Len sentit les gouttes de pluie dégouliner sur son visage, puis il nota la douleur de ses côtes meurtries par les branches, la douleur lancinante de sa jambe à la peau lacérée. Quand il ouvrit les yeux, il fut ébloui par les rayons du soleil et leva la main en protection devant son visage. Une odeur de brûlé flottait dans l’air et ravivait l’irritation de sa gorge. Il se redressa lentement, prenant garde à sa blessure au mollet. Son pantalon était déchiré, mais on avait bandé ses plaies. Il jeta un regard hébété alentour, puis il la vit. Elle se cachait sous sa cape, dans l’ombre d’un sapin. Elle était bien réelle. Réalisant que son cauchemar n’en était pas un, il recula jusqu’à se cogner au tronc de l’arbre qui l’abritait.
— Reste tranquille, ordonna-t-elle.
— J’ai vu ce que tu as fait ! cria-t-il d’une voix plus effrayée qu’il ne l’aurait voulu.
Il ne la vit pas bouger. Pourtant, la seconde suivante, elle atterrissait à côté de lui. Elle masquait son visage, mais Len imaginait très bien ses yeux luisants et sons rictus sanguinaire. Il pouvait entendre le rire des flammes dans sa voix.
— Je t’ai vu à l’œuvre, démon ! J’ai vu ce dont tu es capable !
— Alors nous savons tous deux que tu ne diras rien, répliqua la voix.
Il déglutit. Il ne pouvait pas se laisser faire. Maural, le Prêcheur du village, lui avait assez souvent répété : il ne faut pas craindre la magie-flamme. La craindre, c’est croire en sa puissance.
— Tu es un monstre de magie-flamme, et nous ne te laisserons pas t’en tirer !
La silhouette poussa un soupir, puis se pencha de sorte que son souffle ardent frôle le cou de Len.
— J’ai sauvé ta vie en te tirant du feu…
Il serra le poing. Ne pas craindre les flammes. Les craindre, c’est croire en leur puissance…
— Mais il est toujours affamé, acheva-t-elle en un murmure.
Un gémissement plaintif échappa de Len, alors qu’elle se relevait pour le toiser.
— Nous sommes attendus au village, poursuivit-elle, mais je peux tout aussi bien rentrer seule.
Len chercha son souffle, effrayé par la menace. Tant pis pour le courage.
— Je ne parlerai pas, souffla-t-il.
— Si, tu parleras. Tu expliqueras comment nous avons surpris les bandits dans le refuge. Tu diras comment, au cours du combat, le feu s’est répandu hors de la cheminée. Et enfin, tu leur diras combien tu m’es reconnaissant de t’avoir sauvé la vie… car c’est une erreur que je peux être amenée à corriger à tout instant, conclut-elle.
Len déglutit et finit par hocher la tête. Le message était clair.
— Vous m’avez sauvé la vie, déclara-t-il d’une voix tremblante.
Windane lui tourna le dos, plongeant ses yeux dans la pénombre pour cacher les larmes qui coulaient sur ses joues. Au cours de la nuit, elle avait eu tout le temps de penser à ce qu’elle lui dirait. Elle avait imaginé toutes sortes d’explications à lui fournir. Elle avait pensé lui raconter la vérité… Cependant Len avait vu les flammes. Il l’avait vue se transformer en monstre sous leur emprise. Comment oublier cette image ? Comment l’empêcher de parler ? Seule la peur pouvait l’obliger à se taire. Le pire, c’était de voir la facilité avec laquelle il avait plié à ses menaces. Était-elle donc une créature si terrifiante ? Était-elle donc devenue véritablement un démon ? Elle serra les poings et prit une inspiration avant de parler. Il ne devait pas entendre de tremblement dans sa voix.
— Je vais chercher ton cheval, puis nous rentrons à Watz.
Il hocha la tête, incapable de prononcer un mot.
*
Cyrus gardait la porte ouest quand il vit arriver les cavaliers sur le chemin de la mine. Deux hommes, seulement, revenaient au village. Miaph le rassura aussitôt :
— Les autres sont encore à la mine, ils s’occupent des blessés. Nous avons sauvé tous ceux qui pouvaient encore l’être. Que s’est-il passé ici ? Maître Lyron a eu la vision d’une attaque…
Le Protecteur le fixait depuis son arrivée. Cyrus acquiesça, désolé, avant de raconter l’assaut qu’ils avaient dû affronter.
— C’est grâce à Maître Windan que nous avons réussi à défendre le village, expliqua-t-il. Il a sauvé la vie d’Hallonas, et il nous a tous aidés, mais… Stanafen est mort en protégeant sa fille. Maître Windan et Len sont partis à la poursuite des coupables et…
Le chef de la milice ne l’écoutait déjà plus. Donnant un coup de talon à son cheval, Miaph s’élança dans la rue principale. Le garde se tourna vers le Protecteur, qui le fixait toujours.
— Que s’est-il passé ensuite, Cyrus ?
— Les deux fuyards sont morts. Apparemment, ils s’étaient réfugiés dans une cabane de chasseurs quand Maître Windan et Len les ont trouvés. La cabane a pris feu et Maître Windan a pu sortir Len à temps, mais pas les deux types. Je ne sais pas comment il a pu résister, Maître Windan, dans un incendie comme ça ! On y est allé ce matin, c’est pas beau à voir. Tout a été ravagé ! Si vous voulez mon avis, c’est la magie-flamme qui a emporté l’âme des assassins dans le royaume des morts.
— Où est mon apprenti, à présent ?
Cyrus haussa les épaules et secoua la tête.
— On l’a pas revu depuis qu’il a ramené Len. Peut-être qu’il cherche les derniers fuyards dans les environs ? C’est ce qu’on a supposé, en tout cas.
Lyron remercia le garde d’un sourire pour masquer son inquiétude, avant de se remettre en route.
La cité de Watz pansait ses plaies dans un silence troublant. Seuls des chevaux fantomatiques s’ébrouaient dans les cendres de l’écurie, tandis que les murs de fumée se formaient et se déformaient sous son regard. Les ouvriers passaient sans remarquer les ombres grises de leurs ancêtres et des maisons détruites par les flammes. On les rebâtirait bientôt, les enfants translucides qui gambadaient sous leurs fenêtres en étaient la preuve. Les façades muaient sans cesse, reflétant dans leurs fenêtres des visages aussitôt oubliés. Le village n’était pas peuplé que de ses habitants : il était peuplé de milliers de fantômes dans un dégradé de teintes et de matière. Ceux dont la couleur s’affirmait, ceux qui semblaient aussi denses que des corps vivants étaient les plus proches du présent. Les passants se fondaient dans ces images de brume et en libéraient tout autant à chacun de leur pas, dans un mélange de passé et d’avenir. Lyron n’avait qu’à concentrer son regard pour trouver la bonne nuance. Assez vite, il repéra la silhouette de Mezoa, assez récente pour garder la couleur foncée de sa peau, assez ancienne pour étouffer les reflets roux de ses cheveux : c’était le soir de l’attaque. D’autres formes, à la même épaisseur, couraient en sens inverse vers les portes de la ville. Lyron marcha à leur encontre jusqu’à repérer Stanafen, bientôt suivi par une cape qui bondissait des toits. Il pénétra à leur suite dans la salle de l’auberge.
Le présent se rappela au son de sanglots étouffés. Mezoa s’était effondrée dans les bras de Miaph, qui embrassait affectueusement son front. Deux enfants, pourtant, couraient déjà à travers ses jambes jusqu’à lui faire perdre la tête, et Mezoa riait aux éclats, fière de porter l’armure de cuir des miliciens qui lui avait été si longtemps interdite.
— Votre élève n’est pas ici, Maître Lyron. Il n’avait pas pris de chambre…
La jeune femme avait quitté Miaph et traversé leur avenir pour se présenter devant lui, les yeux rougis. Les yeux brillants. Les yeux emprunts de rire, de rides, de mort. Elle verrait grandir ses enfants. Lyron esquissa un sourire.
— Il a préféré dormir sur le toit, n’est-ce pas ?
— J’aurais voulu lui offrir plus, surtout après ce qu’il a fait, répondit la jeune femme interloquée par son expression. Mais votre apprenti, il…
Lyron la rassura d’une main sur l’épaule et se souvint que l’heure n’était pas encore au rire. Il tenta de la réconforter, incapable pourtant d’adopter le bon ton avec ces enfants qui gambadaient entre ses jambes, et Stanafen qui dansait juste à côté. L’aubergiste était encore là. Il attisait le feu, il soulevait sa fille, il chantait au son du violon… Seule manquait sa voix, à jamais étouffée.
Mieux valait laisser l’avenir rattraper les amoureux et se rendre en cuisine à la recherche de Windane. Lyron passa au travers des silhouettes plus ou moins translucides de Stanafen et sa fille pour trouver enfin la teinte qu’il cherchait. Mezoa était là, les vêtements déchirés tandis qu’elle appuyait sur le cou de son père. La cape violine traversa Lyron au même moment. Windane s’arrêta devant la scène, désemparée, avant de tomber à genoux en suffoquant. Lorsqu’elle releva la tête, une autre avait pris possession de ses yeux.
Le cœur de Lyron accéléra et il se jeta à sa poursuite tandis qu’elle bondissait dans la cour de l’auberge. Des centaines de silhouettes décolorées se jetèrent dans son champ de vision, effaçant la cape violine. Pourquoi le temps refusait-il d’imprimer son image ? Lyron chercha sa trace en vain : les réminiscences de Windane étaient plus troubles, plus instables encore que celles de l’avenir. Les seules fois où il parvenait à l’apercevoir, c’était par l’intermédiaire d’autres esprits, ou par la trace qu’elle avait laissée dans un lieu. Son futur était plus incertain encore. Comment pouvait-il la protéger, si son image se refusait à lui ?
Cette idée, fatalement, le ramena au souvenir de sa défunte épouse. Felyen aussi était immunisée à son don de voyance, c’était ce qui avait causé sa perte. Il avait toujours cru que c’était son amour qui la maintenait figée dans le présent, mais il n’en était plus si sûr. Felyen et Windane possédaient la même lueur dans le regard, comme un secret inavoué. Fallait-il y voir plus qu’un signe des Fondateurs ? Non, c’était de la folie. Car ce qu’il voyait en Windane aujourd’hui, il n’aurait jamais pu le manquer en Felyen autrefois. Si elle avait possédé la magie, elle n’aurait pas pu lui cacher.
*
Les flammes courraient sur ses mains. Elle devait frapper. Elle devait détruire.
Elle se trouvait dans le néant, cernée d’êtres fantomatiques. Ses poings volaient dans les airs, plongeant vers leurs visages vaporeux pour les briser. Leurs contours étaient flous, mais elle distinguait leurs yeux béants qui la fixaient. Chaque fois qu’elle plongeait sa main en eux, ils disparaissaient en poussant un gémissement terrifiant qui résonnait dans l’obscurité.
Ils étaient des centaines, des milliers, à la fixer, leurs visages méconnaissables. Ils étaient des corps sans matière, constitués seulement de peur et de haine. Les trous sombres qui leur servaient de pupilles ne faisaient que s’agrandir, s’étirer, jusqu’à devenir des miroirs à taille humaine pour refléter son image. Alors, elle percevait l’horreur qu’elle était devenue.
— Démon ! hurlaient les voix. Démon !
Windane suffoqua quand le feu qui enveloppait ses mains commença à la ronger. Las de lui obéir, il se retournait contre elle. Il attaqua sa peau, la réduisit en lambeaux. Les flammes grimpaient de plus en plus haut sur ses bras, brûlant ses muscles, ses os, ses épaules. Elles engloutirent son corps entier pour en faire un bûcher.
Windane se réveilla en sursaut, un hurlement bloqué dans sa gorge. Elle était perchée entre deux branches, calée maladroitement contre le tronc noueux d’un sapin. Il fallut un instant pour se rappeler ce qu’elle faisait là.
Elle avait couru à perdre haleine pour échapper aux flammes et aux corps calcinés qui hantaient son regard. Le dégoût ne cessait de remonter en bile dans sa gorge. Plusieurs fois elle s’était pliée en deux pour vomir l’horreur de ce qu’elle avait fait. C’était sa faute si le feu avait pris possession de son corps. Elle avait ressenti sa puissance, sombre et primitive, quand il la dominait. La fuite avait été le seul moyen pour punir ce corps qui l’avait trahie. Seul l’épuisement avait pu lui permettre de sombrer dans l’inconscience, bien loin de Watz. Elle ne voulait pas rentrer. Elle ne voulait pas sentir l’odeur des cendres. Elle ne voulait pas revoir Len. Pourtant, elle n’avait pas le choix : Lyron venait à sa rencontre.
Windane se redressa, percevant sa magie à travers la forêt. Il était encore beaucoup trop loin pour la voir ou l’entendre, mais il l’avait repérée. Alors, elle inspira, se concentra sur la chaleur dans sa poitrine. Pour le moment, le feu était sous contrôle, terré au plus profond de son corps. Elle verrouilla son cœur comme une prison pour ne pas laisser échapper la moindre étincelle. Puis elle poussa du pied sur le tronc pour s’envoler au-dessus des cimes. Lyron l’attendait au pied d’un à-pic rocheux, les yeux tournés vers le ciel tandis qu’elle se laissait tomber vers lui.
— Les Fondateurs soient loués, tu n’as rien ! Ton absence m’a inquiété.
Windane retomba sans un bruit, tirant la cape sur son visage pour masquer ses yeux rougis. Comment lui cacher sa honte et ses regrets ? Il entendrait forcément l’émotion dans sa voix.
— Je vais bien, souffla-t-elle, j’avais juste besoin de m’éloigner.
— Je comprends. Tu as fait ce que tu as pu, Windane. Tu n’as pas à t’en vouloir.
— Pourtant trois hommes sont morts et…
— L’heure de Stanafen approchait dans tous les cas, je l’ai senti avant même d’arriver à Watz. Ton intervention n’aurait fait que repousser sa mort au prix de celle d’Hallonas. Et tu n’aurais rien pu faire pour sauver ces bandits non plus. J’ai vu ce qui est arrivé.
Elle recula instinctivement vers les rochers, les yeux écarquillés.
— Vous avez vu le feu ?
— J’ai vu les cendres qu’il a laissées, corrigea Lyron. Len a dit aux miliciens que l’incendie était parti de la cheminée, pourtant… Il y avait quelque chose de malsain. Quoi qui ait vraiment emporté ces bandits, sache que ce n’était pas de ce monde. Remercie simplement les Fondateurs qu’ils t’aient offert le don de résister à la magie-flamme.
Résister aux flammes… Dans l’esprit de Lyron, cela ne faisait aucun doute. Elle serra les poings, calma les battements affolés de son cœur. Évidemment, il n’aurait jamais cherché à la réconforter s’il avait su la vérité, s’il avait su cette odeur de chair brûlée qui la hantait. C’était un parfum âcre incrusté dans sa bouche, tapi sur sa langue à jamais.
— Même si tu avais réussi à tirer ces bandits des flammes, reprit-il, ils auraient fini pendus par la milice. Il est très noble de ta part de regretter les morts, mais il est essentiel que tu retiennes aussi la vie : Hallonas, Lyderic, Nassir, et même Len auraient dû mourir ce soir-là, et tu les as sauvés !
Elle détourna le regard, incapable d’accepter la fierté qu’elle lisait dans ses yeux. Ses mains tremblaient au souvenir de la haine qui avait coulé en lave dans ses veines.
— Pourtant j’ai échoué, lâcha-t-elle. Je n’ai pas été capable de contrôler la magie. Elle a pris le dessus, je ne faisais que la subir !
Sa voix était montée sur les derniers mots. Elle tremblait et sa sincérité toucha Lyron. Il posa une main sur son épaule.
— Je sais comme la magie peut devenir une vague qui nous submerge. Mes yeux savent à quel point il peut être difficile de contenir les dons que les Dieux nous ont donné, je te l’assure ! Tout cela est ma faute, en vérité. J’ai été trop hâtif à te confier une mission aussi lourde. Je t’ai incitée à utiliser la magie sans t’en apprendre la maîtrise… C’est ce qui s’est retourné contre toi à la mort de Stanafen. Les émotions de Mezoa se sont infiltrées en toi et son esprit t’a possédée jusqu’à faire de toi un simple reflet. Pourtant tu as réussi à te délivrer de ton emprise, n’est-ce pas ?
Windane, émue par son geste autant que par ses mots, finit par relever la tête dans sa direction.
— C’est seulement… Quand Len a appelé à l’aide.
— C’est donc que ta volonté de protéger les hommes est plus puissante que la magie. Peu de Protecteurs auraient pu briser le sort comme tu l’as fait, Windane. Tu dois avoir confiance en tes capacités. Tu es capable de maîtriser la magie, il te suffit d’apprendre.
— J’ai tout essayé pour l’arrêter, mais c’est impossible ! C’est comme vouloir cesser de respirer !
— Serais-tu donc incapable de retenir ta respiration ? répliqua Lyron. En tant que Protecteurs, l’air et la magie sont tout aussi essentiels à notre survie. Nous ne pouvons pas bloquer la magie, tout autant que nous ne pouvons pas empêcher nos poumons de respirer. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’on ne peut rien contrôler ! Lorsque la magie est trop intense, ne cherche pas à la contraindre. Tu dois accepter le flux qui fait partie de toi, et l’apaiser de la même manière que tu calmes ton souffle, en le réduisant peu à peu.
Était-ce seulement possible ? Pris au piège dans sa poitrine, le feu tourbillonnait comme un lion en cage. Il semblait guetter le moindre instant de faiblesse pour lui échapper et tout dévaster à nouveau. Mais si elle laissait une partie de son énergie lui échapper… Alors, peut-être, serait-il plus enclin à se laisser dompter.
Lyron ne la pressa pas. Il observait, silencieux, tandis qu’elle plongeait en elle-même à tâtons. Windane hésitait, il pouvait comprendre ses réticences. Comment imaginer contrôler un jour une magie aussi brute et insondable ? Il ressentait son éclat sur sa peau, comme un soleil éternel. Il prenait un risque en poussant Windane à la libérer, car il doutait qu’aucun être humain soit capable de maîtriser pareil pouvoir. Il le fallait, pourtant.
— Tu éprouveras des difficultés à rester concentrée, au début. Tu verras qu’avec le temps, il te deviendra naturel de retenir tes pouvoirs… Certains parviennent parfois jusqu’à effacer toute trace de leur magie. J’ai connu un Protecteur qui était passé maître dans cet art : en étouffant son énergie, il pouvait empêcher les autres de le percevoir. Il parvenait à se rendre quasiment invisible !
L’idée plaisait à Windane, cela se voyait dans ses yeux. Aussi, il ne voulut pas briser ses espoirs et garda ses doutes pour lui.
— Maintenant, mettons-nous en route pour Watz. Tu as peut-être le sentiment d’avoir échoué, mais ils sont nombreux à vouloir te remercier.
Elle se retint de bougonner encore et se contenta de lui lancer un regard implorant. Lyron ne céda pas. Il était hors de question de quitter le village sans enterrer son ami.
— Nous nous assurerons aussi que les miliciens ne courent aucun danger. L’attaque a blessé certains d’entre eux, je voudrais être sûr qu’ils ne craignent pas d’infection.
Lyron devina un tressaillement dans les épaules de Windane. Elle hocha la tête dans un silence frustrant. Il ne pouvait rien deviner de son visage immuable, rien pressentir de son esprit refermé sur lui-même. Comment savoir si elle avait besoin de son aide ? Elle s’était sauvée si loin de Watz, elle avait sauté de si haut sous son regard… Rien ne laissait penser qu’elle avait pu se blesser.
— Hallonas est venu me trouver avant que je parte à ta recherche, ce matin. Il m’a parlé de ce que tu as fait pendant l’attaque. Ces flèches que tu as arrêtées à mains nues, la manière dont tu as plongé dans le combat…
Il laissa sa phrase en suspens et guetta sa réaction. Les épaules crispées, Windane cessa de marcher pour affronter son regard.
— Vous voulez savoir comment j’ai fait, c’est ça ?
— Je veux juste m’assurer que tu n’es pas blessée.
— Aucun risque, souffla-t-elle en secouant la tête.
Le choix de ces mots ne fit que l’intriguer davantage. Il se garda cependant de l’interroger ou de montrer son impatience. C’était à elle de choisir si elle voulait lui révéler ses pouvoirs. Ils continuèrent en silence sous les ombres des sapins. Pendant de longues minutes, il n’y eut que le bruit des épines écrasées sous leurs bottes.
— Ma peau réagit au danger.
Lyron eut un mouvement de surprise. Windane avait cessé de marcher pour lâcher ces quelques mots, presque à regret.
— Ta peau ? répéta-t-il, confus. Comment…
Elle plongea la main dans la poche de sa tunique pour en ressortir un couteau. Lyron s’apprêtait à l’arrêter, voyant qu’elle rapprochait la lame de son bras, quand le son se bloqua dans sa gorge.
Des écailles !
C’était un bouclier aux reflets violacés, comme du sang coagulé brutalement pour former cette carapace aux contours acérés. Le couteau frappa avec un bruit métallique, sans parvenir à provoquer la moindre fissure. Puis les écailles semblèrent se dissoudre, se fondre de nouveau dans la chair.
— Une protection physique ! souffla Lyron, impressionné.
Il devait avoir une expression ahurie et un sourire un peu idiot sur le visage, car Windane le regardait en haussant les sourcils.
— C’est incroyable, Windane ! Les transformations physiques sont des dons extrêmement rares !
— Les femmes Protecteurs sont plutôt rares, elles aussi, rétorqua-t-elle.
Il laissa échapper un rire et hocha la tête.
— Voilà qui confirme à quel point tu es exceptionnelle, tu ne crois pas ? Les Fondateurs t’ont rendu résistante aux flammes et par cette… carapace, te voilà également résistante aux armes ! Comment peux-tu encore douter de la foi que les Dieux ont placé en toi, Windane ?
Elle l’observa sans rien dire, trop étonnée par son enthousiasme. Lyron était sûr de lui, il ne pouvait plus se tromper : Windane lui avait été envoyée par les Fondateurs et son avenir serait lié à celui du royaume. Il saurait gagner sa confiance, il saurait la préparer.
Et puis, le jour venu, elle serait à ses côtés face au Roi de Logas.
Au début j'ai cru que Windane avait vraiment changé d'attitude par elle-même d'un coup, même après s'être calmée. Je me suis dit c'est un peu trop soudain. Puis j'ai compris qu'elle faisait semblant, car c'est ce qu'elle pensait nécessaire pour la situation. Ce qui est particulier, mais très intéressant à suivre.
Je trouve que tu pourrais même insister davantage sur son désespoir, car c'est important pour la construction du personnage. On le ressent bien sûr, mais je pense que si c'était insisté ce ne serait que mieux.
Quant à Lyron, la narration qu'il permet, car il voit le futur est vraiment intéressante. Et j'espère qu'à un moment de l'histoire, elle entraînera un grand bond scénaristique. Je serais très curieux de le voir.
Quelques notes en pleine lecture :
Seule la peur pouvait l’obliger à se taire => Alors autant c'est peut-être vrai, autant c'est intéressant comme réflexion par rapport à ce que ça peut vouloir dire sur Windane et ce que ça peut laisser en suspend pour la suite.
Je veux dire, même dans cette situation, d'autres gens auraient choisi une autre solution qu'insuffler la peur ahah.
Deux enfants, pourtant, couraient déjà à travers ses jambes jusqu’à lui faire perdre la tête, et Mezoa riait aux éclats, fière de porter l’armure de cuir des miliciens qui lui avait été si longtemps interdite. => Intéressante utilisation de ce pouvoir pour créer de la narration d'un personnage secondaire.
"— Stanafen serait mort dans tous les cas. Son avenir s’était figé avant que nous arrivions à Watz.
Puis,
Hallonas, Lyderic, Nassir, et même Len auraient dû mourir ce soir-là, et tu les as sauvés !"
J'ai du mal à comprendre le pouvoir de Lyron. L'avenir est figé ou non ahah ?
Les émotions de Mezoa se sont infiltrées en toi et son esprit t’a possédée jusqu’à faire de toi un simple reflet => Alors cela explique mon commentaire précédent ou je ne comprenais pas, car j'avais l'impression qu'il s'agissait du père de Windane quand elle parlait de la mort de Stalafen.
Autant je trouve ça très intéressant comme concept. Autant je pense que ça mérite clarté, car le lecteur peut être perdu.
Peut-être que quelque chose comme "elle avait l'impression que c'était son père, mort, à ses pieds" => serait plus clair pour tout le monde. Mais à toi de voir.
Quant à la phrase sur l'avenir, je reformule pour plus de clarté !
Pendant que j'y pense, il y a deux moments où tu changes de point de vue pendant une scène, et ça m'a un poil perturbée. Il y a dans la première scène, tu passes de Len à Windane (mais celui-la passe bien) et tout à la fin, tu passe pour les deux dernières phrases à Lyron, là ça m'a un peu prise de court je dirai ce changement un peu brutal juste pour la fin (même si je comprends l'intérêt).
Et sinon, j'adore toujours autant le point de vue de Lyron, c'est vraiment ultra intéressant avec ses pouvoirs, le côté d'avoir pleins d'images de différentes époques qui se superpose, d'avoir ainsi le futur Mezoa... J'aime vraiment beaucoup ces passages, tu nous fais bien comprendre le pouvoir, comment Lyron le vit sans que ça soit trop lourd, c'est cool. Et pour Windane et sa grand-mère qu'il n'arrive pas à lire... c'est à cause de la magie-flamme ? La grand-mère aussi l'avait, mais ce n'est transmissible que via les filles ? (D'où le père qui ne l'a pas eu). A voir, en tout cas, c'est intriguant =o
Et sinon, je suis un peu perplexe. Lyron ne sait vraiment pas qui a provoqué les flammes ? En allant voir les ruines, il n'a pas pu retracer les souvenirs de l'attaques via le lieu ou via Len ? Je comprends qu'il ne peut pas directement lire ceux de Windane, mais Len était là, non ? J'avoue que je suis un peu perplexe sur ce point, je ne sais pas trop quoi en penser. Pourquoi il a réussi à lire ce qui s'est passé avec Mezoa mais pas avec Len ? Ou alors, il l'a lu mais fait style de rien savoir pour ne pas la brusquer ? Si c'est le cas, il est genre ultra maladroit en disant que les flammes étaient malsaines x) Bref, ça me rend un peu perplexe, j'attend d'en savoir plus sur ça du coup.
Sinon, du côté de Windane, on suit bien ses réactions, tout est crédible pour ça. Après, c'est cool qu'elle accepte enfin de s'ouvrir un peu à Lyron en montrant ses écailles, même si, très clairement, elle a pris cher émotionnellement avec la réaction de Len x) Ca la rend d'autant plus humaine, ses peurs, ses doutes et tout, c'est totalement justifié et on est bien en empathie avec elle je trouve ^^
Bref, j'aime toujours <3
Et il n'a pas croisé Len puisqu'il est parti directement à la recherche de Windane après avoir vu Mezoa (bon ça fait un peu facilité scénaristique du coup j'avoue, mais comme tu dis ça serait un peu trop compliqué à gérer sinon XD)
Un très bon chapitre de repos/transition après les épisodes mouvementés du dernier.
L'écriture est toujours au top. Je me projette vraiment bien dans ton univers. C'est un beau voyage :).
Super chapitre ! Ton écriture est si fluide que les mots coulent à toute vitesse dans ma tête.
Très intéressant que Lyron ne puisse voir le souvenir de Windane qu’à travers les yeux des autres ! Et très bien expliqué ;)
J’ai également beaucoup aimé le passage ou Windane « se bat contre ses démons » qui la traitent eux-mêmes de démon, très bien vu !
Deux petites remarques uniquement !
« — Les Fondateurs soient loués, tu n’as rien ! J’ai su ce qui s’était passé, je me suis inquiété. » je dirais plutôt soit « j’ai appris ce qui s’était passé » ou « je sais ce qui s’est passé »
Petite répétition ici : « malgré les crimes qu’ils avaient pu commettre. Pourtant, même si tu avais pu » je mettrais plutôt : « malgré leurs crimes. Pourtant, même si tu avais pu »
Très bon chapitre !