11h45 au Centre d’accueil
- NOM… PRENOM… ?
Pas de réponse, Amura N’Gué réitéra sa demande et crut percevoir une réaction dans le visage de la femme. Maintenant elle prenait l’air démunie de l’étrangère en terre inconnue. Amura était fatigué, il avait hâte de quitter le Centre. Cette fois il s’était promis d’être ponctuel. Il voulait que les choses aillent vite, il en avait marre des faux semblants, des minauderies… Cette femme ne venait pas de la Forêt, elle venait des artifices, des profondeurs superficielles des toxiques et aujourd’hui elle était incapable d’émerger de sa propre inconséquence. Il s’enfonça dans son siège et attendit sans rien dire. Son silence était rempli d’une sorte d’impatience offensive. La femme se tortilla avec hésitation. À ce moment, Timmy entra dans le bureau. Elle avait le bébé en charge ce matin. Elle le portait maladroitement et cherchait où le poser.
« Timmy, que faites-vous ? vous ne voyez pas que je suis en rendez-vous ? »
« Heu… Si… oui bien sûr… C’est juste que j’avais vu une serviette ici, je pensais que c’était là qu’on s’occupait de l’enfant… Il faut la changer… »
« Ecoutez Timmy, je ne sais pas ce qu’Henriette vous a dit, mais NON, ce n’est pas là qu’on s’occupe du bébé ! »
Amura était contrarié d’être interrompu en plein entretien. La jeune femme assise en face de lui semblait plus agitée. Elle prononça quelque chose en désignant le bébé, un bruit, quelques sons qui s’agitèrent furieusement dans l’espace avant de disparaître. Amura ne croyait pas qu’il puisse exister dans ce monde quelque chose qui ressembla autant à de la magie. Une incantation qui aurait eu le pouvoir d’engendrer ou d’anéantir :
« IMEHAN NAHEMI »
L’étrangeté de la voix de cette femme résonnait dans le bureau, sa parole avait le goût et la texture d’un fruit inconnu, exotique.
« IMEHAN NAHEMI »
Deux mots, le deuxième semblait vouloir effacer le premier. Amura eut la fugitive impression d’y comprendre quelque chose. Ces mots désignaient le bébé et le nom du bébé racontait la vie de cette femme. À présent, il réalisait qu’elle n’était pas sous l’emprise de toxiques et l’étrangeté de tout son être lui apparaissait. Elle n’était pas « poisseuse » comme il avait d’abord cru, elle était plutôt poussiéreuse. Il pensa aux ailes poudrées des papillons. Elle avait cette forme de légèreté complexe et rectiligne, comme un insecte ou un dessin technique griffonné en toute hâte : mal appuyé, effaçable. Tout cela semblait fait pour disparaître en un instant, il voulait le fixer quelque part, le partager avec quelqu’un. Timmy s’était éclipsée sans se soucier de ce qui venait de se passer. Comment était-ce possible ? Amura ressortit et s’adressa à la jeune médiatrice :
« Timmy, attendez… vous avez entendu, vous avez vu ?»
« De quoi parlez-vous ? »
Timmy semblait incapable de comprendre ce que son responsable attendait d’elle. Amura avait peur en quittant son bureau que la nouvelle créature se volatilise. Il avait gardé un pied dans la pièce, sur le pas de la porte et il la surveillait du regard tout en parlant à sa jeune collègue.
« Il me semble que… que cette femme qui est dans mon bureau… elle vient de désigner le bébé ? »
« Ah bon ? vous êtes sûr ? »
« Non ! Je ne suis pas sûr, moi je ne suis jamais sûr de rien… Enfin, vous avez entendu comme moi ce qu’elle a dit ? »
« Heu… J’ai compris qu’elle ne parlait pas la même langue que nous. »
Amura était hors de lui, l’impassibilité de la médiatrice lui semblait surréaliste. Timmy avait été imperméable à la coloration de l’instant.
« Mais vous avez vu qu’elle montrait le bébé ? »
L’intérêt de sa jeune collègue sembla alors s’éveiller, comme sous l’effet d’une confidence.
« Oui, j’ai vu qu’elle regardait le bébé… »
Et d’une voix tout à fait différente, cette fois teintée d’excitation, Timmy demanda en chuchotant :
« Vous pensez que c’est la mère ?»
Amura venait de transférer à sa collègue la pigmentation diffuse de son propre saisissement. Timmy en était tout imprégnée au point d’oublier ce qu’elle était venu faire dans le bureau de son Chef.
« Heu… je ne sais pas Timmy. Vous devriez tout de même aller changer ce bébé. Vous allez en avoir plein les doigts… »
« Oui bien sûr, de toute façon il est midi, c’est à Marcelin de prendre le relais. Je vais lui confier la petite. Et avec cette femme qui est dans votre bureau, qu’est-ce que vous allez faire ? »
Amura ne savait pas quoi répondre. Son esprit fut quelques temps accaparé par l’évocation récréative de Marcelin essayant de se débrouiller comme il pouvait avec le bébé. Il était toujours entre deux portes à surveiller du coin de l’œil la femme assise à proximité. Il se rendit compte que derrière sa crainte de voir l’étrangère disparaître de son bureau, se cachait sans doute son propre désir d’en sortir et de se décharger temporairement de toutes ses astreintes. Timmy venait de le dire « de toute façon il est midi » l’heure de la fin de la journée pour tous ceux qui avaient passé la nuit au Centre. Il ressentait le besoin de prendre une pause « en dehors » de son lieu de travail. Cette fois il ne voulait pas prendre une décision hâtive.
« Je ne sais pas encore, je déciderai demain. Je vais faire un accueil classique pour une prise en charge temporaire. Henriette m’a parlé de son frère ce matin. Il a constaté la disparition d’une jeune personne qu’il avait pris l’habitude de côtoyer. Il semble qu’il lui ait conseillé de venir au Centre… C’est peut-être elle… Je voudrais en avoir le cœur net avant de prendre une décision impliquant d’en référer au comité de direction. »
Timmy acquiesça. Amura retourna auprès de la femme. Il clôtura proprement le dossier et accompagna « l’étrangère » auprès de Serge. Il passa le relais en expliquant succinctement la situation. Il guetta Henriette pour sortir en sa compagnie, pas question qu’elle ne se laisse accaparer par Timmy ou Marcelin avec le bébé.
Retour rapide car j'ai peu de temps devant moi.
Je veux absolument la suite ^^' Mais qu'est-il donc arrivé à la pauvre et charmante Andrea ? Car je doute que l'inconnue soit elle... J'y vois vraiment un lien avec le bébé. Et avec tous ces bruits nocturnes, la menace de Yull et sa bande... Je lie tout cela et me dis qu'une belle cata doit avoir eu lieu.
Le mot culte a été utilisé une fois de trop je trouve dans les chapitres que j'ai lus dernièrement.
Je sens qu'un sens arrive, et j'ai très envie de le découvrir :)
Hâte de lire la suite.
Je pense toujours que le gros bloc devrait être scindé, surtout après la lecture de ceux-ci, plus appréhendables.
À bientôt ^^