J’adore les histoires qui font peur…
Quand mon père prend sa grosse voix pour nous décrire tous les dangers tapis dans les ombres de notre chambre, ma sœur frissonne et oublie de respirer. Mais moi, je la sers contre moi d’un geste protecteur et je le défie du regard. Il ouvre alors grand les yeux et à grands renforts de grimaces et de gesticulations, il alterne entre le rôle du loup-garou dévoreur d’enfants qui hurle au loin, du vampire assoiffé de sang dont les griffes raclent la vitre de la fenêtre ou encore du rat mutant qui arpentent nos canalisations grinçantes.
Ma sœur gémit et je lève les yeux au ciel. Je sais bien qu’une fois les simagrées de mon père terminées et la porte refermée, elle viendra se réfugier dans mon lit, pour conjurer tous les monstres qu’il voudrait nous voir prendre pour la réalité.
Alors, je pars d’un grand éclat de rire, pour conjurer le monstre. Et mon père s’esclaffe à son tour, avant de nous attraper pour nous jeter dans nos lits respectifs. Il conclut alors la soirée avec un bécot bien sonore sur les joues blêmes de ma sœur puis sur mes joues roses d’excitation.
Après avoir allumé la petite lampe licorne qui nous sert de veilleuse, il nous lance un dernier clin d’œil et ferme délicatement la porte.
Je m’enfonce dans les draps en soupirant et je ferme les yeux. Après quelques minutes, je sens quelqu’un soulever ma couette. Ma sœur se colle à moi et je me pousse pour lui faire un peu de place. Je sens son petit cœur affolé battre contre mon bras, puis progressivement se caler sur le rythme du mien.
Son souffle apaisé me berce et je glisse lentement dans le sommeil. Mes rêves sont peuplés d’ombres changeantes et de rires moqueurs. Le gloussement s’arrête brusquement et j’ouvre les yeux en sursautant. La couverture qui me recouvrait glisse lentement à terre et j’ai froid.
Je me rends compte que ma sœur n’est plus dans mon lit. Je crois percevoir un mouvement à la périphérie de ma vision mais mon attention est détournée par un long raclement contre la vitre donnant sur le jardin.
J’arrête de respirer une brève seconde avant de me rappeler que je suis courageuse. En silence, je saute hors de mon lit et m’approche prudemment de l’unique fenêtre, occultée par d’épais rideaux. La lumière blanchâtre de la lune peine à percer au travers et j’écarte doucement le tissu pour jeter un œil au jardin.
Une branche arrachée par le vent s’est coincée dans le bois de la fenêtre et proteste en ricochant contre la vitre. Je ricane alors de ma propre frayeur. J’ouvre la fenêtre et attrape la branche pour lui rendre sa liberté. Après l’avoir regarder rebondir dans les buissons, je décide de laisser la fenêtre entrouverte pour aérer un peu la chambre, tout en laissant un léger espace entre les pans de tissu des rideaux, de façon ce que la lune me permette de regagner mon lit sans encombre.
Sous la lumière spectrale, les meubles de la chambre adoptent les mêmes formes changeantes que dans mon rêve, et je me sens un peu mal à l’aise. Mais bon, ce n’est pas un mauvais rêve et une branche capricieuse qui vont me faire trembler d’autre chose que de froid.
Alors que je me penche pour ramasser ma couverture, je m’interromps en apercevant le lit de ma sœur. Vide. Ses draps ont aussi glissé à terre et forment un petit tas informe au sol.
Perplexe, je m’approche et ramasse la couverture bleue nuit. Le tissu scintille doucement, comme un millier d’étoiles dans un ciel obscur. C’est un peu éberluée que je vois les étoiles s’animer et s’accrocher à ma peau. Elles remontent rapidement le long de mes bras pour s’engouffrer dans ma bouche grande ouverte sur un cri qui n’aura pas eu le temps d’alerter qui que ce soit.
Quand ma sœur est revenue de son expédition nocturne aux toilettes, elle s’est pris les pieds dans ma couverture. L’esprit encore embrumé, elle n’a pas remarqué que je n’étais pas dans mon lit. Elle a péniblement grimpé dans le sien, sombrant immédiatement dans un sommeil de plomb. Elle a peut-être rêvé de mon cri, mais s’est contentée de se retourner et de couvrir sa tête avec son oreiller, déterminée à rêver de choses moins effrayantes.
Le lendemain matin, mon père ne s’est pas inquiété tout de suite de ne pas me trouver dans mon lit. Il pensait me trouver devant la télévision. Ce n’est qu’après m’avoir cherché dans toute la maison qu’il s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Ma sœur n’a pas pu répondre à ses questions. La fenêtre était ouverte, les rideaux à moitié tirés et mon lit est resté irrémédiablement vide.
Ton histoire est intriguente. Je me suis fait prendre par le rythme de ton écriture jusqu'a avoir l'impression d'être dans la chambre. Une seule petite chose la phrase : "elle viendra se réfugier dans mon lit, pour conjurer tous les monstres qu’il voudrait nous voir prendre pour la réalité." je trouve la tournure de la fin de phrase étrange.
Sinon j'ai hâte de savoir ce qu'il est arrivé à ton personnage :)