Emmitouflée dans ma doudoune noire, je reste assise sur le banc. Les trains s’arrêtent, puis repartent, dans un chassé croisé unique en son genre.
Peu de choses ont changé depuis toutes ces années. Il y a toujours les voyageurs qui courent dans tous les sens, et l’odeur du pain frais, encore chaud sur les étals de la boulangerie.
Il y a toujours Marcus, tout guilleret, qui descend et vient m’embrasser sur la joue. Son sourire contagieux rend les choses plus belles autour de nous : la couleur des fleurs soudain plus vive, le bruit ambiant qui gonfle et laisse exploser sa bonne humeur. C’est un talent rare qu’il a : il rend heureux.
Par sa simple présence, avec son brin de voix si doux quand il me chuchote son amour avec un clin d’œil qu’il ne réserve qu’à moi.
Encore maintenant, je peux fermer les yeux et l’écouter parler de sa vie à Paris, de ces musées qu’il visite, de ces gens qu’il rencontre. Une belle vie, sans peur et sans regret.
Le bonheur, si beau, si parfait, vous prend dans ses bras. Il vous englobe dans son cocon chaud et rassurant. Et puis tout s’arrête. Son étreinte s’éloigne, perd une dizaine de degrés. Elle vous laisse sur le bord de la route en larmes, tous vos projets anéantis, votre avenir parti en poussière avec le vent glacial d’une nuit d’hiver.
Il y a dix ans jour pour jour, mon Marcus est mort.
C’était un vendredi soir glacé. Il n’est pas descendu du train à l’heure habituelle, après son dernier cours à l’université. Je l’ai attendu pendant deux heures avant de passer chez lui. Sa mère était seule, elle nous attendait devant son pâté en croûte refroidi avec la télé qui braillait.
Un peu plus tard, la police l’a appelée pour lui dire que son fils adoré avait fait une mauvaise rencontre, qu’il allait falloir rapatrier son corps. Il avait été abattu comme un chien galeux dans une ruelle alors qu’il tentait de sauver quelqu’un. C’était mon Marcus tout craché. Attachant, drôle, plein de vie, impulsif et naïf.
Chaque instant passé avec lui est marqué au fer rouge dans ma mémoire. Je les chéris, je les ravive dès qu’ils s’estompent. Sa voix, le grain de sa peau, son haleine mentholée, ses yeux d’un vert éclatant, ses promesses murmurées après l’amour. Tout me manque et pourtant c’est encore si vif en moi.
Mon cœur se serre de tous ces amis qui l’ont déjà oublié, lui, ses chemises en coton froissées et la lueur dans son regard.
Il ne leur reste que les photos qui jaunissent dans le fond d’un tiroir et qu’on sort une fois par an pour verser une larme.
Pourtant je continue de venir ici tous les vendredis. En souvenir. Parce que je ne peux pas tourner la page, que je l’attends encore, même si je sais, je l’ai bien compris, qu’il ne reviendra plus.
Tu décris l'amour avec justesse et le manque tout autant. En quelques phrase, arriver à donner autant d'émotion et d'empathie, c'est difficile, et pourtant tu y arrives parfaitement, bravo, j'adore !
J'aime beaucoup cet exercice d'écriture, il force à être concis et à aller droit au but.
Et comme toi, j'ai passé de longs moments dans ma vie à observer les autres, à leur imaginer une vie complète.
J'espère que la suite te plaira tout autant.
C'est un beau texte, très touchant. Bravo pour cet hommage à l'amour, à la vie, à la gentillesse et à la douceur !
J'aime bien le projet de portraits poétiques, avec le quai de gare en comme lieu de croisement.
A bientôt ,
Claire
Le texte n'est pas très joyeux au premier abord mais je la trouve touchante cette dame qui attend toujours l'amour de sa vie.
À bientôt !