Intrus

- Bouge pas !

Jo inspectait l'atelier d'Elysa Lebon quand il avait entendu Max crier depuis l'étage.

Un tonnerre de bruits sourds se repercutèrent dans tout l'appartement. Les murs tremblèrent et la vaisselle tinta sous l'effet des chocs. Les bras chargés d'un classeur de croquis, Jo avança jusqu'au salon. De là, il verrait la mezzanine et ce qu'il s'y passait.

Une silhouette noire sortit en trombe d'une petite pièce. Elle renversa un buste de couture pour freiner Max, déjà à sa poursuite. Le mannequin et la robe qui l'habillait s'affalèrent lourdement sur l'enquêteur. Sans se retourner, le fugitif traversa le couloir en courant. Il s'aggrippa à la rembarde de l'escalier et dévala les marches à une vitesse folle, les muscles tendus pour atteindre rapidement la porte d'entrée.

Jo savait qu'il ne le rattraperrait pas. D'instinct, il jeta l'énorme classeur qu'il avait toujours dans les bras. Des robes à plumes, des costumes de scène et des corsets rougeoyant s'envolèrent dans tous les sens mais la face rigide du contenant de ces esquisses ne manqua pas la nuque de l'intrus. Sous la force de l'impact, il ploya et posa un genou à terre. Il tourna la tête et, voyant que son agresseur boîtait pour le rejoindre, saisit sa dernière chance d'en sortir vainqueur. Il se releva avec lest, la sortie à portée de main.

- Putain de jambe ! cria alors Jo, se forçant à consumer la distance qui le séparait du fuyard.

En trois enjambées qui lui arrachèrent un rictus de douleur, Jo traversa la moitié du salon. Arrivé suffisamment près, il serra fermemement sa canne dans sa main gauche et, d'un geste précis, donna un coup sec derrière le genou de son adversaire. L'intrus s'effondra dans un cri bestial.

Essouflé, Max arriva près des deux hommes, pointa son arme sur la silhouette étendue au sol et lui retira son bonnet. Des cheveux courts et blonds, accordés à une barbe vieillissant des traits juvéniles, furent libérés de leur emprise cotonneuse. Leur propriétaire restait impassible malgré sa position inconfortable. Le côté droit de sa lèvre supérieure eut même la bravoure de s'élever vers le haut.

Jo, appuyé contre le mur, la tête penchée en arrière, tentait de contenir la douleur qui l'irradiait. Elle prenait vie dans le creux de sa jambe gauche, serpentait le long de sa cuisse et finissait par mordre le bas de son dos. Un sinuement vicieux qui le dépossédait à chaque fois de son propre corps. Il avait l'impression de ne plus être qu'un témoin, de ne plus rien pouvoir ordonner à son envelopoe. À ses pieds, l'homme à l'origine de ce réveil vénimeux, s'était redressé en position assise. L'air de rien, comme si personne ne le regardait, il glissa dans son sweat noir un dossier qu'il avait gardé jusque là dans sa main. Max le saisit immédiatement, prit connaissance de son contenu et releva brusquement l'homme démasqué.

- Ton nom ? cracha l'enquêteur. 

- Arthur Zyka, pour vous servir, déclama l'intrus, s'inclinant en une révérence.