Il y a de cela fort, fort longtemps.
‒‒ J’avoue ne pas comprendre.
La guérisseuse se tourna vers Tess, le visage tendu et les yeux troubles, sa main pleine d’un chiffon humide encore posé sur le front brûlant de sa patiente.
Ne sachant trop quoi faire d’autre, elle plongea une fois de plus le carré de lin dans le seau d’eau fraîche posé à ses pieds. Elle le tordit et en tamponna le visage de la malade ; globe rouge, crispé et suant sous les poils des couvertures et sur les plumes de l’oreiller.
Tess peinait à reconnaître sa femme dans ce bloc de souffrance.
Resté debout, les mains entrelacées en combat d’araignées, impuissant, il voyait le dos de la renoueuse se courber, se dresser puis se courber encore pour tamponner, replonger, tordre et de nouveau poser le tissu imbibé dans l’espoir de faire enfin retomber le feu qui animait le corps de Manta depuis plusieurs jours.
‒‒ Je ne sais pas ce qu’elle a, reprit l’Uddrie. Chaque jour les manifestations sont différentes, hier le mal de ventre, aujourd’hui la fièvre, son état empire et je ne sais dans quelle direction aller pour l’aider.
Par acquis de conscience, elle souleva les couvertures et palpa la malade ; les bras, les jambes, le ventre, à la recherche d’une anomalie. Elle avait déjà fait cette inspection la veille sans rien trouver à dire, mais elle préférait espérer une réponse, même tardive, que de s’avouer ainsi perdue. La manipulation était difficile, le pauvre corps se vrillait ou se recroquevillait à chaque toucher afin d’échapper à la douleur que provoquait la plus fine pression de doigts.
Tess détourna le visage, les larmes aux yeux.
La guérisseuse abandonna son entreprise, elle ne trouvait rien et craignait d’empirer le mal en mettant à trop grande épreuve ce corps déjà harassé.
― Peux-tu m’apporter l’eau bouillante ? demanda-t-elle. Je vais lui donner la même préparation qu’hier. Cela ne la guérira pas, mais devrait au moins atténuer les douleurs et l’aider à s’endormir.
Tess s’éloigna du lit et rejoignit le centre de la chaume. Au dessus du feu rougeoyait le bronze d’un chaudron. Les gestes tremblants, il plongea un bol dans l’eau grondante pour le remplir, le ressortit fumant et en essuya le bord d’un coup de chiffon. Le bruit des bouillons soulevés et secoués par la chaleur des flammes couvraient les gémissements de sa femme, alors il resta un peu. Mais très vite il eût honte de cette échappée et s’en retourna vers la couche.
Il posa le récipient sur le tabouret de chevet, au milieu des herbes et ustensiles de médecine que l’Uddrie y avait déjà déposés.
La vieille femme se saisit de sa sacoche aux milles poches et y farfouilla pour en retirer un tout petit carré d’étoffe. Elle le déroula du bout des doigts pour le positionner bien à plat sur le tabouret et déposa en son centre un assemblage d’herbes et d’épices choisis selon un savoir qu’elle seule possédait dans la région. Elle replia les quatres coins vers le centre et d’un fil referma le tissus sur le mélange avant de plonger le tout dans l’eau bouillante que Tess lui avait apportée.
Des cheveux d’ocre, de vert et de cendre s’effilèrent dans le bol jusqu’à se mélanger et colorer l’ensemble du breuvage. L’Uddrie unit alors ses mains et les frotta doucement l’une contre l’autre en murmurant un chant que nul autre qu’elle et les dieux ne pouvaient comprendre. Sa voix se mélangeait aux râles de Manta, s’y accordait puis se posait, les attirants à elle pour mieux les atténuer.
Lorsque le chant arriva à sa fin, le souffle de Manta s’était calmé. La guérisseuse lui redressa délicatement la tête et la fit boire, gorgée par gorgée, le contenu du bol.
Tess vit le visage de sa femme se détendre peu à peu, le soulageant de ses propres tensions.
Alors que l’Uddrie reposait la tête de Manta sur l’oreiller, Tess la vit plonger rapidement dans le sommeil et il s’effondra de peine et de soulagement mêlés sur le bord de la couche.
Des larmes s’accumulaient dans les plis de ses yeux qu’il essuya d’un revers de manche.
La guérisseuse rangea ses herbes et ses pots dans son sac et, se levant, se tourna vers lui.
― Aujourd'hui est le jour le plus long et ce soir, pour la nuit la plus courte, nous célébrerons le grand astre. Viens au Brasier et au festin. Apporte du bois, plus que tous les autres, sacrifie l’un de tes moutons et partage-le. Danse et chante. Peut-être les dieux t’entendront-ils et vous offriront-ils une guérison. Mon pouvoir à moi s’arrête là.
Elle s'apprêtait à quitter la chaume mais alors que son regard croisait celui de Tess, elle comprit qu’il manquait encore quelque chose.
― Tu as une question à me poser, lui dit-elle.
Elle attendit.
Triturant sa tunique, Tess se décida enfin.
― Est-ce que l’ours est un bon ou un mauvais présage ? demanda-t-il en relevant les yeux vers elle.
Les sourcils de l’Uddrie sautèrent de surprise.
― L’ours ? Pourquoi l’ours, tu en as vu récemment ?
Le regard de Tess replongea vers le sol.
― Il y a quelques jours, des empreintes d’ours sont apparues autour de ma ferme. Puis d’autres les ont rejointes, de plus en plus proches. Cerdo le vieux me dit que les ours sont des change-face, que je dois me méfier. Blanda la sage me dit qu’ils sont des protecteurs, que je peux espérer un avenir meilleur. Garos me dit qu’un ours est un ours, qu’il a sûrement sentit l’odeur de la nourriture mais partira s’il ne trouve rien à peu de risques.
Le silence s’installa tandis que l'Uddrie dévisageait Tess.
― Les trois réponses peuvent être justes, reprit-elle finallement. Va au Brasier ce soir, c’est important. Mais fait attention à bien laisser ton foyer allumé en partant et à le fournir assez pour qu’il ne s’éteigne pas de la nuit. Le feu éloigne les mages, les change-face et les margueuls, il protègera ton foyer. Prends une torche sur ta route et veille à ce qu’elle éclaire toujours tes pas ; suis les feux de chemins et veille à ce que rien ne t’en éloigne. Au banquet, prie les dieux et les fées de t’aider, et reviens à ton foyer sans te retourner.
Tess acquiesca et l’Uddrie, cette fois, s’éloigna. Arrivée à la porte de la maison, elle se retourna une dernière fois.
― Je reviendrai demain matin, annonça-t-elle.
Puis elle sortit, refermant la porte sur elle, laissant Tess seul aux côtés de sa femme artificiellement endormie.
Je passe par ici, pour cause de HO. Mais pas que. Quand j'ai vu que tu étais sélectionnée dans la catégorie que je voulais commencer, je me suis dit "chouette, d'une pierre 2 coups, lire Itchane ET avancer les HO" :)
J'aime retrouver les images que tubsaisbsi bien créer, et ce 1er chapitre propose beaucoup en peu de temps. Magie, foyer, et toutes ces sensations, je me suis régalé :)
Je sais aussi que sur ce texte, tu acais décidé d'écrire autrement, plus vite peut être je crois, et j'ai eu un peu l'impression de te voir creer au fur et à mesure. J'ai trouvé le tout tout début (quelques 1ères phrases) confuses (Tess aurait pu être une femme, donc je comprenais pas qui était malade, qui était la femme, si noueuse était un métier, etc etc...). Pyis après, ça décolle, ça décolle fort. Mon moment préféré est ce moment de faiblesse où il s'assourdit de bruit, puis la honte. Oui, c'est juste. J'aime bien quznd c'est juste.
À bientôt et merci pour ce beau texte!
Et bien, voilà un chapitre qui pose des questions sans donner de réponses ! (idéal pour un premier chapitre bien sûr!) :)
Je me demande ce que signifie les ours, moi aussi... mais j'espère qu'ils sont de bons présages !
Je découvre par hasard cette histoire et elle va rejoindre ma PAL.
Il y a des dieux, des fées, des sorcières (oui, vu que je ne suis pas censée savoir que c’est une druide, pour l’instant, dans mon imagination, l’Uddrie est une sorcière :-) ), mais aussi un monde très concret où une femme transpire parce qu’elle a de la fièvre. Je découvre la poésie de ton écriture (par exemple, j’adore « Des cheveux d’ocre, de vert et de cendre s’effilèrent dans le bol » ).
J’aime bien le fait que ça commence par un acte de soin et qu’on découvre les personnages par cette situation concrète, que tu décris très bien, qui nous met tout de suite dans l’action.
J’ai lu les autres commentaires et tes réponses. Le côté mystérieux de cette Uddrie, ainsi que ce cadre spatio-temporel qu’on ne situe pas tout à fait, ça me plaît plutôt bien. Il me semble que tu en dis assez pour qu’on se sente en empathie avec les personnages et qu’on saisisse les enjeux. Bref, une tension dramatique est mise en place et j’ai très envie d’en savoir plus.
Détail technique – on ne peut pas t’en vouloir de l’ignorer, mais quand un-e malade a de la fièvre, on le/la découvre. La mention des « poils de couverture » me fait supposer qu’elle a des couvertures de peaux de bête : la première chose que ferait une soignante, ce serait de remplacer ça par un drap de coton plus fin, par exemple.
Je termine en relevant quelques coquilles :
dans le sceau d’eau fraîche → dans le seau
gestes tremblant → tremblants
Mon pouvoir à moi s’arrête-là → s’arrête là
Le silence s’installa tendit que l'Uddrie dévisageait Tess -> tandis que
pries les dieux et les fées de t’aider → prie
’Udrrie, cette fois, s’éloigna → l’Uddrie
A bientôt :-)
Merci pour ton message qui m'encourage beaucoup !
Je peine parfois à avancer et ce genre de commentaires me remotive beaucoup ^^
Merci aussi pour le relevé des coquilles, j'ai changé tout ça.
Quant au drap, merci aussi pour ce détail que j'ignorais effectivement, je verrai pour changer cela en réécriture : )
Et bien j'espère que la suite te plaira, l'ambiance va "un peu" changer, haha, mais on retrouvera Tess et sa femme régulièrement au fil des chapitres.
À bientôt alors, et merci encore !
Ce premier chapitre me plait, dans son aspect vieille chaumière, guérisseuse et folklore. C'est agréable à lire et on se demande bien ce que va apporter cet ours rôdeur, bon ou mauvais présage, dans les environs.
Je vais lire la suite,
A très vite !
merci de passer par ici, de lire et de commenter : )
Cette histoire, de Tess, et une histoire un peu parallèle à l'histoire principale, la narration va alterner entre les deux, j'espère que les deux univers te plairont !
Hahaaaa, je ne dis rien pour l'ours rôdeur ; )
Merci encore !
C'est choueeette ^^ C'est fait, je veux connaitre la suite. Premier chapitre hyper prometteur ! :D
Les émotions passent avec justesse, je me suis représenté très facilement la scène, les personnages... Plume toujours très agréable, mots choisis avec justesse et l'ensemble est fluide.
J'aime cette entrée directe dans l'histoire, et j'adore les passages de guérisseurs qui manipulent des herbes.
À bientôt par ici, donc ^^
Au banquet, pries les dieux et les fées de t’aider, et reviens à ton foyer sans te retourner. --> prie (impératif présent ?)
J'ai revu le mot autour écrit "autours". Pas de S pour moi, c'est un adverbe.
Ouah, te voilà déjà sur "Feux" ! Mais merci ouh la la !
Tu découvres ainsi un tout autre univers que celui de Lili ^^"
Ça me fait super plaisir de te voir ici.
C'est une histoire que j'écris un peu plus en impro, je ne sais pas toujours bien où je vais avec tout cela, alors j'espère que ça te plaira !
N'hésite surtout pas à le dire s'il y a des choses qui ne vont pas...
Raaah ce fameux "autour" ça m'énerve de me tromper à chaque fois, dans TOUTES mes histoires, c'est dingue ! Merci de l'avoir relevé !
A plus : D
Je trouve ce début très bien mené. Commencer en pleine scène de guérison, ça immerge directement le lecteur. Quant à ces traces d'ours à la fin du chapitre, ça intrigue aussi, et je pense que c'est là l'une des qualités les plus importantes d'un incipit ! D'autant que le tien pose le ton en parlant d'entrée de guérisseuse.
J'ai une petite remarque plus de l'ordre du détail que de la structure. Tes premières lignes sont :
"‒‒ J’avoue ne pas comprendre et ne savoir que faire.
La guérisseuse se tourna vers Tess, le visage tendu et les yeux troubles, sa main pleine d’un chiffon humide encore posé sur le front brûlant de sa patiente.
Ne sachant trop quoi faire d’autre"
J'ai trouvé une redondance entre le "ne savoir que faire" et le "Ne sachant trop quoi faire d'autre". Je pense que ta première phrase/réplique peut se suffire à "J'avoue ne pas comprendre"
Bonne écriture ;)
Ça me fait super plaisir de te voir ici, merci beaucoup ^^
Je suis contente que cette entrée en matière semble fonctionner. Il va y avoir une alternance entre le "il y a longtemps" et le "aujourd'hui" de la suite dans la narration, on va donc retrouver Tess et compagnie assez vite.
Tu as peut-être raison pour cette phrase du début qui n'avait déjà pas convaincue une autre plume, peut-être devrais-je la simplifier effectivement, oui je vais faire ça.
Merci encore !
Comme promis, me voilà.
Ce début emplit de chagrin ! On sent la tristesse de Tess, son besoin de s'éloigner de la souffrance afin de reprendre son souffle, la culpabilité qui s'ensuit... cela m'a brisé le coeur, tant c'est une réponse humaine, et l'une des premières fois que je la vois décrite aussi justement.
Plus en détail, quelques petites remarques :
J'ignore ce qu'est une Uddrie ; une sorte de guérisseuse, une renoueuse, mais quelles sont ses particularités ? Est-elle magique, avec des capacités spéciales, où est-ce le nom donné aux guérisseuses de la région ? Quelques phrases en passant pourraient aider. Mais je suis content'e de découvrir le mot !
La première phrase indique un plongeon direct dans un temps ancien, ainsi que l'indique le chapitre. J'ai un peu buggé dessus, peut-être rajouter une virgule après "comprendre" ? ou bien remplacer "et ne" par "ni" ? Enfin, je chipote (surtout parce que c'est la première phrase d'ailleurs.)
Question orthographe et grammaire :
°Répétition du verbe "faire" durant les premières lignes.
°Revient à ton foyer => "RevienS" (impératif)
°Je reviendrais demain matin => ReviendrAI, c'est du futur, pas du conditionnel.
En ce qui concerne le chapitre en lui-même, il est intéressant et mystérieux, plongeant directement dans un univers de magie pas toujours bienveillante, avec des maladies inconnues dont j'ai hâte de découvrir l'origine et le nom !
J'aime beaucoup la question des présages, on sent que tu as fait des recherches, et c'est un sujet qui m'a toujours fasciné : l'analyse des messages des divinités ou de la nature, la symbolique des choses.
Ta plume fluide et un début d'histoire très efficace donnent un très bon Prologue qui pousse à cliquer sur le chapitre suivant pour découvrir Sorc, et en quoi Tess, Manta et l'Urddie seront liés au présent !
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire : )
Je note précieusement que le personnage de l'Uddrie reste fort mystérieux, peut-être trop. Normalement on le retrouve un peu plus tard, car ce petit monde du "il y a fort longtemps" va revenir régulièrement entre les chapitres, je verrais si j'ajoute des infos dès ce premier prologue ou si je les laisse se diffuser petit à petit comme j'avais tenté de le faire... ce n'est pas évident à doser.
Merci pour le relevé des fautes, je vais corriger cela ^^"
Je suis contente de voir que globalement ce prologue semble fonctionner et donne envie d'en savoir plus, ouf !
merci encore beaucoup pour ton message,
à bientôt : )
Alors déjà, j'ai avalé sans respirer (ou presque, t'inquiète) le prologue et le premier chapitre, et j'en aurais voulu plus !
Sur le prologue, je ne vais pas avoir grand chose à dire de constructif : j'ai plongé tout de suite dans cette atmosphère médiévale et mystérieuse. En quelques mots, tu plantes un décor dans lequel je me suis très facilement projetée. Et comme on est tout de suite dans l'action, l'immersion est encore plus rapide. J'étais de tout cœur avec cette femme qui souffre et surtout avec son compagnon qui souffre pour elle. Quant à la guérisseuse, ou l'Uddrie plutôt (pas compris si c'était sa fonction ou son nom, mais aucune importance), je trouve ça bien qu'elle reconnaisse arriver au bout de ses capacités. La bascule vers l'occulte m'a beaucoup plu, en particulier l'histoire des empreintes d'ours. Tess va-t-il respecter à la lettre les instructions de l'Uddrie ? Je soupçonne qu'on ne le saura que dans très longtemps, puisque c'est le principe d'un prologue que de rester mystérieux.
En tout cas, le tien fait parfaitement le job : il happe le lecteur et donne très envie de continuer !
Et je retrouve ta plume avec beaucoup de plaisir : bien que différente de ce qu'elle est dans Miroir d'eau, elle est toujours empreinte d'une poésie un peu... organique, due, je pense, à sa simplicité douce (ou à sa douceur simple ? XD). Simple étant bien entendu un compliment qui n'enlève rien à sa richesse : tu as juste le don d'aller droit au but, sans détour mais sans heurt.
merci pout tes messages, cela me fait super plaisir ! En plus ce sont les premiers que je reçois sur ce texte, alors j'étais un peu stressée, haha.
Pour tout dire sur ce prologue c'est plutôt une histoire en parallèle, on va la suivre de temps en temps, donc tu auras des nouvelles assez vite ^^
Et pour l'époque je pensais nous emmener encore plus loin que le médiéval, vers les gaulois. En fait Uddrie est un anagramme de Druide et je ne sais plus trop pourquoi j'ai pas mis "druide"... parce que je n'avais pas envie qu'on me reproche de ne pas avoir fait la moindre recherche historique je crois x'D
Normalement la suite de cette histoire dans l'histoire devrait être plus claire sur l'époque (ils vont boire de la cervoise : P).
Je suis contente si cette mise en bouche t'as plu ! : )