La Reine observa son reflet dans le miroir ovale de sa coiffeuse en érable à écorce de serpent. Elle avait choisi elle-même cette variété, la tigresse blanche, pour ses stries d’un blanc argenté. Le même que ses cheveux. Ses parents l’avaient nommée Amaryllis en hommage à la couleur si particulière de sa chevelure de lis. Des reflets d’argent la rendaient encore plus fascinante. Elle les contemplait illuminer chacune de ses ondulations interminables. Lâchées, ces dernières couraient jusqu’au creux de ses reins. Si ses cheveux étaient longs, ils étaient pourtant aussi légers que de la soie et représentaient sa meilleure parure.
Elle passa négligemment les doigts dans sa toison parfaitement démêlée et se concentra sur ses pupilles : deux améthystes incrustées dans son visage de porcelaine. Elle descendit ensuite vers son nez droit et fin pour finir par la courbe de ses lèvres pleines d’un rose poudré qui rendrait jaloux n’importe quel baume. Oh oui, la Reine était somptueuse. Elle le savait. Si seulement cela avait un jour suffit à la rendre heureuse. La beauté était indéniablement surestimée.
Amaryllis aperçut une flamme d’impatience embraser son regard. Comme elle le faisait toujours avec ses émotions, elle enferma soigneusement celle-ci dans un coffre qu’elle imaginait aussi précieux et délicat qu’une boîte à bijoux. Et des joyaux, elle en possédait assez pour nourrir tout son royaume… Non : pour rassasier les sept îles de Bienheureux tout entier. Seulement, la richesse ne faisait pas son bonheur non plus. Pas plus que la gloire. Amaryllis n’aspirait qu’à la vengeance. Et elle la mangerait froide, avec des glaçons si nécessaire, pour atteindre son but.
Elle avait raison de prendre son mal en patience : son plan se déroulait à la perfection. Presque toutes les pièces du puzzle étaient à leur place, il n’en manquait plus qu’une. Son invitée d’honneur. Elle se leva et sa longue robe nacrée suivit sa démarche élégante pour s’arrêter devant la baie vitrée de sa chambre. Elle ne prêta aucune attention à son jardin, pourtant soigneusement entretenu. Sa vision était brouillée par l’excitation qui battait jusqu’à ses tempes. Cette émotion-là, elle ne pouvait la contenir.
Après toutes ces années de recherches, tous ces échecs, tous ces cobayes aussi inutiles les uns que les autres, voilà qu’elle avait déniché le plus parfait d’entre eux. Un nez plus précieux que le sien, un odorat si puissant qu’il pouvait sentir l’essence même de la magie. Et celui-ci lui faisait la faveur d’apparaître lors de l’année la plus importante de toute son existence. Mille ans, mille ans depuis la dernière pousse de cette fleur légendaire. Et elle avait attendu son couronnement pour refaire surface. Elle serait la première depuis dix générations à la découvrir. Sa famille lui répétait déjà que l’anniversaire de ses trente ans serait béni par le retour de cette fleur de légende alors que toutes ses dents n'avaient pas encore poussé. Amaryllis ne s’y trompait pas. Ce n’était pas une bénédiction, c’était le destin. Et la petite humaine qui avait franchi les barrières de son monde, en cette année si attendue, lui prouvait qu’elle était l’élue. Elle et personne d’autre. Bientôt, elle la tiendrait entre ses doigts et avec elle, l’avenir de Bienheureux. Son avenir. Bientôt, elle posséderait le trésor le plus précieux de sa collection :
La mille-souhait.