Incipit

AMITIÉ : nom féminin

Sentiment réciproque d'affection ou de sympathie qui ne se fonde ni sur la parenté ni sur l'attrait sexuel.

Ou plutôt, relation indescriptible que l'on apprend pas sur les bancs de l'école, que personne n'est réellement en mesure d'expliquer mais qui se forme par la force du temps au milieu des rires et des larmes. On apprend pas à être un ami, on le devient.
 

* * *

Le disque orangé dans le ciel couvert laissait glisser ses bras flamboyants sur l'immense parc Klambratún dont les étendues vertes savaient apaiser la fureur de ce monde.

Confortablement adossée à un grand arbre dont les branches tombantes dévoraient les maigres rayons du soleil, elle avait, sur ses genoux découverts, un simple carton sous une feuille blanche dont les lignes vierges appelaient l'encre sombre d'une plume. À l'aide d'un stylo dans sa main gauche, elle se mit à écrire d'abord quelques mots avant de les raturer, insatisfaite. Ses traits se durcissaient. Les mots se balançaient dans sa tête de manière informe tandis qu'elle tentait vainement de calmer le chaos qui remplissait son esprit. Un long soupir s'échappa de ses minces lèvres roses et elle marqua un temps d'arrêt, en relevant la tête. Elle remarqua deux silhouettes progressant, riant à gorges déployés, prenant des poses et imitant quelques animaux imaginaires, mais elle éteignit soudainement son regard. Elle chercha l'inspiration dans le bruissement animé du feuillage du saule au-dessus de sa tête et dans le chant d'un rouge-gorge en mal d'amour, piaillant au monde sa détresse mélancolique.

Puis, le mouvement séquencé de sa main souple se fit plus fluide à mesure que ses nombreuses pensées s'organisaient, comme si elle savait déjà ce qu'elle allait raconter. Ses cheveux roux se muaient au rythme du vent qui balayait son visage et à plusieurs reprises, elle du s'arrêter pour chasser la crinière de feu de son champ de vision. Ses yeux d'un bleu océan, rivés sur le papier, en oubliaient désormais l'environnement qui l'entourait, tant elle était prise par ce qu'elle écrivait.

« Abel, crois-tu que nous étions des âmes sœurs ? Pas cette utopie amoureuse, non. Comme un compagnon d'âme, tu sais, cette connexion inexplicable malgré des débuts houleux ? Une personne pour qui tu donnerais tout, quelque chose qui demeure malgré les épreuves. Malgré la distance, les disputes, les joies et les pleurs. Je crois que c'était ça, toi et moi. Un truc qu'on parvient jamais à nommer. Tu sais, comme quand on dit, Abel et Sophie, c'était ça.

Je crois ... J'ai envie de croire que c'était comme un coup de foudre amical, quelque chose de fou, de bancal. Parce que je sais que tu crois pas à tout ça, Abel. Tu portes le nom du fils d'Adam mais tu n'as jamais eu l'âme religieuse, ni grandes croyances, tu avais perdu foi en ce monde, en l'humanité même. Mais écoute-moi, Abel, lis-moi. Je sais que tu le peux, quelque part, je t'en prie. Prends le temps de t'installer un instant.

J'aimerais raconter, à ceux qui liront cette page, notre histoire avant que la mort ne vienne me prendre moi aussi, j'aimerais te raconter l'impact que tu as eu dans ma vie avant que tout ne se termine. Pourquoi ont-ils besoin de savoir ? J'aimerais me confesser, Abel. Parce que je peux plus supporter le poids de la culpabilité sur mes épaules. C'est beaucoup trop dur de porter un fardeau aussi conséquent sur ses épaules ... Je n'en suis pas capable, je n'ai pas ta force, Abel.

Ils ont besoin de tout entendre, tout savoir depuis le début. J'ai besoin de graver notre morceau de vie sur un bout de papier car notre histoire aura changé ma vie et elle mérite d'être racontée à ma façon.