«Jamais bon jardinier n'a rendu son tuyau d'arrosage savant.»
Joli proverbe de jardinier.
Je ne suis pas du genre moqueur mais qu'est-ce que j'ai ri quand papy m'a parlé de jargon ! «Jargon», c'est moche comme mot. J'ai même cru au début qu'il disait 'garçon' avec un drôle d'accent. Jambon, peut-être ? Jargon, il a bien dit jargon !
Je me souviens que l'on était dans le jardin de papy et mamie quand j'ai entendu papy parler de jargon. Justement, avec mes parents, ils parlent tous ce même langage, ces mots que je peine à comprendre. J'ai beaucoup cogité depuis et c'est vrai que ça impressionne beaucoup de causer jargon.
Jacassant dans le jardin dans un langage impossible à traduire, mon papa, ma maman, mon papy et ma mamie parlent, parlent et je me sens à l'écart. Je ne comprends pas ! Je crois même que je suis incapable de vous dire ne serait-ce qu'un seul mot de ce jargon...
Jaloux de ne pas maîtriser ce langage, je croise les bras et je fais la moue. J'espère que l'on me remarque et que l'on va arrêter ce cinéma.
Jamais ! Jamais ils n'ont arrêté !
Jasant à droite et à gauche, je finis par abandonner et accepter de ne rien comprendre. Justement, ne pas comprendre permet de s'imaginer ce qui se dit et c'est bien plus rigolo, en fait. J'ai envie de traduire ce jargon et ça donne des choses complètement incompréhensibles :
— Je m'excuse mais le jazz et le journal du dimanche, c'est toujours mieux que les dessins animés.
— Jette ton vieux pantalon ou trempe-le dans de la javel !
— Javel de quelle couleur ?
— J'en peux plus, peu importe.
Jusqu'à ce que papa ou maman ne se décident à partir, mes dialogues imaginaires durent à l'infini.
Joliment dites, quand les choses sont joliment dites, tout va pour le mieux ! Je-m'en-foutistes des mots, les gens parlent couramment le jargon, quitte à déformer et démolir le langage.
— Jésus, nom de Dieu !
J'entends ma mamie crier et je la vois manquer de glisser sur le petit chemin au milieu du jardin. Jouant un peu sur le trajet, je me précipite vers elle et heureusement, elle n'a rien !
Jetant mon regard sur le tuyau qui traîne par terre, je cours et j'essaie de le soulever. Je fais semblant d'arroser les rangées de salade, les rangées de radis, sans oublier les rangées de pommes de terre. Je vous en prie ! Je n'ai que cinq ans ! Juste, laissez-moi m'amuser un peu ! Jobard que je suis, je tiens vraiment le tuyau quand de l'eau s'en échappe abondamment. Je n'en crois pas mes yeux ! Je suis réellement en train d’arroser le jardin !
Jardin arrosé grâce à moi ! J'ai fait ça ! Joie et bonheur !
Jonglant entre ma main droite et ma main gauche, je m'amuse à tenir le tuyau de manière désinvolte. Jamais je n'ai pensé faire ça à cinq ans ! Jamais !
Je joue à faire semblant de trouver facile le fait de tenir le tuyau. Je dois avouer qu'en vérité, si je jongle entre ma main droite et ma main gauche, c'est parce que le tuyau en question pèse lourd, très lourd... Je sais que si je lâche prise maintenant, j’inonde toute la rangée de pommes de terre et je peux dire adieu à mes frites du dimanche. Jamais de frites sans pommes de terre !
Jouissant du plaisir qu'on m'ait confié une lourde responsabilité, je tiens à faire bonne figure. Je prie pour que l'eau s'arrête de couler mais je tiens le coup. J'essaie...
Jubilant du fait de duper tout le monde, j'affiche un air des plus joyeux ! Joyeux sourire ! Judicieusement, je prends garde à ne pas trop engourdir mes mains afin de ne pas me montrer faible face aux adultes. Je peux y arriver ! Je peux le faire ! J'y suis presque. J'en suis sûr.
Juré, promis, craché, je ne lâche rien ! J'ai mis mon honneur d'enfant de cinq ans en jeu. Je ne rigole plus... Je serre les dents s'il faut mais je vais arriver à venir à bout de l'imposant tuyau.
Jus de fruits, je rêve de jus de fruits. Jus de fruits bien frais, peu importe si ce sera du jus d'orange ou du jus de pomme, du jus de fruits tout simplement. J'ai soif, c'est tout ! Juste après autant d'effort, un verre me fera le plus grand bien.
Je ferme les yeux tant les forces commencent à me manquer.
Justicier, je m'impose maintenant en justicier face au tuyau. Je le regarde droit dans les yeux – même si le tuyau n'a pas d'yeux – et je lui déclare ouvertement la guerre. Juste la guerre, rien que ça ! Juste la guerre jusqu'à ce que moi ou le tuyau tombions à terre. Je n'ai aucune intention de tomber par terre.
— J'espère que tu n'es pas trop fatigué, mon petit !
Je crois que c'est ce que me dit papy mais je n'en suis pas sûr vu que le bruit de l'eau couvre sa voix.
Juste à temps, l'eau s'arrête enfin de couler, rien n'est inondé. Je fais mine d'être déçu, vraiment déçu que le tuyau s'arrête déjà.
Jubilons !
Jubilons intérieurement de ne pas avoir lâché ce tuyau de malheur !
Encore un chouette chapitre, qui répond bien à son titre avec les thèmes du décalage entre Bébé et le jardon adulte et cette fin de chapitre dédié au jardinage. Très marrant de le voir lutter pour tenir ses responsabilités avec le tuyau, jusqu'au bout j'ai cru à la catastrophe, limite un peu déçu que ça ait bien tourné xD En tout cas, j'ai rarement senti la contrainte à la lecture de ce chapitre, c'était bien réussi !
Ptites remarques :
"d'arroser les rangées de salade," -> salades ? j'ai un ptit doute^^
"Jobard que je suis," j'adore ce mot xD
Un plaisir,
A bientôt !
"Jobard" est un terme que je n'entends plus trop. Et donc, je ne le dis pas beaucoup... Même au niveau des sonorités, c'est un mot que je trouve très rigolo ! xD
A bientôt, Edouard !