iphone
Si je pouvais l’engueuler celui-là, je lui ferais sa fête quotidiennement. L’écran affiche huit messages. Je sens mon cœur qui s’ouvre, mes yeux s’animent, ce matin est peut-être le bon, le message que j’attends sera là. Deux clics… le chien qui veut sortir et qui va réveiller toute la maison en aboyant… le café qui a coulé sur la table, j’avais mis trop d’eau dans le réservoir comme chaque fois que je fais le café… et non ce ne sont que des lignes publicitaires qui s’affichent maintenant l’une après l’autre sur le petit écran. L’appareil est toujours aussi dur, aussi compact, aussi sec dans ma main. Je vais le jeter à la poubelle, il ne me sert à rien dans le petit matin, il est juste là comme un objet de plus, un objet mort, il ne vit pas, il ne donne pas la vie, il ne donnera même pas un signe de vie. Il n’y a personne qui va venir combler de quelques mots bien chauds le vide répété de mon enfance, le silence de mon âme qui se terre, qui se tait, qui, comme chaque matin se redit l’attente…
Cela fait maintenant des années qu’au petit matin je me lève et la cérémonie recommence… Allumer le feu, sortir le chien par la porte de derrière pour qu’il n’aille pas aboyer sous la fenêtre des voisins qui dorment encore, calculer le nombre de cuillers de café, ne pas se tromper, viser juste pour n’en pas perdre, ajouter l’eau filtrée, remettre de l’eau dans la cruche, pousser sur le bouton pour enclencher le café, et puis enfin m’asseoir, stylo en main, dans le silence du matin tôt, devant ma page…
Les mots étaient avec moi ce matin quand j’ai descendu l’escalier, je pouvait les sentir, jouir de leur substance, en évaluer la consistance, profiter de leur présence pour hâter la préparation du café, et maintenir à chaud leur imminence. Maintenant je suis assise, j’ai ma plume et mon cahier, et eux, les mots, mes petits bijoux qui signent mon appartenance, et bien ils sont partis ailleurs, évanescents, diaphanes, mener leur propre danse…
Je suis à nouveau seule devant ma page, ce désert gris de l’absence. La matière des mots s’est faite difforme, inconsistante, ils n’ont même pas effleuré le cahier qui s’offrait à eux, ils ont quitté les lieux incognito, glissant, s’insinuant insidieusement, je pense, dans les méandres du silence de mes sens…
Ils ne sont plus là, avec moi, me tenant fièrement éveillée comme ce matin à quatre heures quand mon réveil a sonné. Ils ont quitté le lit avant moi presque, m’invitant à les suivre illico, en descendant l’escalier. Ils virevoltaient encore il y a deux minutes sur le cuir élimé de la tablette de mon vieux secrétaire « empire que pire », et puis non, ils ont quitté les lieux comme des feux-follets juste venus faire un tour, narguer ma plume et mon plaisir d’avoir été un bref instant en leur aimable compagnie.
Ils sont partis comme des voleurs avant que le jour ne se lève, et ne les saisisse en plein cœur… Le plein jour a tué les mots, les mots sont morts, ils ont perdu leur sens jusqu’à l’essence… Ils ne sont plus rien, ils ne sont pas là, il n’y en a pas, pas même un seul qui puisse me dire gentiment : « Je suis là, je t’attend… ».
Macabre impuissance de la plume qui se tort sur le papier blanc…
Mais j'ai beaucoup aimé, bien que pour moi le titre ne représente pas le message "Blank Page " que tu évoques.
Ta routine est jolie en tout cas :)
Voici un joli texte qui fait bien passer certaines peurs de l'auteur. Cependant il y un changement brutal de sujet entre le début (l'attente d'un message sur le portable) et la fin (l'auteur) Cela demanderait peut-être une explication.
Amicalement.
Bonne continuation !