III. La rencontre

Par BAEZA

Plus nous approchions du rez-de-chaussée, plus le parfum poivré que maman avait remarqué à notre arrivée s’accentuait.

 

Arrivé aux dernières marches, je constatais que maman s’était recouvert le nez avec son mouchoir.

 

—        Ça va maman ? Tentais-je, sans illusion.

 

—        Hum, hum. Sortons vite, s’il te plait, j’ai la tête qui tourne, répondit-elle à mouchoir couvert.

 

À peine franchie la porte vitrée, nous vîmes, souriants et échangeant des propos bruyants, les deux vagabonds, que nous avions aperçus affalés sur le banc du parc, s’approcher de l’immeuble,

 

Le premier avait placé son mégot encore fumant sur l’oreille, tandis que l’autre portait sur son dos sa guitare en bandoulière, dont ne dépassait plus que le manche.

 

—        Oh, mais c’est trop fort ! Lança ma mère. Ils ne vont tout de même pas venir nous demander ici de financer leur paresse.

 

—        Maman ! La rue est à tout le monde …

 

Les deux jeunes hommes dépenaillés s’approchaient maintenant, sans aucun doute possible, vers nous, et lorsqu’ils commencèrent à monter les premières marches extérieures du bâtiment  où nous nous trouvions, le sang de maman ne fit qu’un  tour.

 

Elle écarta ses bras et ses jambes, comme un gardien de hand, et se plaça devant la porte vitrée pour leur en interdire tout accès.

 

Les deux hommes en lambeaux, jusque là concentrés sur leur discussion, observèrent le manège de ma mère avec curiosité, et je vis alors apparaître un petit sourire sur leurs lèvres.

 

—        Vous n’avez pas le droit d’entrer ici ! Déclara sans détour ma génitrice, avec la conviction affirmée d’un gardien de la paix moustachu.

 

Les deux hommes s’étaient arrêtés sur la deuxième marche du seuil qui en comptait trois, sans dire un mot.

 

—        Vous n’allez tout de même pas venir polluer cet immeuble ! Rentrez chez vous !

 

Le jeune homme à la guitare regarda son compagnon d’infortune, et après avoir échangé un clin d’œil discret, répondit à maman :

 

—        On voudrait bien, madame, mais ça va pas être possible …

 

Ma mère, un peu désarçonnée que ces deux marginaux osent contester ses ordres, ne sut pas exactement quoi leur répondre, jusqu’à ce que son cerveau, en ébullition, décide l’affichage d’un seul et unique mot, mais si pertinent dans ce contexte :

 

—        … Pourquoi ?

 

  • Eh bien, parce que nous vivons ici … , et que vous nous en bloquez l’accès. Et que nous ne voudrions tout de même pas vous  piétiner pour pouvoir rentrer chez nous.

 

 

Visiblement troublée, ma mère ne savait plus quelle réponse apporter à ces deux traîne-savates.

 

Comment ces deux énergumènes pouvaient-ils lui annoncer qu’ils occupaient l’immeuble où son honnête et travailleur fils allait s’installer, d’ici quelques semaines ?

 

—        Vous habitez là … tenta-t-elle, sans vouloir  y croire

 

—        Bien sûr, et depuis plus de trois ans. Vous voulez voir nos papiers ?

 

Cette dernière réponse, ce fut « trop » pour maman, et je la sentis perdre peu à peu pied. Je crus alors bon de lui soutenir le bras, en l’écartant doucement de la porte d’accès.

 

Les deux hommes, qui ne sentaient pas précisément la myrtille, ouvrirent alors le sas du bâtiment, et s’engouffrèrent dans le couloir, sans oublier de citer cette célèbre phrase passe-partout, accompagnée d’un joli sourire aux dents tachées :

 

—        Merci, madame.

           

Maman et moi regardâmes les deux épaves traverser le couloir du rez-de-chaussée, jusqu’à ce qu’ils atteignent le mur du fond, où se trouvaient deux portes frontales blanches, restées dans l’ombre.

 

L’homme à la guitare se plaça devant la porte de droite, d’où il échangea une poignée de main à son compère, accompagnée d’un prosaïque :

 

—        Salut, Max !

 

Auquel l’autre répondit d’un sonore :

 

—        Salut, Paul !

 

Les deux hommes ouvrirent leur porte respective, et avant de s’y réfugier, nous jetèrent un dernier sourire, où nous pouvions lire, maman et moi, comme une note d’ironie teintée d’un peu de tendresse.

 

Nous restions ainsi, tous les deux, stupéfaits que dans cet immeuble, et à ce niveau de tarif de location, pouvaient cohabiter ces individus louches, et à l’extrême limite de la légalité.

 

—        Mon pauvre chéri, déclara maman en me regardant, que vas-tu devenir dans cette ville de dépravés ?

 

Pour une fois, je ne sus que répondre à ma bonne maman.

 

 

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