Extérieur. La rue est en feu. Samira et Salim marchent. Des manifestants les regardent.
Manelle: Où allez-vous ? Ils vous tueront. Rentrez chez-vous ! Rentrez tous chez-vous !
Samira: Je suis chez moi.
Salim: Manelle, où sont les autres ?! Et Yacine, qu’est-ce qu’ils ont fait à Yacine ?
Manelle: Mort, mort, mort. Ils vont nous tuer.
Samira: Prends ma main si tu as peur.
Manelle: Si je prends ta main, ils nous tueront tous.
Samira: Prends ma main, même s’ils nous tuent, nous mourrons ensemble.
Manelle: Yacine est tombé face contre terre. Personne n’a pris sa main à lui.
Salim: Où est Yacine ?!
Sofiane: On l’a vu mourir.
Salim: Et vous n’avez rien fait ! Vous l’avez laissé se faire descendre !
Sofiane: Tu n’y étais pas, Salim ! Il est mort oui, mais c'était bien plus que ça.
Salim: Yacine est mort et après ? On est censé continuer à vivre comme si de rien n’était ?
Sofiane: Tu ne comprends pas. Sa mort nous a tous transformés en enragés. On a plus peur maintenant, Salim. On a vu la mort, elle a dessiné un sourire sur le visage de Yacine. Ce soir, on sourira tous. Hamza a le colis. Tu n’es pas curieux ? Tu ne veux pas savoir ce que ça fait ?
Salim: Je te suis pas.
Sofiane: Ce que ça fait d’avoir le pouvoir. De pouvoir être de l’autre côté.
Samira: Tu veux effleurer le pouvoir ? Ce n’est pas d’une arme qu'ils auront peur, mais du nombre. La seule chose qui les terrifie, c’est de nous voir unis. Si tu veux connaître le véritable pouvoir, alors tu dois faire entendre ta voix, mais nous sommes trop peu nombreux pour que quiconque prenne la peine de nous écouter.
Manelle: Il portait un drapeau autour de son corps. On aurait dit qu’il dansait. On aurait cru l’entendre chanter. Il fredonnait un air. Il y avait de la fumée, rouge incandescente, mais je pouvais le voir sourire. Il portait quelque chose, comme un bout de papier. La page d’un livre. Le début d’un poème. Ou peut-être la fin. Il était si beau. La rue était en feu, et les flammes projetaient son ombre dans toute la ville. Il était la ville. Il était la foule. Il était la France. Puis ils l’ont abattu. Il est tombé, et c’est tout un monde qui s’est écroulé. Il était l’espoir. Un symbole. Et nous, que sommes-nous ? Nous avons survécu pourtant j’ai l’impression d’être morte.
Salim: Emmenez-nous jusqu'à lui.
Manelle: Ils nous tueront si on y retourne.
Samira: Combien encore vont-ils tuer ? Combien ? Combien avant que l’on réagisse ? Combien avant que l’on s’unisse ? Comment bien avant que la peur ne change de camp ? Combien avant que la honte ne change de camp ? Combien avant que l’on nous reconnaisse, que l’on nous estime pour ce que nous sommes ? Combien ?
Salim: Pas un de plus.
Samira: Avec vous, nous serons quatre, avec eux, nous serons dix, et peut-être serons-nous cent une fois le boulevard atteint. Si deux-cent bras le portent, alors il ne se sentira plus seul, si deux mille bras le portent, alors nous ne serons plus seuls, et si vingt mille bras l’accompagnent, alors ils comprendront que nous n’avons jamais été seuls.
Ils prennent la main de Samira et avancent.