Il fait froid.

Il fait froid.

 

Non. Glacial.

 

Pourtant la jeune femme dans le halo de lumière du lampadaire ne semble pas s'en préoccuper.

 

Elle tremble. Ses dents claquent de manière régulière. Ses bras nus sont couverts de chair de poule.

 

Paisible, elle observe la rue enneigée.

 

À vrai dire, on pourrait se demander si elle observe réellement la rue. Sans doute a-t-elle de bons yeux ? Car la nuit est noire et elle se trouve précisément sous le seul lampadaire allumé. Mais son air concentré et son front légèrement plissé ne laissent pas le doute planer, elle arrive à examiner les ténèbres qui l'entourent.

 

Pourquoi ?

 

Parce que ses yeux ne lui montrent pas le monde tel qu'il est, mais tel qu'il pourrait être. Elle contemple l'univers qui se crée dans l'ombre. Chaque détail de ce nouveau paysage est parfaitement net. Et les quelques éléments du monde réel qui s'y glissent font partie du spectacle.

 

Un vieil homme traverse la rue d'un air pressé. Ses pieds dérapent à chaque changement d'appuis. Mais il ne tombe pas. Il ne tombe plus. Ce matin sa femme lui a avoué ce qu'il soupçonnait depuis déjà deux mois. 

 

— Tu ne comprends pas. Seul le travail t'intéresse à présent. Lui, c'est moi qui le captive.

 

« Le voisin ? Tu plaisantes, il n'en a que pour son chat !», voilà ce qu'il aurait aimé lui rétorquer.

 

Mais il n'a rien dit.

 

Il s'est tu. Il a ignoré le problème.

 

Comme toujours.

 

Cela fait longtemps qu'il n'a plus la force de détruire ses obstacles. Alors il les contourne. Sans un mot.

 

Mais ce matin, il a réalisé que tout ceci était vain. Il a perdu ce qu'il chérissait. Il aurait dû exploser ses foutus obstacles. Il a souri à sa femme. Toujours sans un mot. Et il est parti.

 

Il a pris sa voiture et il a attendu au coin de la rue. 

 

Vers dix-huit heures, le chat est sorti. Un coup d'œil à droite, sa queue a rasé le sol. Il a traversé.

 

La voiture a avancé. Directement sur le chat. 

 

Une seconde.

 

Voilà. L'obstacle a été détruit.

 

Le voisin va souffrir. 

 

Lui n'en n'a plus rien à faire. Il est sorti de la voiture et depuis il marche.

 

Sans un mot, comme toujours.

 

« La vengeance ne résout rien, mais elle fait du bien.» Ce fut sa dernière pensée avant le début de son errance.

 

La jeune femme sous le lampadaire l'analyse attentivement. Elle le surnomme l'Invisible. Il ne regarde pas où il met les pieds. Il n'a pas de but. Son regard erre au loin. Elle se dit qu'il fait partie de cette catégorie de personnes qui s'effacent. Sans un son.

 

l'Invisible doit suivre une piste.

 

Un tueur à gages ?

 

Probablement. Son visage est parfaitement inexpressif. Elle a trouvé la clé de son énigme. l'Invisible est venu éliminer le Prince, caché dans la ruelle à gauche. Le Prince semble inoffensif, il est enveloppé dans une grande couverture piteuse. Son Père le recherche. Le Père a envoyé des Soldats qui passent devant le Prince plusieurs fois, parfois dans la même nuit. Sans lui jeter ne serait-ce qu'un regard.

 

De toute façon les Soldats ne remarquent rien. Dans leurs uniformes et leur fatigue, ils répètent les mêmes actions. Une simple variation changerait tout. Alors ils ne dérogent jamais à la règle.

 

Mais peut-être que l'Invisible verra le Prince, lui ?

 

Elle est curieuse, intriguée. 

 

S'arrêtera-t-il ?

 

Sortira-t-il une arme pour faire son travail proprement ?

 

Le Prince ne s'inquiète pas. Il roupille. Mais elle sait bien qu'il feint de dormir. En réalité, il prête une attention accru au moindre mouvement. Les pas rapides de l'Invisible le terrifient. Il tremble. 

 

l'Invisible passe et... continue son chemin.

 

Le Prince ouvre grand les yeux. Tout va bien. Il est en vie.

 

Finalement, l'Invisible n'était peut-être pas un tueur à gages ? Ou alors il faisait du repérage. Oui. C'est la seule possibilité. Le Prince doit rester sur ses gardes. Le danger peut surgir de n'importe où.

 

Le jeune homme qu'elle surnomme le Prince s'est réveillé. Il a encore cauchemardé. Les cris de sa sœur résonnent dans sa tête, il tente de les faire taire. Inutilement. 

 

Il a dû quitter son pays natal.

 

Sans sa famille.

 

Il a abandonné sa sœur pour sa peau, pour sa survie.

 

— Ne m'abandonne pas, grand frère.

 

Ses derniers mots.

 

Il sait que le poids de sa culpabilité lui pèsera toute sa vie.

 

Alors, pour alléger ce fardeau, il tente de subir des choses dures. Il a acheté une couverture et a donné toutes ses économies à des SDF sur son chemin. Puis, au coin d'une petite rue pas trop fréquentée, il s'est assis. 

 

Et il n'a plus bougé.

 

Au départ, certains passants lui donnaient de l'argent mais il refusait. Puis il s'est dit qu'il valait mieux qu'il survive. Il a donc accepté toutes les piécettes qu'on lui jetait.

 

Il voulait souffrir. Et il souffre.

 

Non pas de la faim ou du froid.

 

Il souffre du mal du pays et du mépris.

 

Le mépris des passants qui, dans leurs beaux costumes neufs, passent devant lui sans le voir. Ils l'ignorent.

 

Ont-ils peur qu'il leur réclame de l'argent ?

 

Il ne veut rien, sauf des sourires et des paroles bienveillantes.

 

Ou ont-ils peur de contempler leur reflet dans les yeux d'un mendiant ? Et de voir leur égoïsme à la loupe ?

 

Parfois, le jeune homme, quand il ne pense pas à sa famille, les plaint. Il plaint ces gens qui, habitués au train-train quotidien ressemblent à des robots. Ou à des militaires surentraînés qui marchent au pas.

 

Il se dit que lui, au moins, il est libre.

 

Ce qui est faux. Il s'est libéré de son pays mais pas de lui-même. Sa culpabilité croisse à chacun de ses cauchemars, à chaque fois qu'il croise les yeux de sa sœur brûlants de douleur.

 

Il s'est construit une prison de souvenirs.

 

Et il ne parvient plus à en sortir.

 

Il se retourne, cherche à se rendormir, quand il aperçoit une silhouette féminine sous un lampadaire.

 

Il l'a déjà vue. Plusieurs fois. Ou plutôt, plusieurs nuits.

 

Elle est là, dans le froid glacial. Elle ne bouge pas. Elle observe.

 

Il n'a jamais compris ce qu'elle trouvait d'intéressant à observer. Ce n'est pas son problème. Elle est libre de faire ce qu'elle veut.

 

Tant qu'elle le laisse dormir.

 

Il ferme les yeux.

 

Le Prince l'a fixée quelques secondes. Mais il ne s'est pas attardé. Il a vite tourné la tête et a de nouveau feint le sommeil. Il a compris qu'elle n'est pas un danger pour lui.

 

Juste une spectatrice.

 

Elle tape du pied, légèrement agacée. Il y a un retard dans la gigantesque pièce de théâtre qu'elle s'invente à partir de la vie qu'elle observe. La Flamme n'est pas à l'heure. C'est la première fois depuis un mois.

 

Soudain, le claquement de chaussures retentit à l'angle. Elle sait qui arrive. Et le Prince aussi puisqu'il s'est levé et qu'il est à présent en train de se cacher tant bien que mal. Il parvient à disparaître avant l'arrivée de l'intrus.

 

Le Père cherche le Prince.

 

Le Père est un petit homme bedonnant qui atteint la cinquantaine et gagnerait à raser l'abondante barbe qu'il arbore avec fierté.

 

Après une journée de travail éprouvante durant laquelle il a à peine eu le temps de sermonner toutes les vendeuses à son service, il s'apprête à rentrer chez lui pour s'installer confortablement dans son fauteuil en regardant des films à l'eau de rose. C'est son péché mignon et surtout le seul moment de sa vie où il peut s'imaginer avec une belle jeune femme entre les bras. Car c'est un homme très seul.

 

En ouvrant la porte de son immeuble, il s'arrête. Saisi d'un doute, il fait volte-face en scrutant les recoins de la rue. Il cherche l'homme qui a pris pour mauvaise habitude de dormir devant la porte de son immeuble. Cet inconscient l'énerve et il apprécie énormément les minutes passées à lui faire comprendre qu' « à cet âge il faut se trouver un métier » ou « au minimum ne pas dormir devant MA porte, ça ne se fait pas !»

 

Malheureusement le malotru n'est pas dans les parages. Une idée le traverse « Et si le mendiant s'était caché ?»

 

Il ne résiste pas au plaisir de se défouler sur quelqu'un verbalement en le rabaissant. Il a besoin de ce défouloir. Ses cibles ne se défendent jamais, trop impressionnées par son agressivité, du moins c'est ce que pense le petit homme.

 

Le jeune homme s'est caché parce que, quand il le rabaisse et lui interdit de dormir dans cette rue qui pourtant appartient à tout le monde, il a l'impression d'être retourné dans son pays. Il pense être redevenu le paillasson d'hommes moins intelligents que lui mais plus riches. Et cela le terrifie. Il a sacrifié son amour pour sa famille dans le but d'échapper à cette autorité. 

 

Il n'y retournerait pour rien au monde.

 

Alors, dissimulé derrière les poubelles, il attend que le monsieur rentre dans son appartement.

 

Mais l'homme fait demi-tour et traverse la rue. Il va s'adresser à la jeune femme sous le lampadaire.

 

— Bonsoir Mademoiselle, auriez-vous par hasard aperçu le mendiant qui campe devant cet appartement ?

 

Derrière sa poubelle, le jeune homme se crispe. Elle a tout vu. Elle va dire la vérité au petit homme et il va encore subir cette humiliation qui ravive la brûlure de sa honte.

 

Elle ne dit rien. Elle ne peut pas trahir le Prince. Elle sait ce que ferait le Père s'il l'attrape, il le tirera par le col jusqu'à leur château. Puis il le torturera pour avoir des informations sur la Flamme. Et si la Flamme tombe, la jeune femme sous le lampadaire tombe aussi. Elle ne le permet pas.

 

La Flamme ne doit jamais s'éteindre.

 

Voilà pourquoi elle ne révèle rien au Père. C'est trop dangereux.

 

Le petit homme est énervé. La jeune femme ne lui répond pas. Elle l'ignore...

 

Elle l'ignore ! Il est offusqué, lui qui a toujours pensé être un tombeur, un charmeur. Outré, il passe le pas de sa porte en râlant. Ce faisant, il bouscule une jeune fille qui sort. Elle s'excuse en souriant d'un air enjoué. Sa crinière rousse la transforme en feu follet dans les iris du petit homme. Mais son feuilleton l'attend, Maria va enfin accepter la déclaration de Juan, un épisode croustillant s'annonce. Il doit partir maintenant.

 

Le jeune homme sort de sa cachette et s'installe une nouvelle fois à même le sol. Il est soulagé et surpris. Pourquoi la jeune femme l'a-t-il aidé ?

 

Alors je serais vieux et je pourrais crever.

Je me chercherais un dieu pour tout me pardonner.

J'veux mourir malheureux, pour ne rien regretter.

 

Les dernières paroles de «Le Chanteur» de Balavoine tournent en boucle dans la tête de la jeune fille depuis qu'elle a quitté son père. C'est Mimine, sa grand-mère qui lui a fait écouter des musiques de Balavoine. À l'époque, la jeune fille était fière de connaître des chansons de la culture française, elle les trouvait belles. Maintenant, elle se sent comprise.

 

Cette voix est la seule chose qui parvient à la soulager, à reconstruire sa carapace, à maintenir l'illusion. 

 

À oublier.

 

Oublier les traces rouges qui zèbrent ses bras, les taches bleues ou violettes qui s'étendent sur son dos.

 

Oublier l'haleine pleine d'alcool de son père, la violence de son regard, de ses gestes et surtout de ses mots.

 

Oublier qu'elle a mal. Mal au cœur.

 

La journée, elle peine à jouer le jeu. Son cerveau tourne dans le vide. Elle se voit comme une coquille vide, inactive, inintéressante. 

 

Mais la nuit la protège, le froid convainc la plupart des passants de rentrer au chaud, les ténèbres la recouvrent et l'isolent et les quelques rares personnes encore dehors l'ignorent ou se révèlent sympathiques. La nuit, elle se sent bien. Pas dans sa peau. Mais bien.

 

Alors elle sourit. Par pour de faux. Pas cette fois-ci. Non. Elle sourit.

 

Le feu de la vie s'éteint peu à peu en elle, mais la nuit l'attise.

 

Elle se penche vers le jeune homme installé devant la porte d'entrée de son immeuble, il dort ici depuis déjà presque un an. Elle a fini par prendre l'habitude de lui parler lors de ses promenades nocturnes. Elle repère du coin de l'œil la jeune femme debout sous son lampadaire. Elle reste toutes les nuits debout. Sans un mot. Personne ne sait quand elle a commencé à passer ses nuits ici. Elle semble faire partie de la rue, aucun des habitués de la nuit ne peut seulement imaginer le quartier sans sa présence.

 

Pour la jeune fille aux poignets ensanglantés, sa présence ressemble à l'ombre bienveillante d'un ange gardien.

 

— Tu n'as pas trop froid ? Je peux t'apporter une nouvelle couverture si tu veux.

 

— C'est gentil. Je n'en ai pas... Comment vous dîtes ? Utile ?

 

— Tu n'en as pas besoin ?

 

— Oui, c'est ça. Je supporte bien le froid et puis je ne voudrais pas te priver d'une couverture.

 

— Mes parents ne remarqueraient même pas son absence.

 

C'est faux. Elle le sait. Sa mère ne dira rien. Mais son père... Elle préfère ne pas penser à sa réaction, à la ceinture qui se lève, au bras contracté qui file dans sa direction.

 

— Je te promets que je n'en ai pas besoin. Ne t'inquiètes pas pour moi.

 

Elle ne connaît pas son nom. Elle ne sait rien de lui. Elle sait juste que c'est la personne la plus gentille avec elle depuis leur rencontre. Alors elle lui sourit. Elle met tous les bons sentiments qui lui restent dans ce sourire. 

 

Elle resplendit.

 

Cette jeune fille est si belle. Le jeune homme est totalement tombé sous son charme. Il n'est pas amoureux, enfin, il n'en est pas sûr. Mais il est impressionné.

 

« Son sourire »

 

Elle communique toute la bonté du monde juste en montrant ses dents, par le simple retroussement de ses lèvres. Ses cheveux flamboient dans l'obscurité. Elle porte sa propre flamme, sa propre force. Le jeune homme se sent plus courageux juste en la regardant. Il aime discuter avec elle. Il se rend compte qu'il n'a pas encore tout perdu.

 

Qu'il a de la chance dans son malheur.

 

Pour prolonger ce sentiment le plus longtemps possible, il lui fait signe de s'asseoir à ses côtés. Elle refusera. Mais il aura essayé.

 

Doit-elle accepter ? Elle hésite. Elle aime beaucoup marcher, mais elle apprécie aussi énormément le jeune homme. Puis elle pense à son père, à ses traits tirés par la haine quand il la voit, à sa mère, qui n'ose même plus la regarder dans les yeux, à ses camarades, tous plus vicieux les uns que les autres, à ses professeurs et aux autres adultes qui ne peuvent pas comprendre ce qu'elle vit.

 

Et puis elle le voit. Lui.

 

Il ne la connaît pas. Il ne possède qu'une couverture miteuse. Et pourtant il lui offre la moitié de sa couverture. Juste pour parler un peu plus longtemps.

 

Son cœur se serre. Elle est heureuse. Vraiment. Mais un sentiment contradictoire la met au bord des larmes.

 

Cette gentillesse la fait fondre, certes, mais elle lui fait aussi réaliser qu'elle en a besoin et qu'elle en manque cruellement depuis deux ans. Depuis que son père la bat.

 

Les larmes lui montent au yeux. Elle a envie de pleurer mais elle se retient. Elle ne sait pas pourquoi. Est-elle trop habituée à son armure d'illusions pour laisser tomber les masques ? Peut-être.

 

Elle s'assoit presque timidement. Elle lui sourit encore une fois. Passe sa main dans ses cheveux. Baisse la tête. Elle est gênée. Mais il est trop tard pour faire demi-tour. Elle ne bouge plus, comme un lapin pétrifié devant les phares de la voiture qui lui fonce dessus.

 

Heureusement pour elle, il prend la parole.

 

— Ma famille me manque.

 

Surprise, elle relève la tête. Elle ne s'y attendait pas. Il fixe le ciel dénué d'étoiles. La mélancolie se lit sur ses traits. Il a un accent quand il parle. Elle l'avait déjà remarqué mais n'y avait pas prêté attention. Elle ne parvient pas à en trouver l'origine, mais elle aime ce son.

 

Elle ne sait pas si elle doit parler ou l'écouter. Un silence s'installe. Prenant son courage à deux mains, elle prend la parole.

 

— Moi, j'aimerais bien que ma famille me manque.

 

Elle ne sait pas dans quel but elle a prononcé ces mots. Mais elle l'a fait. Elle s'est dévoilée, un petit peu.

 

Il cesse de fixer la noirceur du ciel au-dessus de leurs têtes. Il la regarde, elle. Il a senti dans ses paroles tout son mal-être. Il a compris qu'il y avait un problème. Il l'a rencontré il y a seulement un an, il ne le sait pas mais il la comprend mieux que n'importe quel autre.

 

Elle ne lit aucune pitié dans ses yeux. Non, elle y lit de l'amitié, de l'amour, un appui, un soutien. Tout juste une lointaine compassion.

 

— Je peux ?

 

Elle ne sait pas quoi dire. Elle ne comprend pas ce qu'il veut dire. Elle hoche la tête, sans raison, parce qu'il fait nuit et que la nuit n'a pas besoin de raison ni de logique.

 

Il souhaite l'aider, la soulager. Il se penche doucement vers elle et, très délicatement, l'entoure de ses bras. Il pensait l'aider mais il se rend compte qu'il s'est aidé lui-même. Il avait désespérément envie d'un contact. Depuis qu'il a quitté sa famille, il n'a jamais approché quelqu'un d'aussi près.

 

Elle résiste un peu, crispée. Puis son menton se met à claquer frénétiquement sur l'épaule du jeune homme. Elle tremble de tout son corps. Ses barrières, ses défenses se brisent. Son armure se fissure.

 

Une larme coule.

 

Puis une autre et encore une autre. Les larmes s'enchaînent.

 

Elle se laisse aller sur son seul appui, un presque-inconnu.

 

Et cela lui fait du bien. Vraiment.

 

Son père ne la prendrait jamais comme cela, dans ses bras. Sa mère fait comme si elle n'existait pas. Comme si elle n'était qu'un mirage.

 

Elle ne comprend plus la signification du mot « famille ». Elle sait juste que dans son cœur, elle n'a plus de famille.

 

Elle s'est laissée aller. Il n'y croyait plus. Elle se crispait alors il pensait qu'il la dérangeait. Honteux, il s'apprêtait à la lâcher quand il a remarqué son tremblement incessant. Puis il a senti les larmes dans son cou et les bras autour de lui qui le serraient de toutes leurs forces. Au lieu d'enlever ses mains et de s'écarter, il l'a serré plus fort. Contre son cœur.

 

Il voulait être son appui mais il n'a pas résisté. Il voulait être fort pour elle mais il a faibli.

 

Il pleure.

 

De toute son âme, de tout son cœur, il pleure.

 

Il se raccroche à elle, comme s'il se noyait. Il se raccroche à elle parce qu'en une seule nuit, elle est devenue sa bouée. Il sent qu'il a perdu pied et qu'elle aussi. Donc ils se soutiennent mutuellement, se maintiennent ensemble la tête hors de l'eau.

 

Un souffle lui frôle le cou tandis qu'un murmure monte à ses oreilles.

 

— Comme un fou va jeter à la mer, des bouteilles vides et puis espère, qu'on pourra lire à travers, SOS écrit avec de l'air.

 

Une chanson.

 

Il frissonne. 

 

Elle aussi. La musique se pose sur ses plaies ensanglantées et les désinfecte. 

 

Les mots les font pleurer de plus belle.

 

Ils lâchent prise. Ils se laissent couler. La chanson devient leur dernier espoir. Ils s'y raccrochent.

 

Ils se sont trouvés. Ils ne se lâcheront plus jamais.

 

Chacun a longtemps rêvé d'un soutien qui apparaîtrait mystérieusement et les sauverait. Ils savaient qu'ils leur manquaient quelque chose sans parvenir à définir cette chose. Maintenant, dans les bras l'un de l'autre, ils ont enfin compris.

 

Ils leur manquaient l'amour.

 

Le Prince et la Flamme restent enlacés de longues heures sous les yeux de leur ange gardien, de leur unique spectatrice. Elle les surveille et veille à ce qu'il ne leur arrive rien à présent. La Flamme a failli s'éteindre. La Flamme est une déesse, partie sur cette planète pour comprendre les humains, elle souffre de cette compréhension. Le Prince mène une vie de fugitif, il échappe à son Père car celui-ci souhaite éteindre la Flamme. Mais le Prince a bien compris qu'en éteignant la Flamme, son Père condamnera la planète toute entière. Car la Flamme a tressé le fil de sa vie avec celui de l'Univers. En coupant l'un, l'autre est coupé. Tout repose sur la Flamme. Il faut qu'elle survive. Il faut que le Prince la protège.

 

Elle, l'inlassable spectatrice, a déjà saisi toute la teneur de la vie qu'elle observe.

 

Mais qui est-Elle ?

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Reglisse000
Posté le 01/07/2024
Super, continue comme ça ! J'adore ton écriture, elle plonge le lecteur dans l'histoire, et après on ne peut plus s'arrêter de lire. J'ai hâte que la suite sorte
Roudouda
Posté le 06/07/2024
Merci pour ton message qui me fait chaud au cœur ! J'espère que tu apprécieras tout autant la suite...
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