Dhai était parti tôt ce matin sur l’étroit et long radeau en rondins de pin. Le bois glissait en silence sur l’eau trouble du lac et bientôt le village avait disparu derrière la brume. Le seul repère de Dhai consistait maintenant en la lanterne suspendue à l’avant du radeau et qui oscillait sans jamais pouvoir se mirer dans l’eau camouflée. Au moins apparaissaient toujours les silhouettes noires des oiseaux juchés sur leur perche, à l’avant et à l’arrière de l’embarcation.
— Prend garde, les eaux sont traîtresses, lui dit Silence.
Dhai ne l’avait pas écouté. La brume finirait bien par se lever, et il retrouverait le village sur les côtes plates du lac immense. Ce ne serait pas bien difficile, pour un ancien comme lui : il connaissait les rives comme sa poche. En même temps de son avancée, les cormorans plongeaient pour pêcher, et le brin d’herbe autour de leur cou les empêchait d’avaler les gros poissons. Le panier de Dhai se remplissait d’animaux frétillants dont les écailles humides et lisses attrapaient des morceaux du halo de la lanterne.
— Il faut bifurquer à droite, maintenant, insista posément Silence.
— Tu as perdu la tête ? Tu veux nous emmener au pied des rapides, ou quoi ? lui reprocha Vacarme. Nous ne sommes pas perdus, le brouillard va se lever.
Sur ces mots, il plongea. Silence essaya bien d’expliquer son point de vue à Dhai, mais le pêcheur, il était vrai, ne s’était jamais égaré sur les eaux plates et sombres, et n’avait aucune raison de penser que les choses changeraient un jour. C’était même lui que l’on envoyait à la recherche des jeunots perdus là où l’eau touche l’horizon de tous les côtés. Puis, Dhai avait des vivres, beaucoup de paniers, de quoi faire du feu, changer de vêtements… il prenait toujours un paquetage assez grand. Il ne craignait rien. Il était encore tôt, la brume finirait bien par se lever.
Silence, alors, ne discuta plus. Il pêcha à un rythme tranquille encore quand Vacarme cessa, laissant sécher ses ailes dans l’humidité grise qui les enveloppait. À mesure de l’écoulement des heures, s’illuminait le rideau de brume, au point de concurrencer la lanterne sous laquelle se rassemblaient les poissons. Alors, naquirent dans le nuage de hautes colonnes de bois, si profondément ancrées dans le sol et si immenses qu’elles avaient besoin de solides contrefort à l’écorce épaisse pour les maintenir droit au milieu de l’eau peu profonde.
— As-tu déjà vu pareille forêt ? interrogea posément Silence.
Dhai dut bien admettre que non, jamais. De toutes ces années de pratique, jamais il n’avait vu ou même entendu parler d’une forêt perchée sur le lac, à fleur d’eau comme les nénufar, aux arbres plus grands et plus larges que n’importe quelle forêt de la terre ferme. Silence se garda de la moindre remarque. Dans son sac de secours, Dhai ne possédait aucune carte, et puisque la brume demeurait couchée dans la canopée, elle n’aurait été de toute manière d’aucune utilité.
Dhai se maudit. Il s’en voulut beaucoup. Longtemps, il tourna en rond, jurant d’avoir déjà vu tel ou tel arbre, ou au contraire de passer par ici ou par là pour la toute première fois. Il réfléchit, se gratta la tête. Sur quelle partie du lac ne s’était-il jamais rendu ? Il connaissait ses rives est comme sa poche, il en était certain. Il devait donc se trouver très au nord, ou très au sud. Ces parties-là aussi, il les connaissait, mais moins très à l’ouest. Il fallait donc prendre la direction de l’est, pour retrouver le chemin du village. Évidemment, dans un tel brouillard, ni soleil ni lune ne pouvait lui venir en aide. Dhai était bel et bien perdu.
Pour se mettre les idées au clair, et comme le brouillard lumineux lui abimait les yeux, le vieux pêcheur dormit un peu. À son réveil, Vacarme jura qu’il avait dormi vraiment longtemps, et qu’il fallait s’étonner de la présence continue de la brume.
— Animaux et humains ont des notions du temps différentes, avisa Silence.
Dhai tira son sac de sous le petit abri du radeau, l’ouvrit et, plongea sa main noueuse jusqu’au fond, libéra sa fiole d’eau de vie, pour les urgences. Il fallait au moins ça. Comme c’était lui que le village envoyait chercher les égarés, qui viendrait le chercher, lui, hein ?
Alors, le pêcheur voulut se concentrer sur son travail, et demanda aux cormorans de pêcher. Silence s’exécuta, mais Vacarme se plaignit.
— Il ne fait pas plus clair sous l’eau que dessus, argua-t-il.
— Un pêcheur s’occupe à pêcher, intervint Silence.
Vacarme lui lança un regard noir depuis l’autre côté de la barque qui n’était plus qu’une ombre silencieuse dans le silence. Même le lac semblait prendre garde à ne pas clapoter contre son bois raide.
— Je peux raconter des histoires, nous ne nous ennuierons pas.
— Dhai ne te nourris pas pour ça.
— Il ne me nourrit pas non plus pour le regarder se soûler à l’eau de vie.
Silence se tut. Vacarme se râcla la gorge.
— Il était une fois…
C'est un beau début je trouve. tu rend parfaitement compte de l'atmosphère paisible, tout en mettant en avant l'anormalité du brouillard persistant.
J'ai eu un peu de mal à identifier Vacarme et Silence comme des cormorans. Si je n'avais pas lu le résumé avant je ne l'aurais pas forcément deviné. Une petite description des oiseaux serait peut-être bienvenue. :)
Comme moi, tu utilises beaucoup les verbes faibles (avait, était). Si tu décides de faire une réécriture après ton challenge, il faudra sûrement que veille à donner plus de relief.
En tout cas, j'aime beaucoup, je trouve que c'est un bon projet pour un inktober. En plus, écrire des contes, c'est super agréable et très utile pour se faire la main. Si tu vas jusqu'au bout, tu devrais obtenir un beau recueil de conte. :)
Je ne sais pas si j'aurais un beau recueil de contes, dans la mesure où je ne pense pas qu'une seule personne puisse écrire un vrai beau conte. Ils viennent de récits racontés par des centaines de milliers de personnes à travers les siècles, c'est ça qui leur donne toute leur force, du coup je ne pense pas qu'une seule personne soit capable d'écrire un vrai beau conte qui ait autant de force.