Jour 1.

Notes de l’auteur : Hello et merci de me lire. Cette nouvelle vient juste d'être écrite, je compte la corriger, la repasser plusieurs fois, et pour cela, j'ai besoin de vos retours, remarques, n'hésitez pas à y aller franco ;)

Trois coups secs à sa porte le sortirent de sa torpeur. Franz cuvait sa villageoise dans son fauteuil préféré devant sa télévision lui projetant les images du dernier match de foot. Il avait passé un certain âge où le corps n’avait plus la même vaillance qu’autrefois, où une fois enfoncé dans un fauteuil un peu trop confortable, il s’endormait systématiquement. Du temps où il travaillait, il n’avait pas le temps de voir les matchs et aujourd’hui qu’il en avait le temps, il s’endormait devant. La vie peut être sacrément ironique, vous trouvez pas ?

Les trois coups furent répétés, et Franz à la voix chevrotante prévient le visiteur qu’il arrivait avec son fameux voilà voilà que disent les gens de sa génération. L’arthrite de ses genoux le faisait souffrir quand il se levait trop brusquement de son fauteuil, aussi prenait-il tout son temps. De toute façon, il en avait à revendre maintenant, du temps. La retraite n’était pas spécialement appréciable aux yeux de Franz, surtout quand elle se manifestait sous la forme d’un chèque au montant ridicule.

La porte de son petit appartement s’ouvrit sur une délicieuse apparition à la peau brune, aux grands yeux chocolatés brouillés de larmes, aux lèvres généreusement charnues tremblantes, drapée dans un boubou coloré. L’ancien ne perçu pas immédiatement le cri du bambin, tout aussi charmant au demeurant bien que bruyant, accroché contre son sein. Il n’avait d’yeux que pour ce beau visage souillé par les larmes qui le regardait comme un homme de son âge désespère d’être encore regardé.

Franz s’abima dans la contemplation de la femme à sa porte qu’il en oublia la formule habituelle, son qu’est-ce que vous voulez ? âpre et sec qu’il servait à tous ceux osant frapper à sa porte. Franz aimait sa tranquillité et il avait vite su tirer avantage de son statut de vieillard, de son caractère de ronchon, en se montrant particulièrement inamical envers tout ce qui peuplait cette tour d’HLM. Sa retraite ne lui permettait pas de mieux se loger, aussi avait-il atterrit dans l’un des innombrables ghetto de la banlieue du grand Paris.

Le beau projet sur le papier se transforma bien vite en une âpre lutte des classes, tandis que les loyers continuaient de grimper dans la capitale, la proche banlieue aussitôt absorbée se gentrifia vitesse grand v. En 2025, les plus pauvres n’avaient pas le choix, et se retrouvaient dans une banlieue divisée : au nord et à l’est, les plus pauvres et les émigrés étaient logés dans les vieilles tours d’immeubles HLM dont le grand plan de rénovation est comme une patate chaude que se refilent entre eux les élus. A l’ouest et au sud, les plus riches vivent dans leur tour d’ivoire, mais soyons honnête, ce ne sont pas d’eux dont il faut se méfier, ceux qui vivent là-bas sont issus de la vieille bourgeoisie, ils vivent avec leurs regrets et la nostalgie de l’époque où la droite subsistait. Franz avait toujours pensé que la jeunesse bien pensante ultra libérale soit-disant de gauche était infiniment pire, et c’était elle qui dirigeait la capitale, le cœur économique du pays, la cité de cristal comme on l’appelait à cause de ses tours de verre.

Et le pauvre Franz dans tout ça ? Il avait travaillé pendant toute sa vie à la police parisienne, logé et nourrit, il avait vu la faune changer au fil des années mais au fond, pas tant que ça. Le changement avait été essentiellement économique, les coupures de budget le mirent en retraite anticipée. Petite retraite, toute rabougrie, d’autant qu’on lui demandait de payer les emplois des jeunes, conséquence, son appartement fournit par l’état sur Paris devint un deux pièce en banlieue nord.

Lui qui avait refusé la vie de famille se retrouva au milieu de familles nombreuses et bruyantes. Les appartements étaient surpeuplés et à peine salubre. Il avait parfois le sentiment de vivre dans une prison élégante, mais une prison, avec la surpopulation, le bruit, les phénomènes de gangs nettement amplifié depuis l’aboutissement du grand Paris et la ghettoïsation de la banlieue nord.

La police ne venait plus ici, au début ils avaient tenté une surveillance avec des drones mais ils étaient systématiquement vandalisés, détruits, parfois même hackés, volés. Après les drones, il y a eu les robots bénéficiant d’une intelligence artificielle qui promettait sur le papier de tout réglé, mais en moins d’un mois, l’intelligence artificielle avait viré fasciste. Le projet avait été enterré, et plus personne n’osait aborder le sujet délicat de la banlieue qui était devenue au yeux de l’état une zone de non droit, une jachère dans laquelle la faune qu’on y entassait s’épanouissait. La surveillance ne se faisait plus qu’en ligne, via les réseaux sociaux, dont le niveau de présence chez les jeunes était tel qu’il était aisé de surveiller par eux la population.

Franz avait vu tout cela se produire, tout d’abord de loin, quand il était encore policier, et qu’on avait tenté de lui mettre entre les mains des drones, puis à la retraite, ici dans son minuscule appartement. De son balcon, il avait vu le bal des robots, et leur échec retentissant. La tour était composé d’une population dense et bavarde, même si beaucoup ici parlaient un français approximatif, et les jeunes un verlan 2.0, et qu’un vieil homme comme lui ne pouvait que suivre difficilement ces évolutions de langage, il comprenait néanmoins l’essence.

Aucune rébellion n’avait vu le jour, personne ne s’unissait pour lutter contre le système, pas ici du moins. Mais la vie s’aménageait, les gens du ghetto s’autocontrôlait. Puisqu’il n’y avait de police, les gangs s’arrangeaient entre eux, les trafiques donnaient lieu à des accidents bien sûr, mais ils s’arrangeaient pour éviter au maximum les dommages collatéraux. Ils étaient tolérés par les mères de famille tant qu’ils ne causaient pas trop de dégâts. Et pour le reste, on faisait appel à Franz. Qui depuis, était devenu par la force des choses détective privé. Pas qu’il l’avait désiré encore moins énoncé mais les gens venaient lui demander des services, et de fil en aiguille, il avait finit par accepter ces petites missions.

Personne d’autre n’irait s’inquiéter des gamins fugueurs, des disparitions d’enfants, aussi acceptait-il de s’en charger. En revanche, régler des conflits entre voisin, ou savoir si le mari était adultère, il refusait généralement ce genre de choses. D’autres s’étaient improvisés détectives ou même journalistes dans l’immeuble. Il y avait de nombreux blogs tenus par des adolescents journalistes qui prouvaient par leur indépendance et leurs idées qu’ils n’avaient pas besoin du système. Le ghetto se gérait tout seul, et était devenu plutôt indépendant, gérant crise et problème en interne. Certains avaient même monté une banque façon Mont de piété. D’autres formaient un syndicat puissant qui n’avaient rien à envier à la mafia. Un sociologue aurait été au paradis ici.

Aussi, Franz devinait-il pourquoi cette femme chargée d’un petit enfant venait frapper à sa porte, ou du moins, s’en doutait-il. Ils venaient tous pour la même raison. Des mères inquiètes que leur enfant tourne mal, soit prit par les gangs, ne devienne un voleur, ou soit la victime des gangs. Elles venaient toutes à lui pour cette raison. Ici, le seul avenir possible semblait se résumer à cela, aux gangs qui se multipliaient à mesure que l’état de désengageait des banlieues du nord.

— Monsieur Hartman, il faut que vous m’aidiez. Ma voisine m’a dit que vous pouviez m’aider. Voyez-vous, ma fille a disparue. Cela fait une semaine, je sais bien que c’est difficile avec ses frères et sœurs, que l’appartement est petit, et qu’elle ait envie de s’éloigner un peu paraît normal. Mais une semaine, c’est trop. Elle revient toujours, elle n’a jamais fait cela. Sans donner la moindre nouvelle… et son téléphone qui est coupé. Cela ne lui ressemble vraiment pas, monsieur le policier.

Le vieil homme l’arrêta d’un signe de main.

— Je ne suis plus policier depuis longtemps. Mais je peux essayer de vous aider. Je vous en prie, asseyez-vous.

Les larmes coulaient sur les joues de la femme, rendant son visage encore plus beau. Elle paraissait jeune pour être mère, mais ici, les familles se faisaient et se défaisaient plus vite encore. Beaucoup de jeunes filles tombaient enceintes, faute de médecin pour les aider, et de pharmacie pour leur vendre des moyens de contraception. Depuis que la loi autorisait les médecins à refuser de prescrire des moyens de contraception et que l’avortement était interdit, de nombreuses jeunes filles se retrouvaient filles mères, et le garçon fichait vite le camp. Résultat, elles s’entassaient dans des appartements insalubres, dans les tours comme celle-ci, surpeuplées.

Franz n’avait rien à lui offrir, de l’eau, et des biscuits tellement secs qu’on pourrait se casser les dents en croquant dedans, mais il lui amena tout de même un verre d’eau et quelques biscuits, pensant ainsi lui donner le temps de se reprendre et de sécher ses larmes.

 — Merci monsieur Hartman, vous êtes vraiment gentil, renifla la femme.

— Ce n’est vraiment rien, je vous assure.

Il est vrai que Franz était d’ordinaire un véritable ours mal léché, il avait entretenu cette image afin d’avoir sa tranquillité. Mais il restait un flic, il avait ce côté chevaleresque qui le rendait sensible à la cause des jeunes femmes désespérées surtout quand elles étaient aussi jolies que la femme assise sur son canapé au tissu fleuris.

— Votre fille a quel âge, madame … ?

— Nyang. Mais appelez moi Assa.

— Votre fille, madame, dites-moi à quoi elle ressemble, l’âge qu’elle a, si elle a des amis, dites moi tout ce qui pourrait m’être utile à la retrouver.

— Vous acceptez donc ?

Les larmes venaient à nouveau aux yeux de la femme, mais c’était des larmes de joie. Franz fit un geste pour dire que ce n’était rien, qu’il fallait qu’elle se calme. Mais rien n’y faisait, elle prit ses mains vieilles et ridées et les serra dans les siennes.

— Vous ne savez pas ce que c’est, d’être mère célibataire, ici, de s’inquiéter pour ses enfants, de ce qu’ils deviendront ici, sans école, sans avenir, sans futur. Personne n’a l’air de se soucier, je veux dire en dehors des autres mères. Je sais qu’elles font beaucoup. Les cours que donne l’ancienne, ou les adolescentes qui apprennent aux plus petits à lire et à compter, c’est… c’est bien. Mais les hommes n’ont pas l’air de faire grand chose pour nous aider, fit-elle en regardant le bout de ses chaussures. On se sent parfois seules et abandonnées.

— Vous ne l’êtes pas, seule.

— Je sais, répondit-elle en le regardant dans les yeux. Je le sais maintenant.

 

 

Assa Nyang n’était pas la seule femme dont l’adolescente avait disparue. Après sa visite, Franz avait compris qu’il allait devoir rencontrer la mère de l’autre adolescente disparue. C’était une amie de Asma Nyang, la jeune fille disparue. Elles habitaient toutes les deux dans la même tour, avaient sensiblement le même âge, suivaient toutes les deux l’enseignement de l’Ancienne, et les deux jeunes filles étaient amies, sortant visiblement ensemble d’après madame Nyang. La visite auprès de la mère de l’autre jeune fille s’imposait.

Mais Franz n’aimait pas sortir de chez lui, encore moins rendre visite à d’autres habitants. Il n’avait pas envie qu’on se méprenne sur son compte, qu’on le pense sympathique, capable d’aller voir les autres, qu’on pense qu’il avait envie qu’on lui rende visite, qu’il était un bon voisin. Ceci faisait parti avant tout de son travail de détective privé, rien d’autre. Mais il ne pouvait pas ignorer cette autre adolescente disparue, aussi prit-il sur lui, et choisit-il de lui rendre visite à une heure où la plupart des gens n’étaient pas encore sorti de chez eux.

En début d’après midi, dès qu’il y avait un rayon de soleil, les habitants des tours sortaient. Sur les paliers des appartements, les femmes discutaient avec ferveurs des derniers ragots de l’immeuble, dans les escaliers c’était les adolescentes qui piaillaient, et en bas dans la cour, jouant au foot, les garçons. Les hommes eux se tenaient plutôt en bas, à l’ombre, fumant de la marijuana en buvant de la bière. Même lorsque le thermomètre atteignait les 40°, ce qui arrivait fréquemment l’été, la canicule était devenue la norme, tout ce petit monde était encore dehors. Il n’y avait que la neige qui aurait pu les forcer à rester chez eux, mais Franz n’avait pas vu de neige depuis des années à présent. Le mot réchauffement climatique n’était pas prononcé mais tout le monde savait que la chaleur continuerait à grimper chaque année, et que les migrants climatiques devenaient chaque année plus nombreux, grossissant les locataires des tours.

Mais le matin, alors que les températures étaient encore fraiches et supportable pour le vieil homme, il n’y avait personne dans les couloirs de la tour. Les femmes à cette heure-ci étaient au marché, les hommes aux activités qui leur permettaient de mettre du pain sur la table, et les enfants étudiaient chez l’Ancienne. La vieille mama africaine respectable à la sagesse réputée était une ancienne maîtresse d’école, elle enseignait au plus jeune et indiquait aux plus âgés des jeunes gens comment apprendre à lire et à compter aux plus petits. Elle avait une certaine autorité si bien que tout le monde la respectait.

Franz arriva devant la porte de la voisine de sa cliente. Il frappa espérant qu’elle ne soit pas partie au marché. Mais les bruits de bébé pleurant lui indiquèrent qu’il y avait bien quelqu’un à l’intérieur. Il dû attendre quelques minutes avant que la porte ne s’ouvre, dévoilant une femme qui avait vieilli prématurément, avec d’immenses cernes et des traits fatigués.

— Madame Mwana, je suis Franz Hartman. Madame Nyang m’a engagé pour retrouver sa fille disparue, elle m’a dit que votre fille a également disparue ?

La femme au visage fatigué cligna des yeux.

— Elle n’a pas disparue, elle a pris des vacances, elle reviendra.

— Votre fille vous a donné des nouvelles ? questionna-t-il.

— Comment voulez-vous que je le sache ? J’ai deux enfants en bas âge à m’occuper, et trois autres assez grand pour me faire marcher. Ce que je sais c’est que ma grande ne fait rien pour m’aider, elle traine tout le temps dehors et elle est toujours fourrée avec les garçons. C’est une bonne à rien qui finira engrossée dans quelques années. Alors elle saura que sa mère avait raison de lui dire de faire attention aux garçons.

Franz ne fit aucune remarque sur le fait qu’elle-même paraissait avoir beaucoup d’enfants, et semblait être encore jeune. Il avait appris une chose à vivre au milieu de familles, ne jamais remettre en question l’éducation des enfants devant leurs parents.

— Vous n’avez donc aucune nouvelle d’elle, résuma-t-il.

La femme haussa les épaules.

— J’imagine que vous n’en avez pas eut non plus de la jeune Asma ?

Elle secoua la tête.

— Je l’ai pas vu depuis des années.

— Votre fille traine pourtant avec elle, non ?

A nouveau, elle haussa les épaules.

— Je ne sais pas avec qui traine ma fille, mais je suis persuadée que la gentille Asma a cessé de fréquenter mon horripilante ado. J’aime ma fille, vous savez monsieur, mais ce n’est pas quelqu’un de bien. Elle voit des garçons, elle en a amené certains ici, pendant qu’elle devait garder ses frères et sœurs. Vous imaginez un peu ? Les petits étaient tout seuls, et entendaient tout ce qu’ils faisaient ! Ils ont même fumé devant eux ! Je l’ai fichue dehors, plusieurs fois. En général elle attend une semaine, que je me calme, et elle revient. Pendant quelques jours, elle est toute miel, et puis elle repart dans ses conneries. Un jour, elle reviendra enceinte jusqu’au yeux et qui devra se charger du bébé ? Moi bien sûr ! Je vous jure monsieur, que si elle revient enceinte, je la fiche dehors pour de bon !

Franz se sentait mal à l’aise. Il n’avait jamais voulu avoir d’enfant et quand il voyait le désespoir des mères comme Assa Nyang, il savait qu’il avait fait le bon choix. Mais cette femme face à lui semblait ne même pas essayer d’être une bonne mère. Et visiblement, sa fille allait répéter ses erreurs. Franz voyait là un cercle vicieux et ce n’était pas le premier qu’il voyait.

Mais l’important était de savoir si la jeune fille avait vraiment disparue ou si elle était juste partie avec des garçons. Les deux adolescentes se fréquentaient-elles encore ?

— Pourrais-je avoir le numéro de téléphone de votre fille ? Juste pour savoir si elle va bien.

La femme le regarda de travers un bref instant. Un homme de son âge demandant le numéro de téléphone portable d’une gamine ? C’était bizarre, étrange. Il y avait toujours dans les cités la rumeur qu’un puissant réseau pédophile existait au sein même du pouvoir en place et que lorsqu’un enfant disparaissait, c’était forcément ce réseau le responsable. Mais Franz ne démordit pas, et la femme haussa les épaules, lui tendant le numéro de téléphone de sa fille griffonné sur un post-it fluo en forme de papillon.

Le ghetto était peut-être une zone de non-droit mais n’était pas coupé du monde. Il y avait un gigantesque centre commercial à la périphérie de la ville, accessible en bus ou en voiture, rempli chaque week-end de familles et adolescents passant là tout leur temps libre, dépensant le moindre centime obtenu difficilement. Franz n’y mettait jamais les pieds, préférant faire ses courses à l’épicerie d’en bas, ouverte à n’importe quelle heure, ou aller au marché.

Quand il prit le bout de papier, son regard croisa celui de la femme. Il espérait y croiser une lueur d’espoir, de foi peut-être, qu’il retrouverait sa fille ou même, que l’avenir serait plus brillant, mais tout ce qu’il y lut ce fut de la lassitude, et une sorte de découragement. Franz avait beau jouer au dur, au mec que rien ne touche, de l’ermite coupé du monde, trop vieux pour ces conneries, quand il croisait un regard vide comme celui-là, il ne pouvait s’empêcher de ressentir quelque chose comme une immense tristesse.

 

 

Comme il s’y attendait, la fille Mwana ne répondait pas plus que la petite Nyang. Cela aurait été trop facile. Et l’absence de réponse ne voulait rien dire en soi, les jeunes ne lâchaient jamais leur téléphone, c’était bien connu, mais de nos jours, ils savaient parfaitement comment ignorer des appels de parfaits inconnus.

Certains ne communiquaient plus que par vidéo interposées, whataps et snapchat avaient ouvert la porte à de nouveaux systèmes de communication. Seulement dans le ghetto, vous ne trouverez pas d’implant ni de lentilles, c’est à peine s’ils avaient des montres connectées ou des lunettes projetant l’image de la personne avec qui vous souhaitez parler. Ils avaient bien tenté de commercialiser des systèmes de projections holographique façon Star Wars mais ça n’avait pas prit. Trop lourd et trop imposant en terme de matériel alors que tout le monde allait vers la miniaturisation.

Franz savait qu’il allait devoir se remonter les manches, aller parler aux jeunes gens qui pourraient connaître les deux jeunes filles, obtenir le nom de leurs amis, des lieux qu’elles fréquentaient. Cela voulait dire sortir de son étage, descendre, parler à des jeunes gens qui parlaient même plus la même langue que lui. A chaque fois qu’il devait faire cela, il tentait de se trouver milles et unes excuses pour n’avoir à le faire.

En cette chaude journée d’été, Franz surmonta sa répulsion pour la jeunesse. Le soleil frappait durement, brûlant la peau si l’on restait trop longtemps exposé. Mais c’était sans doute préférable aux pluies acides du printemps. Franz avait beau avoir l’impression d’être vraiment trop vieux pour ces conneries, il prit soin de rester à l’ombre, descendit la cage d’escalier en béton, celui-ci était rendu brûlant par le soleil. Il parvint en bas où l’on gagnait en fraicheur.

Les enfants ne jouaient plus au ballon, il faisait trop chaud pour cela. Les jeunes ne trainaient pas plus dans la cage d’escalier, rendue brûlante par la chaleur estivale. En revanche, il entendait très nettement des bruits en provenance de la cave : éclat de voix, cascade de rire, cris de joie. Les caves de l’immeuble lui avaient toujours paru être des coupes gorges, elles avaient la réputation d’être le lieu de tous les trafiques, mais lorsqu’il faisait aussi chaud dehors, elles étaient l’unique endroit encore frais dans ces tours de béton irradiée par le soleil. Si seulement on avait laissé quelques arbres pour apporter de la fraicheur et de l’ombre…

Franz prit une longue inspiration et descendit en songeant que ses vieux os pourraient très bien se briser sur les arrêtes de ces marches qui paraissaient si tranchantes. L’humidité l’assailli alors que l’obscurité se refermait sur lui. Ses yeux fatigués mirent du temps à lui montrer à quoi ressemblaient les lieux.

Le béton n’avait pas été peint, il était vierge comme dans la cage d’escalier, mais des jeunes gens l’avaient couvert de tags si nombreux qu’ils formaient une toile abstraite. Le sol avait un jour été couvert d’un revêtement blanc mais il était sale et en voie de disparition. La lumière provenait d’ampoule nue, ce qui ajoutait à l’atmosphère angoissante. Et les différentes caves étaient découpées par des murs de bétons et des portes en métal tordues, certaines éventrées, défoncées.

Malgré la crainte pour sa vie, Franz avança dans le labyrinthe en suivant les voix. Il finit par tomber sur ce qui paraissait être un parking. Quelques voitures carbonisées, démontées, et pièces détachées de métal jonchaient le sol par ci, par là comme pour rappeler l’ancienne utilité des lieux.

Mais les jeunes avaient réaménagé le lieu, il y avait des tables de ping pong construites à partir de portes de cave, un vieux babyfoot amélioré, et même un écran de projection. La décoration avait été soignée, des fresques représentant des visages, des instants de bravoure constellaient les murs, des guirlandes d’ampoules de différentes couleurs avaient été ajoutées comme une touche de gaîté.

Franz reconnu l’une de ces guirlandes, c’était une décoration de noël entreposé dans sa cave. Comme tous les habitants de la tour, il n’osait plus descendre ici et avait abandonné sa cave et tous les souvenirs contenus à l’intérieur aux jeunes gens qui avaient fait de la cave leur domaine. A dire vrai, il ne leur en voulait pas d’avoir pioché dans des décorations qu’il n’utilisait jamais. Par le passé, quand il avait encore une vie sexuelle, il faisait un effort sur la décoration de son appartement, mais tout cela était fini depuis très longtemps à présent.

Des jeunes étaient en train de se disputer un match de basket, pendant que d’autres mataient un film, d’autres encore buvaient un étrange mélange. Il s’avança vers eux et senti le malaise s’étendre à mesure qu’il s’avançait, le silence se faire, et des dizaines d’yeux se river sur lui.

— Y veux quoi l’vioc ? demanda un grand rouquin à la carrure épaisse.

— Je voudrais juste savoir si vous avez vu récemment Asma Nyang ou Ina Mwana ?

Les paires d’yeux le fixèrent avec méfiance. Franz était habitué à cela, plus encore chez les jeunes gens. Il avait l’air d’un flic, il en avait toujours eu l’air. Et dire qu’il s’était engagé dans la police juste parce qu’il en avait assez qu’on le traite de keuf sans raison. Il voulait juste leur faire ravaler leur salive. Mais à dire vrai, d’où il venait, soit on devenait flic soit on devenait un gangster. Et au fond, les choses avaient peu changé.

— Ecoutez je suis pas là pour vous emmerdez, la maman de Asma est très inquiète pour sa fille. Dites moi juste si vous l’avez vu récemment, et si vous savez où elle est.

Le rouquin se racla la gorge.

— La petite Nyang descend jamais à la cave, elle préfère donner des cours aux bébés plutôt que s’amuser. Et tout ce que je l’ai entendu dire c’est qu’elle se casserait d’ici dès qu’elle pourra. Alors tu sais quoi le vioque, j’crois bien que si elle l’a vraiment fait, c’est pas plus mal.

— Et Ina ?

— Ina, sa mère la fout à la porte tous les mois ou presque. A chaque fois, elle se barre avec un gus assez stupide pour la suivre. C’est toujours la même histoire avec elle. Elle réapparait toujours après, dès que sa mère veut bien la reprendre. Et quand elle en a marre de sa reum, elle se barre à nouveau. Ina finira par faire comme Asma, se tirer une bonne fois pour toute d’ici. Et au fond, elle aura bien raison.

Franz se demandait si c’était bien à cela que l’histoire se résumait, à une fugue de deux adolescentes qui rêvaient d’ailleurs, d’une vie meilleure. Mais Franz savait comment le monde fonctionnait, les fugueurs finissaient bien vite par être plus esquintés par la vie que les gamins restant chez eux. Il valait mieux qu’il les retrouve et qu’il les ramène. Elles étaient trop jeunes pour affronter la vie toutes seules. Même si la mère d’Ina n’était pas la mère de l’année, elle se souciait encore de sa fille. Il en était persuadé.

— Personne ici n’est ami avec elles ? insista-t-il.

Le rouquin haussa les épaules. Quelques paires d’yeux pivotèrent et se dirigèrent vers le type qui n’arrêtait pas de marquer des paniers.

— Y’a Roméo là-bas si ça vous chante de l’interroger, suggéra le rouquin en désignant du menton le joueur de basket.

Franz les remercia d’un sourire sombre, puis il fila vers le joueur en question.

Cette fois-ci, les jeunes n’arrêtèrent pas de jouer pour lui, au contraire, ils l’ignorèrent comme s’il n’existait pas. Franz tenta de se racler la gorge en vain, alors il attendit la fin du match. Heureusement pour lui, le joueur en question quitta le terrain après avoir marqué une nouvelle fois.

 

 

Franz alla droit sur lui. Le gamin lui jeta un air inquiet. Il n’avait pas l’air d’un gangster ni même de trainer dans un gang. Il y a des signes qui ne trompent pas, comme une manière de regarder le monde, des cicatrices, ou encore, des tatouages. Il était sportif, et paraissait plutôt sain vu l’environnement dans lequel il se trouvait. A bien y regarder, il était plutôt beau garçon également.

— Qu’est-ce vous me voulez ? demanda le gamin.

— Vous connaissez Asma Nyang et Ina Mwana ?

A ces noms, il se rembrunit et accéléra le pas jusqu’à sa serviette qu’il déposa sur son visage comme s’il voulait disparaître derrière.

— Leurs mères sont inquiètes, elles ont disparu.

Le jeune garçon fit glisser sa serviette sur ses épaules et se mit à rire, un rire sec, sarcastique, presque ironique.

— La mère d’Ina est inquiète ? Ça m’étonnerait. Cette garce fiche sa fille à la porte quand elle en a marre.

— Vous connaissez bien Ina donc ?

— J’ai juste été à la même garderie qu’elles. On a quasi le même âge, on a été gardé par l’Ancienne, on a appris à lire ensembles. Je dirais pas qu’on était amis, mais disons que Asma et moi, on a été proche un temps. Elle était sympa, mais elle ne se lâchait jamais. Un jour j’en ai eu assez d’attendre…

Le sous entendu était clair, la jeune Asma était sage, et sans doute encore vierge. Enfin, si rien de dramatique ne lui était arrivé depuis. Quand des adolescentes disparaissaient, vous pouviez redouter le pire.

— Et Ina, vous en étiez proches ?

— On ne l’était pas vraiment à l’époque, elle était amie avec Asma. Mais après, chacun a prit sa route, vous voyez quoi. Asma préférait donner des cours aux petits avec l’Ancienne alors que Ina cherchait juste à mettre sa mère en rogne. Un jour elle a voulu se tirer avec moi. J’aurais été un idiot de dire non, hein ?

Franz regarda le jeune homme et su qu’il mentait. Il n’était jamais parti avec Ina, cela se voyait comme le nez au milieu du visage. Au ton de sa voix, à l’expression de son visage, aux yeux fuyant, il aimait encore Asma. Peut-être avait-il déconné avec Ina, et peut-être que c’était pour cela qu’avec Asma ça n’avait pas marché ? Quelque chose avait grincé dans la machine. Mais il était évident qu’Asma et Ina avaient été proches, et qu’il les avait bien connues.

— Tu les vois encore ?

— Je les croise de temps en temps, rien de plus.

— Tu ne sais donc pas où elles sont ?

— Franchement, non, et sincèrement, j’espère que vous les retrouverez. C’est bien que la mère d’Asma ait fait appel à vous, parce que pas grand monde ferait quelque chose pour elles sinon.

Franz fit mine de s’éloigner puis pivota vers le jeune homme.

— Encore une dernière question, Roméo c’est votre prénom ou un surnom ?

Le joueur de basket le scruta puis secoua la tête.

— Non c’est un surnom ridicule, je m’appelle Pietro.

 

 

A la fin de sa journée de recherche, tout ce qu’avait pu obtenir Franz était une certitude : Asma et Ina n’étaient pas ensembles quand elles avaient disparues. Peut-être avaient-elles été aperçues ensemble par le kidnappeur, peut-être les avait-il croisé dans le couloir à leur étage, ou peut-être que l’une était responsable de la disparition de l’autre. Franz aimerait croire qu’elles aient pu simplement s’enfuir ensemble. Il préférait les fins douces à celles douloureuses mais il avait trop vu les tragédies humaines pour savoir qu’il y avait plus souvent des larmes à l’arrivée.

Fatigué, il remonta à son appartement vers 17h. Moment le plus chaud de la journée, où la chaleur accumulée durant toute la période d’ensoleillement se sentait pulsant à travers le béton, c’était le moment idéal pour une sieste devant la télévision. Franz mettait n’importe quelle chaine de sport piraté par l’un de ses clients. La plupart n’avaient pas de quoi le payer, pas en pièces sonnantes et trébuchantes, du coup, il avait droit à des petits cadeaux de consolation. Un père d’un fugueur qu’il avait rattrapé lui avait branché un boitier qui piratait les chaines du câble, et grâce à cela, il pouvait voir les chaînes du monde entier.

Les jeunes ne regardaient plus la télévision, ils avaient tout dans leur téléphone portable. Le miracle de la révolution numérique qui laissait complètement froid Franz. Il avait déjà eut du mal à passer au tout sur ordinateur durant sa carrière de policier, et estimait que rien ne valait un bout de papier et un stylo, que rien n’était plus agréable que lire un livre, et regrettait avec un petit pincement au cœur les vieilles VHS. Il savait brancher une clé usb, même si aujourd’hui c’était ringard, tout le monde avait des cartes flash, et ça lui suffisait.

Une fois ses rideaux tirés, et la porte calfeutrée, il put sortir un cigare. Ceux-ci avaient été totalement interdit suite aux lois pénalisant cigarette et consort. Les cigares avaient été également interdit même si leurs consommateurs se comptaient sur les doigts des mains. Des alarmes avaient été installées partout, mais chacun avait développé des techniques pour y échapper. Et dans la tour, les cigarettes s’échangeaient avec autant de succès que la marijuana ou l’alcool supérieur à 12°, lui aussi interdit dans le but d’augmenter la durée de vie des citoyens.

La véritable raison de cette politique d’une vie saine dans un corps sain était l’immense trou de la sécurité sociale, incapables de trouver comment le renflouer, les politiciens avaient décidés de mettre en place une politique de salubrité du citoyen. Tout ce qui pouvait nuire à la santé avait été tout simplement interdit, enfin, dans la mesure où cela ne nuisait pas trop à l’économie du pays évidemment. Les centrales à charbon comme les camions roulant au diesel continuaient à tourner mais les citoyens eux ne pouvaient plus fumer sans avoir à se cacher comme des adolescents.

Franz n’était pas un gros fumeur, il sortait le cigare et la bouteille de whisky que lorsqu’il avait eut une dure journée. Le reste du temps, un verre de vin dilué dans un peu d’eau ou de la bière bon marché lui suffisait. Il n’avait pas les moyens de fumer ou boire de l’alcool de qualité tous les jours. Il ignorait pourquoi ce soir précisément il avait ce besoin de fumer. Certes, aller parler au jeune était difficile pour l’ours ronchon qu’il était, mais ce n’était ni la première ni la dernière fois. Et certes, l’affaire semblait mal partie mais il y avait des chances pour que les filles soient justes parties s’amuser ou simplement aient fugués.

Mais autant l’admettre, quelque chose le tracassait. Son instinct de flic peut-être. Quand il était dans le métier, il essayait de s’en remettre aux preuves. Il doutait autant de son instinct que des témoignages pas toujours fiables. Tous les ressentiments se trouvaient dans les témoignages, et pour peu que le témoin soit de mauvais poil, il pouvait vous trouver un coupable dans les deux secondes. Cependant, ici il n’avait le choix. Il n’avait plus de laboratoire à sa disposition, il n’avait plus d’équipe, ni d’ordinateur avec les informations mises sur le réseau. Tout ce qu’il avait à sa disposition c’était son expérience, son instinct et les témoins.

Si quelqu’un lui avait dit qu’il reviendrait au métier à l’ancienne comme un détective dans les films des années 20, il n’y aurait jamais cru. A l’époque, tous les flics et lui le premier fonctionnait aux règles, se fiait au système, aux informations sur l’immense réseau qui était parfois paralysé, piraté, mais restait fiable pour l’essentiel. C’était les laboratoires au fond qui menaient les enquêtes à l’époque. Il ne s’en était jamais formalisé. C’était ainsi. Franz n’était pas quelqu’un d’embêtant.

Assis au fond de son vieux canapé, cherchant la fraicheur dans l’immobilité et la semi obscurité procurée par les rideaux projetant des couleurs par milliers, il ferma à demi les yeux un bref instant. Avant d’allumer la télévision, il voulait laisser son esprit dériver. Cela lui permettait souvent de réfléchir aux témoignages qu’il avait entendus. Il avait besoin de prendre du recul et ce biais était le meilleur.

Inspirant, doucement, expirant, plus doucement encore, il laissa les souvenirs de la journée lui revenir. Tout d’abord ce fut la mère d’Ina qui lui revint en tête, le bruit incessant dans l’appartement, et sa voix haut perché, son expression d’indifférence qu’il espérait n’être qu’un masque. La mère d’Ina ne lui avait rien dit, rien de concret, pourtant en sondant dans sa psychologie, il trouverait des indices. Ina possédait le fort caractère de sa mère, et son esprit cynique, il en mettrait sa main à couper. Ina devait être jolie, comme sa mère l’était, mais cette beauté était gâtée par un air renfrogné. Sa mère ne semblait pas accessible, il se demandait si Ina l’était.

A l’inverse Asma paraissait être une jeune fille douce, délicate, sympathique mais inaccessible pour le garçon qui lui avait parlé. Ina prêtait attention aux garçons, les séduisait puis les jetait quand elle n’en avait plus besoin. Asma préférait se concentrer sur ses études. L’une comme l’autre pouvaient par leur comportement pousser un garçon dans ses retranchements. Est-ce que le joueur qu’il avait interrogé aurait pu être vexé de se voir rejeté par l’une puis par l’autre ? Franz reconnaissait les triangles amoureux quand il en voyait.

Poussant un soupire, il pressa son pouce contre son front, sa peau se courba et se rida un peu plus. Il percevait sa fragilité, sa douceur, et l’absence de cheveux également de plus en plus inquiétante. Franz n’avait jamais souffert de calvitie, mais à présent, ses cheveux se clairsemaient à mesure que sa peau devenait transparente. Il avait dépassé la barre fatidique des 80. En dehors d’ici, à Paris, il aurait pu atteindre aisément les cent sans s’en faire. La science avait réussi à repousser la vieillesse des plus riches à grand coup d’opération et de soin fort coûteux. Mais Franz pensait avoir déjà suffisamment vécu.

Il s’inquiétait seulement de plus pouvoir continuer à enquêter comme avant. Ces gamins avaient besoin de lui. Qui s’occuperait de les retrouver quand il n’arriverait plus à se déplacer ou à réfléchir convenablement ? Un nouveau soupire lui échappa.

 

 

Cette fois-ci les trois coups furent saccadés, forts et résonnaient dans la caboche du vieil homme comme si on avait frappé dans une boite en métal. Franz ouvrit immédiatement les yeux. Un grognement sorti de sa gorge presque aussitôt. Il détestait les réveils en sursaut. Pendant des années, l’alarme de son réveil matin l’avait arraché bon gré mais surtout mal gré de son sommeil, et il bénissait sa retraite au moins pour cela, ne plus avoir besoin d’être réveillé en sursaut pendant qu’il avait un rêve sexy.

Ouvrant les yeux, il scruta son salon baigné dans la lumière de fin d’après-midi. Ses sourcils se froncèrent, quelle heure était-il au juste ? Le matin, la lumière ne venait pas jusqu’à ses carreaux. Il s’était assoupi vers 17heures… et quelqu’un le réveillait quelques heures plus tard, en pleine sieste !

Ronchon, le vieil allemand alla jusqu’à la porte prêt à aboyer sur celui ayant osé le tirer de son sommeil. Seulement ce qui se trouvait derrière la porte c’était madame Nyang accompagnée par une autre femme inconnue. Son visage lui était vaguement familier, sentiment inéluctable quand on vivait les uns sur les autres. Franz poussa un lourd soupire en ouvrant la porte aux deux femmes.

— Madame Nyang, fit-il en guise de salutation.

— Je suis désolé de vous déranger à nouveau monsieur Hartman, commença-t-elle avec la même politesse qui avait séduit en premier lieu Franz. Je ne serais pas revenue vous voir aussi vite si ce n’avait été important.

— Je vous en prie, entrez.

Ni l’une ni l’autre ne fit de remarque sur ses yeux rouges ou la marque de l’oreiller sur sa joue. Franz les remercia en tirant les rideaux afin de leur offrir un peu de lumière, puis en tassant les oreillers du canapé avant de leur offrir des places dessus. Les deux femmes hésitèrent, madame Nyang finit par s’asseoir, et l’autre l’imita.

— Dites moi tout, les invita-t-il en prenant place dans le fauteuil face au canapé.

— Liz n’a pas de nouvelle de sa fille non plus.

L’autre femme hocha la tête. Franz remarqua ses mains abimées par des produits chimiques sans nul doute la marque d’un passé d’ouvrière, qui se trituraient l’une l’autre.

— Madame ?

— Lizbeth Grayson, s’introduit-elle avec un petit accent anglais indéniable.

Contrairement à Assa Nyang, Lizbeth était blanche de peau, et contrairement à Assa, elle n’était pas belle. Il devina à son visage rougeau, à ses mains abimées, à ses genoux calleux qu’elle était une ouvrière probablement issu d’une famille paysanne à l’origine. Comme beaucoup, elle avait dû fuir l’Angleterre après le désastre du Brexit, peut-être parce qu’elle avait épousé un homme n’ayant de papier ? Beaucoup de citoyens britanniques avaient choisis de partir d’Angleterre quand le Brexit avait menacé de renvoyer leurs compagnons, maris, épouses provenant du reste de l’Europe. L’amour est plus fort que tout.

— Madame Grayson, votre fille connaissait-elle bien la fille de madame Nyang ?

Lizbeth Grayson hocha la tête.

— Elles étaient amies. Toutes les deux enseignaient chez l’Ancienne, précisa Lizbeth. Ma fille n’a pas toujours été sage, mais depuis que l’Ancienne l’a prit sous son aile… les choses ont changées. J’avais espoir qu’elle puisse avoir un avenir meilleur…

Des sanglots l’interrompirent. Franz ne sut que faire, les pleurs des mères le paralysaient toujours. Madame Nyang sorti promptement un mouchoir qu’elle glissa dans la main de son amie. Puis elle releva la tête et regarda Franz.

— Ce que veux dire Liz c’est que nos filles ne sont pas du genre à fuguer, qu’elles n’avaient pas de raison de le faire. Je vous en prie, monsieur Hartman, croyez-moi. Où auraient-elles pu s’enfuir, hein ? Aucun pays n’est meilleur qu’ici, il n’y a pas d’Oasis ou de Paradis hormis ceux virtuels où s’enfoncent nos enfants…

— De quoi voulez-vous parler ?

— Et bien de ces réseaux sociaux, ils y passent tellement de temps. Ma fille jouait à un jeu de vie virtuelle, comme les Sims à notre époque. Tout ce que je sais c’est qu’elles y jouaient toutes les deux. Peut-être que quelqu’un dessus leur voulait du mal… que quelqu’un leur a menti. Vous savez, ils parlent à la télé de ces réseaux…

— Madame, je ne pense pas que votre fille puisse les intéressez. Vous savez, ils cherchent plutôt des enfants.

Franz savait qu’il était maladroit. Mais il n’y avait pas grand chose qu’il pouvait dire pour la rassurer. Il ne croyait pas vraiment en ces réseaux, mais il n’avait pas de preuve du contraire. Et son instinct lui avait toujours soufflé que penser au pire ne pouvait qu’être profitable dans la profession qui était la sienne.

— Je veux que vous me donniez le pseudonyme que porte vos filles sur ce jeu, et leur avatar. J’aurais besoin aussi de savoir comment accéder à ce jeu. Mais ne perdons pas à l’esprit que c’est un univers virtuel, les rencontre irl sont de plus en plus rare, et vos filles sont intelligentes, je doute qu’elles se soient fait prendre à ce genre de choses. Nous ne sommes plus en 2000.

Franz prit son inspiration avant de continuer. Il fallait qu’il aborde le sujet délicat du potentiel crime. Ils n’avaient aucune preuve, aucun indice laissant à penser qu’elles avaient pu être enlevées ou tuer, mais si l’on admettait qu’elles n’avaient pu fuguer, il ne restait pas beaucoup d’options.

— Mesdames, je vais être mortellement sérieux. Vos filles peuvent avoir fuguer, même si vous ne les en croyez pas capable, il peut exister des faits que vous ne connaissez pas. Mais la théorie de la fugue devient compliquée quand elle implique autant de jeunes gens, si on prend en compte le fait que Ina et Asma ne se fréquentaient plus. A moins que votre fille, fit-il en regardant Lizbeth, ne connaissait Ina Mwana ?

Lizbeth secoua la tête en reniflant.

— Camilla ne m’en a jamais parlé. Elle ne me parle pas beaucoup, mais je la surveillais. Disons que Camilla a fait beaucoup d’erreur dans sa jeunesse, j’ai dû prendre les choses en main. Je l’ai forcé à aller voir l’Ancienne, à donner des cours. Au début, elle ronchonnait sans cesse, piquait des crises, et puis, elle est devenue amie avec Asma et tout semblait aller bien. Camilla était devenue une enfant calme.

— Les enfants ne le sont jamais vraiment, et ils savent cacher des choses à leurs parents. Je mènerais l’enquête. Mais nous devons considérer la possibilité que quelque chose de fâcheux leur soit arrivé. Si c’est le cas, nous devons agir vite. J’ai besoin de savoir ce qui unit Asma, Ina et votre fille. J’ai besoin de savoir quand exactement elles ont disparu. Et j’ai besoin d’avoir leur numéro de téléphone portable.

— Vous pouvez les retrouver à partir du numéro ? espéra Lizbeth.

— Je n’ai plus accès au service technique de la police, mais je peux tenter plusieurs choses.

Si seulement il avait encore accès au service de la police. Seulement s’il était encore flic, aurait-il pu s’occuper d’un pareil cas ? Généralement on renvoyait les parents chez eux, alors qu’on savait qu’en cas de disparition criminelle il fallait agir vite. Mais on préférait croire les gamins en train de fuguer ou parti en week-end avec des potes sans prévenir leurs parents. Certes, cela arrivait, plus souvent qu’on ne le pensait.

— Mesdames, j’ai besoin de toutes les informations possibles sur vos filles. Qui elles fréquentent, où elles vont pour s’amuser, leur pseudonyme sur les réseaux, le nom des réseaux qu’elles fréquentent, et toutes les infos et l’accès au fameux jeu virtuel.

— Entendu, nous vous donneront tout ce que nous trouveront. Je vous remercie monsieur Hartman.

Franz aurait voulu les rassurer d’une quelconque manière mais il ne trouvait les mots, ne savait que dire. Lui-même commençait à avoir du mal à croire en une jolie fin à cette histoire.

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Toluene
Posté le 16/01/2020
Ce mélange d’anticipation et de critique social est très prenant et tu peins en quelques traits des personnages justes et touchants. Très bonne introduction.
Sorryf
Posté le 19/09/2019
J'aime bien ce premier chapitre, très différent de ce qu'on trouve ici ! Ton univers de 2025 est cohérent et crédible (malheureusement T.T)
Cet ex-flic de 80 ans est un bon perso, l'intrigue est prenante, je ne suis pas trop fan des polars en général, mais l'univers du tien m'attire !
J'espère que ces 3filles vont bien.

quelques coquilles :
gentrifica -> gentrifia
Certains avaient même monté une banque façon monde piété -> Mont de piété
Même lorsque le thermomètre atteignait les 40°, ce qui arrivait fréquemment l’été, la canicule était devenue la norme l’été, -> répétition du mot "été"
ne jamais remettre en question l’éducation des enfants à un parent. -> un peu maladroit je trouve. "devant leurs parents" ?
Pendant quelques jours, elle toute miel -> il manque un mot
Franz avait beau joué au dur, au mec que rien ne touche, -> jouer
Poussant un soupire, il pressant son pouce contre son front -> soupir, et "il pressa"

Voila ! tes chapitres sont très longs alors je vais surement mettre un peu de temps avant de lire la suite, mais je serai au rendez-vous !
Eden Memories
Posté le 19/09/2019
Oui c’est un découpage pour roman mais quand j’ai essayé de couper plus court ça cassait le rythme et ça collait plus... merci pour les corrections et ton retour très positif !
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