IV – Le puits à vœux / Le ventre du soupir

Par Dan
Notes de l’auteur : David Bowie – Blackstar

Le puits à vœux

Cassini, Japet, satellite de Saturne

 

Haccan s’était préparé à sillonner le système et à se battre pour récupérer Aessa, alors le compromis des terroristes lui semblait trop enfantin pour ètre honnète. Il avait mème hésité à revenir sur leur accord pour essayer de les cerner et de les assaillir par surprise. Puis il avait reçu les coordonnées choisies pour l’échange et il avait compris que la simpleté n’était qu’une façade.

Aessa avait peutètre dévoilé tous ses secrets pour que leurs ennemis jettent leur dévolu sur cette lune. Sur cette région. Sur ce village. Haccan avait le sentiment de se ruer dans un piège en suivant l’itinéraire que les ravisseurs avaient tracé pour lui. Mais il n’avait pas d’autre choix que de le suivre.

Il avait transmis les analyses sanguines des pirates, puis il les avait préparés à la changeance de main comme les terroristes l’avaient demandé. Presque comme les terroristes l’avaient demandé. Cependant, s’ils respectaient leur part du marché, Haccan et Aessa seraient loin de Japet lorsqu’ils le remarqueraient.

Mais peutètre les terroristes prévoyaient-ils de le duper les premiers, de garder Aessa, ou de le punir pour ses manigances avec Guevara… Peutètre avait-il fait une erreur en pensant pouvoir les feinter…

Tanpis, il était trotard pour douter. Haccan avait laissé les Moutons au biplace et avançait désormais vers le point de rendévous. Sa main ne quittait pas la renflance de son pistol sous les habits de Ionien qu’il avait gardés.

Il arpenta en silence le sentier de terre safranée qui menait au puits. Tout était si semblable et tout était si différent. C’était presque les mèmes visages polis qu’il croisait en chemin. Presque les mèmes mains jointes en guise de salut et les mèmes secousses de poings en guise de banalités. Et presque le mème ciel qui se pommelait audessus d’eux.

Mais les sons… Tous ces sons qu’Haccan n’avait jamais pu entendre avant de partir et de réécrire sa vie. La crissance des graviers sous ses pas. La grondance de l’orage à l’horizon. Les rires étranges des sourds et les voix poussives des malentendeux. Le carillon des pendules aux mouvances perpétuelles, installés au croisement des chemins et au seuil des édifices pour les guider. La tintance des bijoux, surtout, que les Japetiens portaient à la taille en entrelacs compliqués.

Vingt ans après qu’il avait pris l’uniforme, trente après qu’il était parti de chez lui, sa lune natale n’avait pas changé d’un caillou.

Haccan franchit l’une des arches de pierre qui marquaient l’entrée du puits. « Puits » était un mot bien faible pour décrire les lieux, celadit. On était loin de la simple citerne creusée, agrémentée d’un muret et d’une poulie. Ce puits-là avait les dimensions et la splendideté d’un théatre enfoui. Hormis les arcades dressées aux quatre points d’accès, aucun relief ne troublait l’uniformité de la plaine. Jusqu’à la dernière seconde, on ne pouvait rien deviner du spectacle. Puis le sol s’ouvrait et on était contraint de s’arrèter.

Étage après étage, marche après marche après marche, le regard d’Haccan se perdit dans la profondeté vertigineuse. En contrebas, la surface de l’eau était réduite à un rectangle noir. Des centaines d’escaliers y menaient. Construits dans le plan des parois, ils dessinaient un motif hypnotiseux qui confondait l’endroit et l’envers, le dessus et le dessous, le devant et le derrière.

Pris dans son ensemble, le puits avait la forme d’une pyramide inversée. Les gradins permettaient d’en faire le tour et les volées de descendre vers l’eau. Mais pas de face, toujours le long des murs. Les vieux boueurs racontaient que ces puits venaient de la planètemère, d’une région où la mousson délavait la terre pendant six mois et où la sécheresse la fendillait durant six autres. Ces réservoirs servaient à recueillir les fortes tombées de la saison des pluies et à abreuver les hommes et les bètes quand l’eau venait à manquer.

D’après les légendes, les gens n’osaient jamais l’aborder de front. Par peur ou par respect. Haccan n’avait pas toutàfait saisi le sens de cette retenue, mais maintenant qu’il se trouvait là, pris aux tripes et au cœur par la belleté de l’ouvrage et la parfaiteté du silence qui régnait entre ses murs, il croyait commencer à comprendre.

Il s’engagea dans un escalier en baissant les yeux pour surer son pas. Un autre geste de révérence : humble devant l’éternel. Haccan descendit jusqu’aux gradins sombris par la vase et les algues séchées, là où, quelques semaines plus tot, la ligne d’eau était montée après les averses. Puis il s’assit au bord du palier.

Des enfants jouaient à s’éclabousser. Leurs familles s’étaient installées en hauteté. D’autres puisaient dans de grands bacs de plastique souple en s’adressant des combinaisons de signes enthousiastes. Dans leurs habits cintrés, cousus de chaines, décorés de ceintures de perles et de cordelières dorées, ils ressemblaient beaucoup aux Terriens qui avaient bati ces lieux les premiers.

Les gerbes d’eau faisaient un bruit de feu d’artifice. Haccan ferma les paupières, espérant trouver du calme et du courage dans la noireté. Il plaignait les autres Japetiens qui ne pouvaient apprécier l’instant à sa juste valeur. La tète renversée, il entendit la pluie avant de la sentir. Il pouvait mème discerner son point de chute : sa crépitance sur la pierre était très différente de ses clapotis sur l’eau. Une fraicheté nouvelle tourbillonna alors dans le puits en agitant les cheveux d’Haccan. Puis, brutalement, les trombes s’abattirent sur eux.

Les enfants hurlèrent de joie en ouvrant les bras. Les parents se pressèrent de rassembler leurs affaires et, bientot, Haccan fut seul en compagnie de la pluie. Les secondes s’écoulaient avec une telle lenteté et une telle lourdeté qu’il pouvait presque les entendre, elles aussi.

— Officier ?

Haccan se redressa si vivement qu’il en eut le tournis pendant un court instant. Debout sur la couronne extérieure, trempée de la tète aux pieds, Aessa baissait sur lui un regard impérieux.

Haccan s’élança pour gravir les escaliers quatraquatre. Quand il rallia la surface, étourdi, Aessa n’avait pas bougé et ses yeux bruns tirant sur le rouge ne l’avaient pas quitté. Sandoute était-elle menacée. Monitorée, dumoins. Il prit quelques secondes pour l’observer. Pas de blessure, c’était une bonne chose. Pas une tremblance nonplus malgré le choc et la froideté de l’averse. Haccan refusa de relacher sa vigilance pourautant et s’accorda quelques secondes supplémentaires pour scruter les environs déserts.

— Les terroristes nous surveillent, confirma Aessa.

— Venez.

Haccan ne tendit pas le bras pour l’escorter ou esquisser un geste consoleux. Il se contenta de désigner l’arche nord, qu’ils empruntèrent ensemble sans presser l’allure. Aessa ne disait rien, ne faisait rien hormis marcher de son long pas de souveraine, tandis qu’Haccan jetait des coups d’œil nerveux autour d’eux.

Le village s’était dépeuplé lorsqu’ils dépassèrent les colonnes qui en dessinaient le périmètre. La pluie avait charrié tous les habitants dans leurs maisons de briques et de pisé. On avait ouvert les chenaux, préparé les bassins, nettoyé les canaux. Demain, le village regorgerait de l’eau cumulée. Gouttières, goulots et rigoles la chemineraient dans les grandes auges à boue qui servaient au pétrissage de l’argile. Puis les fours seraient séchés et la cuisance de la terre débuterait.

On évaluait mal le nombre de pièces de céramique nécessaires à la bonne marche d’un vaisseau ; les gens avaient tendance à penser qu’ils n’étaient faits que de métal et d’hydrogène. La faïence faisait pourtant voler tous les batiments et vivre tous les Japetiens depuis l’aube de l’Union.

Haccan chercha les visages curieux des boueurs derrière les fenètres ornées de mosaïques, mais personne ne leur prètait la moindre attention. Personne ne reconnaitrait un expatrié fuyard, personne ne reconnaitrait mème la ministre kidnappée. Haccan se souvenait bien de ces journées de grandes eaux. Elles étaient l’excuse parfaite pour ne pas trimer dans la gadoue, se retrouver au sec et prendre un peu de repos.

Quand l’orage se déchainait, ce qui se produisait dehors était une affaire dont plus aucun Japetien ne voulait se mèler. Les plaines devenaient son territoire et il n’était pas du genre à partager.

— Nous sommes bientot là, dit Haccan en criant presque sous le vacarme du déluge qui pilonnait la terre.

Aessa acquiesça raidement, le visage ruisseleux. Elle ne semblait pas importunée par la météo, pourtant bien différente des tempètes de Jupiter. Elle ne semblait importunée par riendutout, dailleurs. Ni par sa récente captiveté, ni par son exil sur une petite lune de Saturne, ni par les conditions nébuleuses de sa délivrance. Elle avait hélé Haccan comme s’ils se retrouvaient pour un piquenique prévu de longue date et elle progressait désormais sans laisser transparaitre une once de hate ou de frayeur. En réelleté, si on oubliait la dureté fixe de son regard, elle paraissait détendue.

Il la guida le long de la voie qui fendait la région de Cassini, reconnaissable du ciel à son obscureté tranchant contre le blanc du territoire de Ronceveaux. Pluloin, la route rejoignait l’axe principal de la lune. L’autostrade rapide se déroulait sur le diamètre entier de la lune, suivant la crète équatoriale avec ses échangeurs, ses ponts et ses branchances, comme une immense ceinture ouvragée au ventre de l’astre dont elle était devenue l’accessoire emblématique. Un bon moyen mnémotechnique pour qui s’intéressait à la mode des satellites saturniens.

Mais Aessa se fichait probablement des coutumes locales, du grand éperon et des paysages éblouisseux de Ronceveaux.

Hors du village, Haccan accéléra le pas. Ils gagnèrent enfin la lande sauvage où il avait posé son vaisseau. L’endroit était vide. Guevara et ses sbires avaient disparu comme prévu, embarqués par les terroristes.

Haccan ausculta la coque, les ailes et les réacteurs du biplace avant d’inviter Aessa à monter. Aucune bombe, a priori. Aucun cadeau poisonné à l’intérieur nonplus, preuve sandoute que leurs adversaires avaient l’intention de tenir parole.

Haccan se dépècha de programmer le décollage, mais quand le vaisseau se fut loigné de Japet, il resta longtemps fasciné par l’image rapetissée de sa lune natale. À cette distance, elle ressemblait à un gateau chocolaté saupoudré de farine ou de sucreglace.

— Je ne leur ai pas dit que vous veniez d’ici, glissa Aessa.

Il se tourna vers elle pour la jauger et il lui suffit d’une seconde d’observance pour conclure qu’elle était sincère. Elle avait déjà menacé de le renvoyer làbas, aux trous glueux des étangs de boue. Mais elle n’avait aucune raison ni aucun avantage à divulguer sa véritable origine ou ses anciens délits aux terroristes. Non, Aessa n’avait rien dit, ce qui rendait l’interrompance de ses kidnappeurs encore plus inquièteuse.

— Je n’aurais jamais… Je vous avais promis que…

— Ce n’est pas grave.

Haccan voulait lui adresser un mot courtois pour la séréner. Lui offrir un verre d’eau et une serviette sécheuse. L’asseoir pour la calmer. Mais elle continuait :

— Je… Je ne…

Sa voix flancha, elle serra les poings. Si Haccan n’était pas surpris de la voir finalement céder, il n’en était pas suré nonplus. Il n’y était pas prèt, alors il attendit, espérant qu’il s’agisse d’un instant de faibleté et qu’elle se ressaisisse avec un sarcasme ou un sourire de dérision. Mais elle avait baissé le menton et ses épaules tremblaient.

Soudain, ses polietés parurent bien futiles à Haccan. Il fut près d’elle en deux enjambées. Aessa leva vers lui des yeux pleins de détresse, fardés de fatigue.

— Vous voulez me raconter ? demanda-t-il.

Elle força un sourire entre ses plaquettes chromées.

— Non, mais je dois.

 

Le ventre du soupir

Quelque part

 

Hadid et Disney soutinrent Guevara par les bras lorsqu’ils gravirent la passerelle du taxi-terroriste dépêché à Cassini, autant pour la protéger que pour stabiliser sa démarche encore atteinte par les séquelles du choqueur. Personne ne vint les recevoir dans la soute, personne ne leur adressa la moindre consigne ni la moindre indication susceptible de confirmer l’identité de leur transporteur ; les terroristes auraient tout aussi bien pu les collecter dans un vaisseau-benne.

À bien y réfléchir, Guevara aurait préféré la compagnie des déchets. Les Moutons faisaient pâle figure face aux terroristes, tout pirates et talentueux qu’ils soient, et l’idée de se frotter aux grands criminels du système nouait les entrailles de leur capitaine plus efficacement que toutes ses orgies de semoule et de pois. Comme le gouvernement devait regretter l’époque où les contrebandiers farceurs étaient leurs principaux détracteurs… Guevara la regrettait, en tout cas.

Nul ne pipa mot durant le premier tronçon de trajet ; Guevara devinait qu’Hadid et Disney tentaient de récolter des indices – une caisse retournée, un coffre ouvert –, sans grand succès. Haccan leur avait ordonné de se tenir tranquilles pour la bonne marche du plan, mais il leur était pénible de rester dans l’inactivité sans savoir ce qui les attendait. C’était compréhensible ; Guevara elle-même peinait à dissimuler sa nervosité : elle espérait montrer l’exemple à ses coéquipiers, mais elle avait un mal fou à se raisonner.

Haccan les avait envoyés au casse-pipe, voilà ce qu’elle croyait dorénavant ; il avait échafaudé cette stratégie pour les manipuler, feint de vouloir entourlouper les terroristes pour se décharger des Moutons et sauver Aessa – d’une pierre deux excellents coups. Malgré les risques évidents, il avait livré les Moutons en pâture à ces monstres et Guevara s’était laissée faire, convaincue par sa voix de rocaille, son ton pressé et ses mains chaudes serrées sur ses épaules.

Faire la différence, voilà ce qu’il avait promis : non seulement résister, mais affaiblir leurs indéchiffrables rivaux, les infiltrer, chercher une faille pour riposter et ne plus se contenter de subir leurs atrocités ; c’était ce que Guevara désirait, agir, s’investir, changer les choses dans cet univers insensé.

Haccan n’avait pas complètement menti : ils allaient bien faire une différence en se sacrifiant pour permettre à la ministre des Satellites jupitériens de regagner ses pénates ; un semblant d’ordre rétabli, un geste sans récompense. Ils n’étaient que des moonshiners, après tout, et leurs vies ne valaient rien face à la sienne.

— Je la sens pas, cette affaire, marmonna Disney lorsque la navette ralentit. J’aurais dû fumer ma dernière clope…

Hadid grommela un assentiment. À en juger par les bribes de codes d’amarrage qu’ils captaient dans la distance, ils atteignaient un vaisseau plus volumineux. Le voyage avait été court ; ils étaient sans doute en orbite autour de Japet, désormais.

Guevara tenta de maîtriser sa respiration et se retint de sonder le bracelet qu’Haccan lui avait passé à la cheville : si les terroristes avaient équipé leurs navettes de caméras, mieux valait ne pas attirer leur attention sur son petit jouet. Guevara n’avait plus vraiment foi ni en Haccan ni en ses fomentations, mais cela ne coûtait rien de rester discret en attendant la confirmation de sa fausseté.

Après quelques procédures supplémentaires, les Moutons furent invités à pénétrer le sas du vaisseau principal. Le comité d’accueil n’y était pas plus fourni que dans la fusette : les oreilles de Guevara ne discernaient que deux droïdes affairés aux commandes de la décontamination de rigueur. Dès qu’ils eurent fini leur besogne, les portes pneumatiques s’ouvrirent sur un espace qui sonnait large et profond : le cliquetis des robots s’y répercutait en échos déclinants et le soupir impressionné de Disney y prit des proportions formidables.

— Bienvenue, bienvenue, chantonna une voix qui tombait du plafond. Veuillez suivre nos guides à roulettes en dirigeance-rection de l’infirmerie.

Guevara sentit le regard de ses hommes converger sur elle. Les droïdes ne les avaient pas fouillés, comme s’ils étaient de simples invités et non pas des otages. Cela en disait long sur l’insolence de leurs hôtes et cela en disait plus long encore sur la faiblesse des Moutons : Guevara savait en son for intérieur qu’ils ne représentaient aucune menace pour leurs ravisseurs.

Les terroristes les lorgnaient par les lentilles, leur parlaient par les micros, les contrôlaient par la proximité des robots et par les innombrables pièges dont ils devaient avoir truffé les lieux ; les pirates étaient à leur merci et personne ne les entendrait cette fois. Plus de discours ni de conférences, plus de bravades à un système qui avait pourtant grand besoin de rebelles courageux face aux restrictions du gouvernement ; plus de révolution, plus de liberté à revendiquer, de toute façon.

Guevara s’avança alors dans le couloir ; sans une hésitation, Hadid et Disney revinrent l’encadrer pour la convoyer et son cœur se serra. Avant qu’ils meurent tous les trois, il faudrait qu’elle leur dise combien leur présence et leur amitié avaient compté pendant ces quelques mois de banditisme et de conspirations.

Une porte coulissante s’ouvrit et le bruit de leurs pas enfla dans une vaste pièce. L’atmosphère y était fraîche – pas froide, mais tempérée, et d’une légèreté presque étourdissante – ; c’était comme si les odeurs de plastique propre et d’antiseptiques avaient remplacé l’oxygène.

— Guillo Liddi-Vallen Tegmine, Guevara, veuillez suivre l’andromédecin, fit la voix.

Un vrombissement de propulseurs grandit et une main articulée la saisit par le poignet, bien plus violente que celle de ses hommes, qui luttèrent pour la garder. Guevara leur fit signe de renoncer : s’ils démantelaient ce robot, un autre prendrait sa place, puis un autre et encore un autre jusqu’à ce que les pirates épuisés abdiquent. Les terroristes n’avaient aucune intention de s’exposer.

— Qu’allez-vous faire de mes employés ? demanda Guevara avant d’envisager l’idée d’obéir.

Il y eut un froissement, un crissement de rouages, puis un silence épais autour d’Hadid et Disney tandis qu’ils manipulaient les objets apportés par les robots.

— Messieurs… ? commença Guevara, inquiète.

— Je… J’espère que c’est pas ce que je crois…, dit Disney.

— Quoi donc ? Que vous ont-ils donné ?

— Une revue animée et un malenkiï pot en plastique.

Guevara ouvrit la bouche mais la voix du terroriste ne lui laissa pas le temps de formuler sa première hypothèse ahurissante :

— Qarren Bassil-Ammel Sadr, Hadid, et Tommis Ninno-Sallid Yildun, Disney, veuillez suivre vos guides. Ils vous placeront chacun dans une cabine privée. Prenez tout votre temps.

— Ohlà, on se calme cinq minutes ! s’exclama Disney. Vous croyez quand même pas qu’on va…

— On croit que si. Sachez que si la manière douce ne vous sied pas, on a tout un panel d’intervenances-entions possibles pour parvenir au mè-ême résultat.

— Messieurs…, essaya Guevara.

Son pressentiment se confirmait. Elle aurait voulu les encourager sur la voie la plus simple, la moins douloureuse du moins, mais elle n’estimait pas avoir le droit de leur demander ça, encore moins de le leur ordonner : il en allait de leur fierté et de leur intégrité, pas de la sienne.

— Viens, Disney, grogna Hadid.

— Mais…

— Tu vois bien qu’on n’a pas le choix.

Guevara les entendit s’éloigner avec les droïdes ; elle se demanda si elle allait jamais les revoir, si elle venait de manquer son ultime chance de les remercier pour leur loyauté bouleversante. Légèrement commotionnée par leur départ, elle céda à la poigne du médecin mécanique et le suivit jusqu’à la table d’auscultation.

— Asseyez-vous.

Guevara s’exécuta sans vitupérer, sans oser ciller non plus, avide de la moindre parcelle d’avenir que ses yeux voudraient bien lui dévoiler. L’avidité disparut bien vite, cependant, remplacée par l’horreur, la terreur et la révolte quand les empreintes glacées des aiguilles dessinèrent des éclairs de douleur autour d’elle.

— Qu’allez-vous me faire ?

C’était maintenant à sa fierté et à son intégrité que l’on allait s’attaquer, et si lutter semblait toujours aussi vain qu’à leur arrivée, se résoudre à cette idée était devenu inadmissible.

— Examens de routine, répondit la voix planante pendant que le droïde lui retroussait la manche.

Guevara hésita à déclencher l’alarme maintenant, puis se ravisa : si Haccan honorait leur pacte, s’il ne les avait pas déjà abandonnés, il aurait besoin d’informations complètes pour agir. Mâchoires serrées, Guevara se laissa donc piquer et ponctionner.

— Taux de FSH, LH et œstradiol bas, mais comptenu de la procheté de la ménopause, les données sont inconclueuses, débita le robot. Recommande examens poussés pour observances supplémentaires.

Il y eut un silence, puis :

— Accordé, dit la voix.

Guevara se fit violence pour ne pas bondir de la table et s’enfuir. Les petits pots, les revues et maintenant ça…

— Veuillez vous déshabiller.

Guevara se redressa avec une lenteur calculée pendant qu’un robot infirmier recueillait les ordres du médecin. Elle capta quelques mots – échographie, hystéroscopie, biopsie – qu’elle essaya d’enregistrer clairement sur le bracelet d’Haccan en déroulant sa chaussette, puis elle pressa le bouton d’envoi, défit l’attache, cacha l’appareil dans sa botte et finit de se dévêtir. En petite tenue dans l’infirmerie des terroristes, Guevara pria tous les astres d’avoir préservé un brin de compassion dans le cœur d’Haccan ; lui seul pouvait les secourir, dorénavant.

— Déshabillez-vous complètement, ordonna le droïde en revenant vers elle.

— Ne soyez pas timide, ajouta la voix mutine do terroriste.

Guevara baissa les yeux. Elle aurait préféré en découdre avec une armée de policiers ou subir mille salves de choqueur, mais l’on se moquait bien de son avis.

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