Ses longs cheveux noirs lui fouettaient le cou et le visage, soulevés par le vent. Elle sentait l’air s’engouffrer dans ses vêtements, caresser sa peau et glisser entre ses doigts. Puis elle ouvrait les yeux et le ciel se déchirait dans un tourbillon de nuages anthracite. Le tonnerre s’accompagnait d’un bruit fracassant qui vibrait dans la roche sous ses pieds nus. Les vagues s’écrasaient en contrebas, projetant les embruns jusqu’à ses jambes. Son corps était à la merci du vide, si près de tomber de la falaise. Pourtant, elle ne baissait pas les yeux. Elle les gardait rivés sur le ciel, car elle savait qu’il allait venir. Elle allait bientôt l’apercevoir.
Un éclair explosa l’horizon jusqu’à faire trembler la roche. Son cœur s’emballa, impatient. Elle guetta le ciel qui s’embrasait de nouveaux éclats de lumière. Les nuages scintillaient l’espace d’un instant, une silhouette sombre se dessina en leur sein. Elle le voyait à présent. Ses yeux, sans crainte, suivaient sa silhouette qui plongeait depuis les cieux pour voler droit vers elle.
Le dragon venait pour l’emporter, et elle lui souriait.
Une chaleur vive sur ses paupières contrastait avec le vent froid du songe. C’était les premiers rayons du soleil qui, ajoutés à la tiédeur de la pierre sous sa joue, achevèrent de tirer Windane du sommeil. Elle resta les yeux fermés, essayant de se rappeler les sensations de son rêve, en vain. Une odeur de brûlé avait remplacé le sel de l’océan, alors elle se décida à bouger et s’écarta de la cheminée qui l’avait abritée du vent. Après le départ de Lyron, elle n’avait pu se résoudre à regagner l’auberge, préférant se réfugier sur son toit pour guetter les limites de la ville sans risquer de happer les émotions d’un autre.
La petite cité de Watz s’étendait entre deux pics aux pentes recouvertes d’une forêt de sapins. On apercevait quelques troupeaux sur les prairies qui entouraient la palissade, une poignée de pêcheurs qui quittaient l’enceinte pour descendre jusqu’au lac. Un tableau paisible, digne des aquarelles qui illustraient les livres de Naelle : rien ne laissait penser qu’un danger menaçait la ville.
— Maître Protecteur ! Ohé !
Il fallut quelques instants à Windane pour comprendre que les cris lui étaient destinés. Un jeune homme à la peau hâlée et au visage tacheté de son lui faisait signe devant le gîte. Elle se redressa et s’approcha du bord du toit.
— Je suis venu vous chercher ! Hallonas nous attend ! Non ! Attendez ! Ne sautez…pas.
Elle avait atterri à ses côtés avant qu’il ne termine sa phrase, retenant sa capuche de la main pour cacher son visage.
— Eh bien, si ce n’est pas de la magie… souffla-t-il.
— Qui est Hallonas ?
— Il dirige les miliciens en l’absence de Miaph et de Maître Lyron, il nous attend pour répartir les postes de surveillance. Moi, je suis Len. Vous avez rencontré mon père et ma sœur, qui tiennent l’auberge de Soussepier…
Windane hocha la tête et se mit en route.
— Je ne travaille pas avec eux, car j’ai rejoint la milice depuis peu, expliqua le jeune homme en pressant le pas pour la suivre.
Elle risqua un coup d’œil dans la direction de Len, devina la ressemblance avec Mezoa dans ses traits arrondis. Il était plus jeune qu’elle et son corps élancé n’avait pas encore gagné la carrure des autres miliciens. Il semblait flotter dans son armure de cuir.
— Puis-je vous demander votre nom, jeune maître ?
Windane hésita. Elle baissait la voix et ne s’exprimait guère, de peur de trahir son secret, mais il fallait bien faire quelques efforts. Alors elle marmonna son nom d’emprunt, arrachant une lettre à ce qu’elle était vraiment pour taire sa féminité.
— Windan.
— Alors je peux vous appeler Maître Windan ? demanda-t-il avant de se réjouir devant son hochement de tête maladroit. Vous êtes le premier apprenti Protecteur que je rencontre, c’est vraiment incroyable ! D’habitude, les jeunes sont formés à l’Académie… Vous devez être spécial, pour que Maître Lyron vous ait pris avec lui ?
Seul un haussement d’épaules lui répondit. Le garçon ne tarda pas à comprendre qu’il était vain d’insister.
Parvenus à la Porte des montagnes, ils retrouvèrent quelques gardes en armure de cuir. Chacun d’eux inclina la tête à l’approche de la cape violine.
— C’est un honneur de vous avoir à nos côtés, commença Hallonas. J’espère que nous serons dignes de vous servir. Maître Lyron nous a confié que votre intuition pourrait nous prévenir du danger ?
Windane se contenta de hocher la tête.
— Il n’est pas très loquace, commenta Len en ricanant.
Les autres le firent taire d’un regard désapprobateur.
— Cyrus et Nassir remplaceront Roch et Lyderic à la porte Ouest, reprit Hallonas. Je me charge de la Porte des Montagnes avec Zathuyn. Len, tu resteras avec Maître Windan sur le chemin de ronde. Nous devons rester vigilants. La nouvelle va vite se répandre que nos défenses sont affaiblies, ça risque d’encourager les voleurs. Cela vous convient-il, jeune Maître ?
— Je n’ai pas besoin de protection…
— Je m’en doute. Mais nous avons pour habitude de répartir les hommes par équipe de deux, surtout quand ils sont peu expérimentés, ajouta-t-il d’un regard vers le plus jeune d’entre eux.
Même si devoir faire équipe avec lui ne l’enchantait guère, Windane ne pouvait pas refuser de veiller sur le frère de Mezoa. Les miliciens la saluèrent une dernière fois avant de gagner leur poste et Windane se retrouva seule en compagnie du garçon.
— Alors, vous avez des intuitions, comme Maître Lyron ?
Elle acquiesça d’une voix à peine audible, tandis qu’ils se dirigeaient vers le chemin de ronde, à l’orée des bois. Déçu par son mutisme, Len poussa un soupir.
— Eh bien, la journée va être longue…
Il tenta à maintes reprises de discuter avec elle, mais Windane évitait le dialogue autant que possible, ne répondant que par monosyllabes la plupart du temps. Elle finit par prétexter un besoin de silence pour se concentrer sur son intuition, au grand désespoir du jeune homme fasciné par sa magie.
Le plus dur pour Windane n’était pas tant de fuir la conversation que de se concentrer sur un don qu’elle n’était pas certaine de posséder. Elle n’était pas devin et son intuition n’était pas aussi puissante que celle de Lyron. Elle n’avait même aucune idée du danger qu’elle était supposée prévenir. Elle passa la journée à observer les alentours, à guetter un signe dans le vent, comme Lyron le faisait. Hélas, il n’y avait qu’un souffle froid sur sa peau, aucun message divin à écouter. Plusieurs fois, elle sauta d’un bond sur les toits pour observer plus largement la forêt environnante. Ses sauts provoquaient les exclamations admiratives du jeune milicien, renforçant le malaise qu’elle éprouvait. L’obscurité tomba comme une libération, le soir venu.
Les habitants de Watz se regroupaient dans la rue principale du village et avançaient ensemble en direction du Temple. De nouveau perchée sur le faîte de l’auberge, Windane observa les retardataires se hâter vers ses colonnes de pierre. Le Prêcheur avait commencé son discours de soutien aux familles des mineurs, elle entendait l’écho de sa voix portée par le vent. Bientôt, les habitants de Watz reprirent en cœur la prière des Fondateurs.
La plupart des miliciens avaient rejoint le Temple pour y participer. Ils avaient tous un frère ou un cousin dans la mine, pour lequel ils voulaient demander grâce aux Dieux. Il ne restait plus que deux hommes pour garder les portes du village : Hallonas, à l’ouest, et Nassir, son meilleur archer, à la porte des montagnes. Perchée sur son toit, Windane observait leurs silhouettes impatientes qui erraient devant la lueur des torches. Elle imaginait leurs regards portés vers le Temple, leurs prières murmurées en écho à celles du Prêcheur. Windane était incapable d’en faire de même : sa foi s’était tue le jour où le Prêcheur de Belledanne avait regardé les enfants la frapper sans réagir. Elle ne parvenait, depuis, à ne réciter qu’un seul mot du bout des lèvres, le dernier de la prière.
— Wamaden.
Ce fut à cet instant précis qu’une chaleur se répandit dans sa nuque. Par les flammes ! L’énergie sifflait à ses oreilles, réveillant les braises étouffées dans sa poitrine. Windane se redressa, aux aguets. Le feu pulsait, il poussait pour se libérer. Elle concentra son attention sur la forêt, espérant déceler la menace qui l’avait réveillé. Sans magie, elle restait aussi aveugle qu’un autre. Pouvait-elle se permettre… Oui, il le fallait. Elle avait appris avec Lyron. Elle pouvait y arriver.
Lentement, elle desserra l’étreinte qui retenait le feu, libérant un peu de son énergie pour nourrir son regard. Une brèche se fendit, quelque part dans sa poitrine, qu’elle ne prit pas le temps de refermer. La forêt, soudain, se paraît de silhouettes masquées, les branches se changeant en arcs et en épées. Le vent siffla sous forme d’une flèche.
Hallonas !
Windane bondit sur l’appentis des écuries et se mit à courir sur les tuiles, tandis que la chaleur se répandait dans ses veines. La vitesse lui permit de s’élancer jusque sur un toit de la rue principale. Elle continua sa course à toute allure, fila de poutre en cheminée jusqu’à la porte ouest. La silhouette du milicien se dessinait dans la lueur de la torche : il fixait l’horizon depuis le poste de garde, ignorant le danger.
— Hallonas !
Le milicien sursauta et regarda autour de lui, intrigué par le cri. Il se retourna juste à temps pour voir une silhouette sombre foncer sur lui. La cape Violine le percuta de plein fouet et le repoussa contre la palissade. Il jura lorsque son crâne percuta les planches. Au même instant, une boule de feu surgit de l’ombre pour finir sa course dans le poing de Windane.
— Des flèches incendiaires. Le village est attaqué.
Hallonas resta bouche bée tandis qu’elle laissait retomber le projectile encore fumant. Puis, ses paroles firent sens et il se redressa en prenant conscience de l’urgence de la situation.
— Je dois donner l’alerte ! Merci, Maître Windan, sans vous…
Elle pivota sous sa capuche en silence tandis qu’il s’emparait du cor à sa ceinture. Il y souffla par deux fois pour briser la quiétude de la nuit et résonner en écho entre les monts. L’instant d’après, deux flammes sifflèrent au-dessus d’eux pour venir se planter dans le faîte d’un chalet.
— Ils vont mettre le feu au village ! s’exclama Hallonas.
— Je m’en occupe.
La cité s’emplissait de cris à mesure que le Temple se vidait de ses fidèles. Windane bondit sur les toits pour éviter la bousculade alors que les gardes se précipitaient pour rejoindre leur chef. Deux nouvelles flèches incendiaires passèrent au-dessus d’elle. La première s’écrasa sur le mur de pierre d’une échoppe ; la suivante fila droit sur une écurie. Le feu se répandit au foin et aux charpentes. Trop tard pour l’arrêter. Windane s’empara des deux flèches à sa portée dans le toit et, serrant les dents face à leur appel, étouffa les flammes sous ses poings. Le feu hurlait de se répandre à son tour, attisé par la chaleur et l’adrénaline qui battait dans ses veines. Non, pas cette fois. Windane le repoussa fermement dans sa tanière. Elle ne serait pas démon. Elle serait Protecteur.
La demi-douzaine de gardes peinait à contenir l’attaque à l’entrée du village. La maigre porte n’avait pas tenu ; leurs assaillants étaient trop nombreux. Des étincelles filaient dans la pénombre là où les lames se rencontraient, dans le tumulte des voix et des boucliers qui s’entrechoquaient. Au milieu de cette foule, Hallonas luttait seul contre deux hommes masqués. Là. Windane n’avait ni dague ni épée, mais, la falaise de Sashanka en soit témoin, elle avait des poings ! Elle s’élança dans la mêlée, glissant comme une ombre entre les hommes pour frapper de toutes ses forces dans le genou d’un ennemi. L’os craqua sous le choc, soulageant Hallonas d’un adversaire. Windane fila pour apporter son aide à d’autres. Elle leva le bras pour bloquer une épée qui avait manqué d’éborgner Len, bouscula un autre milicien pour lui éviter une flèche. Elle brisa encore un ou deux genoux avant de se redresser devant Nassir, qui la remercia d’un hochement de tête. Elle se figea, hagarde. Le feu battait à ses tempes, le vent sifflait à ses oreilles, portant un cri différent des autres.
— Mezoa ?
La fille de l’aubergiste n’était pas là, elle le savait. Alors pourquoi ? Elle posa de nouveau les yeux sur Nassir, et elle comprit.
— La porte des montagnes…
Si l’archer avait quitté son poste, l’entrée Est n’était plus protégée. C’était ce qu’espéraient les pillards. Ils n’avaient rien à gagner d’une attaque frontale. Même s’ils venaient à dépasser les défenses de Watz, les gardes les rattraperaient pour empêcher les pillages. Les flèches incendiaires n’étaient qu’une diversion : d’autres avaient pénétré dans Watz par le chemin qui longeait l’auberge de Soussepier.
— Stanafen !
Len redressa la tête en entendant le nom de son père, suivit des yeux la cape violine qui bondissait hors de la bataille pour s’éloigner vers l’Est. Windane fonça à perdre haleine entre les toits et les ruelles. Elle laissa la magie-flamme renforcer ses jambes pour aller plus vite encore.
Stanafen sera mort avant l’été.
Pouvait-elle arriver à temps pour empêcher la prédiction de Lyron ? Pouvait-elle prévenir Mezoa ? Elle se concentra sur l’horizon, espérant capter son esprit malgré la distance. La chaleur flottait sur sa peau, incapable de prendre son envol. Il fallait la nourrir davantage. Windane souffla pour libérer un peu plus d’énergie. Le feu gronda en filant vers sa proie au cœur de l’auberge. Presque aussitôt, elle sentit le lien répercuter en elle des émotions familières.
Peur, colère et frustration. De quoi ravir le brasier qui montait dans son sang. Soudain, c’était comme si Mezoa était en elle. Comme si elle partageait son corps.
Au moment de l’alerte, la fille de l’aubergiste n’avait pas suivi son frère dans la bataille, ni les femmes vers l’incendie. Elle avait été la première à comprendre qu’il s’agissait d’une diversion. Elle avait couru vers l’auberge, vers cette dague qu’elle avait cachée à l’insu des siens. Hélas, les pillards avaient croisé sa route avant qu’elle n’ait eu le temps de rejoindre sa cachette. Deux hommes l’avaient acculée dans la cuisine, un sourire goguenard sur le visage tandis qu’ils la plaquaient contre le mur et déchiraient sa robe. Elle avait pu dégager sa main, saisir un couteau et tailler le bras qui la maintenait prisonnière.
— Tu vas regretter ton geste, garce !
Mezoa serra son arme pour empêcher ses mains de trembler et lui cracha au visage.
— Dépêche, Pyer, faut qu’on file d’ici…
Le deuxième homme trépignait à la porte, pourtant l’assaillant de Mezoa refusa de l’écouter.
— Pas avant d’en avoir fini avec elle !
Il sauta sur la jeune fille et lui saisit les poignets pour l’obliger à lâcher le couteau. Tous deux jurèrent en grognant pendant la lutte. Mezoa poussa un gémissement quand la pointe de la lame se planta dans son épaule et lâcha prise sur son arme improvisée.
— Lâchez ma fille, démons !
Les deux bandits firent volte face en découvrant l’aubergiste, rouge de colère, qui avait pénétré dans la cuisine. Stanafen faisait deux fois leur poids, mais ne parut pourtant pas les impressionner.
— Qu’est-ce qu’un gros balourd désarmé comme toi pourrait faire contre nous ? ricana le bandit tandis que Mezoa se recroquevillait pour lui échapper.
Voyant le sang couler sur le bustier de Mezoa, Stanafen poussa un juron et s’empara du premier objet à sa portée. La poêle de fonte frappa avec un bruit sourd contre l’épaule de l’agresseur, contraint de relâcher sa proie. Même s’il avait l’avantage de la force, Stanafen manquait de souplesse et de rapidité. Il fut incapable d’éviter l’attaque au couteau de son assaillant. Il poussa un cri en portant la main à son ventre tailladé, tandis que l’homme le frappait au genou pour le faire chanceler.
Mezoa se jeta dans la bagarre pour protéger son père, roula avec son agresseur contre le sol. Le bandit fut le plus rapide à récupérer le couteau qui avait glissé de ses doigts. Il se tourna vers elle avec un regard assassin. Cet homme-là était hanté par le feu ! Ce n’était plus qu’un monstre avide de sang qui s’apprêtait à abattre son couteau.
— Non !
Se jetant devant sa fille pour la protéger, Stanafen reçut la lame dans la base de son cou. Le sang aspergea le visage horrifié de Mezoa.
Quand Windane apparut enfin à la porte de la cuisine, il était déjà trop tard. Les deux hommes avaient disparu dans la nuit et Stanafen était tombé sur les genoux de sa fille. Elle gémissait tout en appuyant sur la plaie pour tenter, en vain, de retenir le sang. Il giclait entre ses doigts tremblants pour dégouliner sur ses vêtements.
— Tiens bon, papa…
Windane entendait le cœur de Stanafen ralentir. Elle sentait son souffle s’affaiblir, et, plus que tout, elle sentait l’énergie le quitter. Elle s’échappait de lui par saccades, au rythme du sang qui se répandait hors de son corps. L’aubergiste ouvrit une dernière fois les yeux pour contempler le visage de sa fille, puis son cœur cessa de battre. Le cri de Mezoa déchira le silence. La seconde suivante, une vague de désespoir et de chagrin percuta Windane. Elle tomba à genoux, le souffle court.
Horreur. Haine. Vengeance.
C’était son père qu’on venait de tuer, sa famille qu’on venait de briser, son cœur qu’on venait d’arracher.
Ils mourront pour ce qu’ils ont fait !
Elle se releva et se mit à courir.
Le temps n’avait plus d’importance, la distance n’avait plus aucune prise sur ses jambes. Le chemin s’éloignait de Watz pour grimper dans les montagnes, et Windane continuait sans ralentir. Il était hors de question de s’arrêter avant d’avoir rattrapé les fuyards. La haine brûlait dans ses bras, en contraste avec le froid qui lui cinglait la peau. Aurait-elle dû renoncer ? Aurait-elle dû lutter davantage ? Non, il grondait dans son ventre. Peu importait si cette rage n’était pas la sienne. Il fallait assouvir sa volonté.
La piste des bandits s’était éteinte quelque part dans les rochers. Windane tourna longtemps pour sentir leur présence. Chaque minute perdue ravivait la colère du feu. Lorsqu’elle entendit venir un cavalier, elle serra les poings pour l’accueillir d’une vague de haine. Le cheval se cabra devant la créature qui se dressait devant lui, projetant au sol celui qui le montait. Windane s’approcha, le poing prêt à frapper. Elle s’arrêta en plein élan devant le visage de Len.
— Maître Windan ! Où sont-ils ? Où sont les meurtriers de mon…
Sa voix mourut dans sa gorge quand il leva les yeux et aperçut une femme sous la cape.
— Mais… qui es-tu ?
Allait-il vraiment lui faire perdre son temps pour ça ? Elle poussa un grognement exaspéré avant de se retourner. Un hennissement faisait écho à celui du cheval de Len.
— Qu’est-ce que ça signifie ? poursuivit le garçon. Pourquoi portes-tu…
— Silence !
Il se tut, effrayé par le grondement dans sa voix et l’expression de ses yeux. Windane l’abandonna pour s’enfoncer dans les arbres dans un silence absolu. Il y avait une cabane, là-bas : un refuge de chasseurs à l’abri des regards. Elle entendait les chevaux qui hennissaient de peur à son approche. Ils étaient attachés par la bride à un arbre voisin. L’un d’eux portait des traces du sang de son cavalier.
— Par les flammes, tu es avec eux ! Tu es complice de ses assassins !
Windane bondit en arrière pour plaquer Len au sol. Le garçon l’avait suivie et voilà qu’il allait les faire repérer ?
— Tu crois que ce sont les autres qui arrivent, Pyer ? fit une voix à l’intérieur de la cabane.
— Je ne sais pas. Je n’aime pas rester là à les attendre, c’est trop risqué. Je vais voir si la voie est libre, et on file. Dépêche-toi avec ce bandage !
Un homme approchait de la porte. Windane siffla à Len de se taire, tout en le maintenant sous le poids de ses bras. Elle ignorait son regard, mais elle sentait son cœur battre de peur et son corps trembler à son contact. Ce n’était pas les hommes qui l’effrayaient, c’était elle. Cette pensée se trouva étouffée quand le meurtrier de Stanafen s’avança hors du refuge. Un rictus se dessina sur les lèvres de Windane, arrachant un gémissement plaintif au garçon qu’elle maintenait prisonnier. Le bandit se figea, scrutant du regard les fourrés voisins.
— N’empêche, si le gros n’était pas arrivé, j’aurais pu avoir le temps de m’amuser avec la fille, ricana-t-il en direction de son ami dans la cabane.
Windane perdit le peu de contrôle qui lui restait. Le feu déferla en lave dans ses bras, le sang se mit à bouillir dans ses poings fumants. Elle relâcha Len pour bondir sur une branche en hauteur, observant ses proies avant d’attaquer. Pyer regarda autour de lui, inquiet.
— Toi, là !
Len se releva en vacillant sur ses jambes. Sa dague ne lui fut d’aucun secours : l’homme était déjà sur lui. Il l’assomma d’un seul coup de poing avant de le tirer vers le refuge.
— On a été suivis, on se tire !
Windane se recroquevilla sur son perchoir, éclairée par les flammes qui recouvraient désormais ses mains. Un grognement bestial s’élevait de sa gorge, mais elle n’en avait pas vraiment conscience. Elle n’était plus Windane, elle n’était plus que rage et puissance, enveloppée d’une magie sombre qui cherchait à assouvir sa colère. Elle attendit une seconde, le temps pour Pyer de se tourner dans sa direction, d’écarquiller les yeux avec effroi, et elle fondit sur lui. Son poids le fit tomber à la renverse. Ils roulèrent tous deux à l’intérieur.
Son équipier s’empara d’une épée et bondit sur Windane dans l’espoir de la faire fuir, pendant qu’elle se redressait. L’épée percuta son flanc avec un bruit étrangement métallique.
— Qu’est-ce que…?
Elle pouvait sentir sa peau se transformer sous ses vêtements déchirés, les écailles couvrir son ventre pour la rendre invincible. Ils n’étaient rien face à elle, ils n’étaient rien face au feu. Le grognement reprit dans sa gorge, surgissant du plus profond de son buste. Elle saisit l’épée de sa main nue pour la maintenir et projeta son poing dans le visage de son assaillant. Il y eut un craquement quand son nez se brisa, une odeur de viande quand la peau fut rougie par les flammes. L’homme s’écroula en gémissant, portant une main impuissante à son visage qui dégoulinait de sang.
L’autre s’était relevé entre temps, profitant de la diversion pour s’élancer dans le dos de Windane. Il la frappa d’un coup sur la nuque. Une décharge électrique se déversa en elle malgré son armure d’écailles. La douleur ne fit qu’accroître sa colère et nourrir la puissance qui incendiait son cœur. Elle se retourna, une expression si bestiale sur le visage que le meurtrier de Stanafen eut un mouvement de recul. Elle se jeta si vite sur lui qu’il ne vit pas arriver le poing sur ses côtes.
— Lâche-le, sorcière !
Son acolyte, le visage meurtri, s’était relevé pour tenter de la tirer par le col. L’insulte attisa la colère du feu. Windane relâcha sa victime pour se retourner. Peu importait le bras qui fonçait vers son visage : elle le saisit d’une main et serra jusqu’à sentir les os craquer entre ses doigts et la peau griller sous les flammes. L’homme tomba à ses pieds en poussant des cris. Elle lui offrit un instant de répit. Juste assez pour refermer le poing et le frapper à la tempe.
— À l’aide…
D’où venait cette voix apeurée ? Ce n’était pas celle des assassins. C’était celle de Len, pris dans… Windane écarquilla soudain les yeux.
Le refuge était en proie à un brasier digne des plus terribles mythes de Prêcheur. L’incendie rongeait chaque poutre, grimpait sur les murs, dévorait le toit. Comment en était-elle arrivée là ? Len toussait, perdu au milieu du brasier. Dans sa rage, elle l’avait complètement oublié. Il avait dû voir toute la scène… Elle avança d’un pas, puis d’un autre, au hasard dans les flammes et le brouillard de fumée.
— Len ?
Elle ne l’entendait plus tousser. Elle n’entendait plus rien à part la joie crépitante de l’incendie qui réduisait la cabane à néant. Enfin, elle devina sa silhouette près de la porte. Il gisait, inconscient, la jambe prise dans une planche brisée. Windane frappa contre le bois une fois, deux fois, en vain. Seul le feu lui conférerait assez de force pour le libérer. Elle refusa de poser les yeux sur ses propres mains quand la magie-flamme s’en empara. Enfin, elle tira son corps inanimé jusqu’à l’herbe humide des sous-bois. Son cœur battait encore, ses poumons se soulevaient encore. Elle ne l’avait pas tué. Pas lui, en tout cas.
Ses jambes, fébriles, cédèrent sous le poids de sa honte.
son corps élancé n’avait pas encore gagné la carrure des autres miliciens, si bien qu’il semblait flotter dans son armure de cuir => jolie.
— Windan. => je suppose que cela se lit Ouine-Dans ? Sinon ca n'aurait rien changé à la sonorité lol.
"Windane était incapable d’en faire de même : sa foi s’était tue...
— Wamaden." => C'est mon passage préféré du livre pour l'instant. Je trouve ça joliment raconté, mais ça arrive à être percutant avec peu de ligne à cause du fait qu'elle quand même le dernier mot. Ça rend le tout gris et réaliste.
Alors j'ai été vraiment surpris de la voir prendre part au combat à main nue. Dans la fiction, c'est souvent quelque chose qui revient, mais, quelqu'un de non entraîné physiquement ne peut pas combattre des soldats, brigands ou des gens qui combattent au quotidien. Ce n'est quasi pas possible. Et vu que rien ne nous a mentionné que la magie décuple les capacités physiques (agilité, force, vitesse), ça parait surréaliste qu'une jeune ado combatte physiquement, en pleine guerre, des brigands qui ont sûrement fait ça toute leur vie.
Windane souffla en libérant encore un peu plus d’énergie, et le feu gronda en filant vers sa cible => quelle cible ?
Je n'ai pas trop compris pourquoi les agresseurs dans la maison on prit la fuite ? Si la jeune fille avait hurlé, j'aurais compris par peur qu'on les retrouve, mais là j'ai eu l'impression qu'ils étaient partis sans raison.
Windane de plein fouet. Elle tomba à genoux, le souffle court. Horreur. Haine. Vengeance. C’était son père qu’on venait de tuer => attention, on dirait que c'est le père de Windane qui est mort là.
sa parure sombre recouvrir son ventre pour la rendre invincible => J'ai compris plus tard que c'était des écailles, mais ça m'a fait bizarre la première fois.
Son acolyte, le visage meurtri, s’était relevé pour tenter de la tirer par le col. => Su-per, que tu rendes le meurtrier humain dans cette situation vu que le personnage principal est devenu le démon.
L’insulte attisa la colère des flammes, et Windane relâcha sa victime pour lui faire face. => faire face à l'insulte ?
À ce stade-là l'histoire a pris un nouveau bond. La seule chose qui me manque peut-être, c'est un but à l'héroïne ? Souvent les personnages de fantasy ont un rêve auquel on s'accroche et qu'on veut les voir réaliser. Windane n'en a pas vraiment. Ce qui est dommage, car ça pourrait créer une forte dualité entre ce qu'elle souhaite et ce que son pouvoir lui fait faire.
Bon courage dans la suite.
En ce qui concerne l'objectif de Windane, on pourrait dire qu'il n'est pas très ambitieux au départ : elle veut juste pouvoir contrôler son pouvoir pour ne pas mettre en danger les siens (c'est ce qu'elle a expliqué à Naelle avant de partir), et ce chapitre permet justement de renforcer cette idée, d'où le fait que la mission tourne mal. Il fallait bien montrer qu'elle peut être un vrai danger public. (je suis sadique avec mes personnages, je sais :p)
On est bien pris dans l'action, on comprend bien ce qui se passe, c'est cool ! On espère vraiment très très fort que Windane arrivera à sauver tout le monde, et notamment au moment de l'attaque de l'attaque de la porte et quand elle file vers l'auberge, on a très fort envie d'y croire, mais ça se passe quand même mal pour le père :'( C'est triste/assez grinçant parce que Lyron a prédit cette mort et malgré cela, Windane n'a pas réussi à l'empêcher, ça donne un côté assez inéluctable et d'autant plus triste. Bon, même si c'est triste, j'avoue que d'un sens, ça me "rassure" de voir que Windane n'est pas directement parfaite et n'arrive pas à sauver tout le monde direct. Même quand elle perd totalement le contrôle, ça en fait quelqu'un de très humain, on sent vraiment la menace de son pouvoir et c'est vraiment cool =D
Bon, par contre, sa couverture vis-à-vis de son genre est totalement grillée auprès de Len x) Et probablement aussi ses capacités de feu ='D S'il a pas perdu la mémoire entre temps, ça va être un sacré bordel et Lyron va bien s'amuser à essayer d'expliquer/calmer tout ça ^^" Quelque chose me dit que les explications d'après, de ce qu'il s'est passé vont pas être tristes. En tout cas, ça donne clairement envie de lire la suite ! =D
L'action et la magie m'ont transportées !
Je suis sûre que Len va avoir une place importante sur la route de Windane à l'avenir.
J'ai particulièrement apprécié la vengeance de Windane qui est très bien décrite. Ses pouvoirs promettent des péripéties fortes en émotion, je suis impatiente de voir jusqu'où elle va aller.
Les scènes de magie, c'est ce que je préfère, alors tu vas être servie ^^
Un premier passage d'action avec Windane rondement mené :).
Je prends toujours autant de plaisir à te lire. Et toujours curieux de la suite.
Je suis étonné que Lyron n'est pas anticiper les déboires de Windane. Je lui prête peut-être une vision trop nette de l'avenir :).
Je n'ai rien vu de particulier pour ce chapitre ;).
Good job !
Pour Lyron, tu en sauras plus très bientôt ! ;-)
Ce chapitre est super intense, les scènes d'action sont très bien décrites, mais tu parviens quand même à faire passer les émotions de Windane, sa rage et sa violence, c'était extra ! Je comprends que ses pouvoirs lui fassent peur la pauvre. Je suis très curieuse de savoir pourquoi la magie-flamme est interdite, et est-ce que tous ceux qui en usent le font de la même façon que Windane. Je file lire la suite !
Je l'ai trouvé très bien écrit et très fluide donc je n'aurais qu'une petite remarque :
à un moment tu dis qu’elle ne s’exprimait guère mais juste avant elle lui a demandé « Qui est Hallonas ? » donc peut être remplacer par "elle ne s'exprimait que très peu" ?
Sinon j'ai trouvé ce chapitre très intéressant et j'ai hâte de lire la suite :)