup...

–Mademoiselle, répéta Asphodèle, ses iris voilés fixés sur Coré, mettez votre robe s’il vous plaît.

–Allons bon, souffla Rosemary, qui s’avança, prête à aider l’autre domestique.

Il se passa alors une chose inédite, du jamais perçu de mémoire de plante : Coré baissa les bras et obéit. Sortant de derrière les courtines en traînant les pieds, elle arracha la robe des mains d’Asphodèle en lançant des regards noirs au sol et se dirigea vers le paravent au fond de la pièce.

Rosemary tomba assise sur le lit, Asphodèle resta de marbre.

« Vous... Vous ne voulez pas rester pour le corset ? bredouilla la gouvernante, en se tournant vers la domestique.

- J’ai entendu ! brailla le paravent.

- Vous le mettrez !

–Nan !

–Asphodèleee !

Mais la domestique était déjà repartie, aussi silencieusement qu’elle était arrivée.

“Et merde.” Pensa la plante, tandis que les cris reprenaient. Il fallait vraiment qu’elle songe à se rempoter ailleurs.

 

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L.S. Redley
Posté le 12/12/2021
Ok, j'adore.
On va pas se mentir, l'histoire de Perséphone et d'Hadès est vue et revue, il y en a pour toute les sauces. Et quand je me balade à la recherche de lectures, j'essaie d'avoir d'autres histoires sur l'immense mythologie pour varier les plaisirs.
Mais là ? C'est incroyable. L'univers, la plume, les personnages. C'est nouveau, c'est bien écrit avec une pointe d'humour, et j'ai fort envie de découvrir plus en profondeur les personnages. Je suis franchement pas déçue. La suite est pour bientôt ?
Deslunes
Posté le 05/11/2021
Certes la protagoniste est rebelle mais est-ce réellement un être humain, c'est une question sérieuse ? Ou va t-on découvrir un autre univers caché derrière ces personnages.
Coquille " qui n'était pas sans ..."
Lyra
Posté le 23/11/2021
Que voilà une intéressante question ! (*insérer un sourire sardonique*)
Je dis pas plus ! ^^ Merci pour ton intérêt !<3
Pluma Atramenta
Posté le 09/07/2021
Lyraaaa !!!

Je suis tellement ravie de goûter de nouveau à ta plume après tant de temps ! Cette histoire, de ces trois chapitres, me semble bien prometteuse, et avec une protagoniste rebelle comme on les aime <3 Je me perds un peu avec les noms, mais je pense que le problème pourrait se régler en distinguant plus les personnages par leur manière de parler, leurs manières tout court et en introduisant davantage de passages descriptifs.
Les chapitres s'écoulent en effet très vite, à un rythme effréné en fait tellement il y a de dialogues et de mouvements xD C'est très agréable et savoureux à lire. Cependant, j'ai l'impression que cela nuit légèrement à l'ambiance du récit (on est dans la mythologie, quand même ! et de la mythologie se dégage une atmosphère bien particulière...) L'accentuation de cette ambiance ne serait donc pas de refus non plus, à mon avis.
Mais Lyra, toujours toujours c'est un grand grand plaisir de te lire <3 Je me régale des mots (parfois improbables) dont tu uses au fil des chapitres, de ce vocabulaire "bancal" mais riche, et de cet humour, cette ironie même qui coule à flots du texte. En si peu de chapitres, tu parviens aussi à introduire une forme de mystère (ex : menace du corbeau) mais également une profonde envie de savoir la suite chez le lecteur.
Bravo à toi !

Bonnes inspirations <3
Pluma.
Lyra
Posté le 27/09/2021
Plumaaaaaaaa !!!
Toutes mes excuses pour le retard (2, 5 mois !!! JE SUIS DESOLEE) , les études ne sont propices ni à l'écriture ni à l'entretien d'une correspondance régulière... Je prend en note toutes tes remarques, toujours aussi pertinentes et douces à lire ! Si je trouve le temps de poursuivre les aventures de Coré, Laurier et les plantes je ferai en sorte d'accentuer l'atmosphère mythologique, ton commentaire m'ayant donné pleeins d'idées^^ Un énorme merci pour tes retours toujours si bien écrits, délicats et positifs <3 Prends soin de toi et que ta plume rayonne <3
Lyra
Gwenifaere
Posté le 05/07/2021
XD pauvres plantes. J'adore toujours autant partager leur point de vue même si je n'aimerais pas partager leurs souffrances quotidiennes !
Intéressante cette menace du Corbeau, je me demande vers quoi on se dirige sur l'univers... magie vs religion ?
Un point : mettre le corset après la robe serait difficile même si la demoiselle voulait bien coopérer...
Mention spéciale pour le "naon", je n'avais jamais lu ce mot mais je l'ai entendu de manière tellement réaliste, c'était génial XD
Lyra
Posté le 27/09/2021
Coucou Gwenifaere et désolée du retard, la vie universitaire n'est pas de tout repos.. (urgh) Wiiiii j'adore ce thème xD L'influence de Phillip Pullman sans doute mais ssssh...
AH. Pas faux. Merdouille. Je devais penser à des robes plus contemporaines, un peu dans le style lolita et bim, l'erreur ! Mercii pour ton oeil affuté TT
Que l'inspiration t'accompagne dans tes projets <3
Lyra
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