Une voix étouffée dans un fracas de fer me tire d'un sommeil profond. Étourdie, mes paupières papillonnent au rythme des néons qui brûlent immédiatement ma rétine. J'entrevois le papier peint jaune que je reconnais. Nous sommes arrivées au rez-de-chaussée donc. Autrement dit, l'étage 0.
Le souffle saccadé d'Ynes me met en alerte. On est encore poursuivies par cet étrange robot dont j'ai cru distinguer la forme humanoïde. Je me redresse, de toutes mes forces, en tentant de reprendre possession de mes jambes. Mon cœur chancelle durant notre course. Très vite, je comprends que notre prédateur est également en piteux état. Elle a réussi à lui trancher la tête. Son cou déborde de fils et de câbles laissant échapper des étincelles. Sa démarche ne cesse de changer de directions. Je pointe du doigt un coin près de la prochaine entrée dans une pièce, en espérant que le robot continuera sa route en croyant nous suivre.
Ynes ralentit sa marche, l'air très inquiet, je m'efforce de faire quelques pas pour accélérer. Juste après l'entrée, nous nous accroupissons et mes genoux se posent avec la plus grande délicatesse. Avec mes mains, je m'assure que le sol n'est pas de bois. Trop de fois, j'ai entendu dire que des voyageurs ont été dévorés à certains étages du simple fait de ne pas avoir prêté attention à leur environnement. Le robot s'éloigne. Ynes pose le sac à côté de nous en vérifiant les alentours. Les pièces sont vides comme on peut l'imaginer. Le bruit des néons succède au son mécanique déjà estompé. Un léger écho prend place quand Ynes chuchote.
— Tout va bien ?
— Oui. J'ai seulement très mal à la tête. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— L'ascenseur a accéléré. Je n'ai pas su comment l'arrêter, tu t'es cognée quand il a freiné. Le robot était sur le toit, il allait nous attaquer quand nous sommes arrivées. Tu as perdu connaissance à ce moment-là. J'ai dû te porter jusque dans une autre salle avant d'affronter le robot qui a été bloqué par les portes. Après les avoir défoncées, il m'a foncé dessus. J'ai pris la hache et j'ai visé le cou.
— Tu n'es pas blessée ?
— Si. Sa bouche était remplie de lames, il a réussi à me mordre au bras. Mais j'ai pansé la plaie avec un bout de mon T-shirt.
— D'accord. Et le sac ?
— Il est resté dans l'ascenseur.
— Oh mince... Je crois que j'ai perdu mon portable... Dis-je en fouillant mes poches.
— Peut-être qu'il est aussi dans l'ascenseur.
— Tu te souviens d'où il se trouve ?
— Je crois. Tu peux te relever ?
— Oui.
Mon estomac gronde.
— J'espère qu'il y a de la nourriture dedans.
— J'espère aussi, même si je t'avoue que boire me manque encore plus, ajoute Ynes en baissant les yeux.
Un éclat envahit ses iris dorés.
— Mais tu as une montre ?
— Oui. Elle n'indique pas l'heure, mais seulement les heures qu'il nous reste. Je ne sais pas ce que ça signifie. Je ne veux pas le savoir en tout cas, il faut sortir avant la fin du décompte.
— 84 heures, c'est peut-être suffisant.
— Je nous le souhaite. Allons chercher le sac.
Ynes reprend la hache en main. Nous marchons avec prudence en rebroussant chemin. Très vite, nous ne parvenons plus à nous souvenir où nous sommes. Je vois Ynes se tourner régulièrement dans tous les sens, comme si nous étions cernées par quelque chose. Le silence est si pesant. Ynes étant très peu loquace, je n'arrive pas à savoir si elle tient bon. Ma vision se trouble, et des ombres finissent par apparaître sur les murs. Ynes, elle, est soudainement saisie par une crise d'angoisse. Je me mets à croire qu'une entité nous tourmente. Les lieux ont clairement dissipé notre lucidité. Désorientée, j'insiste tout de même pour avancer encore, mais Ynes paraît affronter des illusions bien plus terribles. Je la prends dans mes bras en m'accrochant psychologiquement à la réalité.
— Ce que tu vois n'existe pas. Ce sont peut-être tes peurs ou tes traumas qui prennent forme, mais rien n'est vrai.
— C'est comme s'il était là, murmure-t-elle au bord des larmes. Je le vois et l'entends de partout, il nous suit avec son sourire béat. J'ai mis longtemps avant de pouvoir me reconstruire. Toute ma vie j'ai été hantée par sa présence, même dans mes rêves. Je ne veux pas qu'il nous retrouve.
— Il ne nous retrouvera pas. J'ai une idée.
Je couvre mes oreilles avec mes mains.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je limite les dégâts sur ma santé mentale. Je fais déjà de l'hyperacousie, entendre les néons me donne la nausée. Mais en couvrant le bruit, je pourrai mieux penser.
Elle imite mon geste. Nous reprenons notre route. Même si cette astuce fonctionne quelque peu, elle n'empêche pas l'anxiété de me ronger. Je la contiens pour ne pas me sentir submergée. Au bout d'une heure interminable, nous retrouvons enfin l'ascenseur. Le sac est encore présent. On se précipite sur lui pour vérifier son contenu : une gourde d'eau, une corde, deux barres protéinées, une lampe torche, un couteau de botte, une boussole, un Leatherman et un stylo.
Sans attendre, nous nous jetons sur les barres. La gourde étant petite, nous nous contentons de trois grandes gorgées après notre maigre repas. On la range ensuite à contrecœur, craignant de la vider sur le champ. Je ne sais pas si cela nous suffira. Ynes teste la lampe torche, qui éclaire à merveille. Elle éclaire l'intérieur pour trouver mon téléphone. Malheureusement l'écran est très abîmé. J'essaye de vérifier la batterie. 37%. Un message a été reçu.
Profiter d'être dans ⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹ de bâtiment ça nous aidera à localiser. ⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹me c'est trop eu d'infos, il doit bien y avoir des indic⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹⏹
Bon, on nous demande plus d'infos, je pense ne pas avoir besoin davantage pour comprendre ce qui est écrit. En revanche, je ne peux pas répondre. Fait chier. La seule chose que je sais, c'est qu'il y a des étages indiqués et que nous étions au 244ᵉ avant d'atterrir ici. A force d'écrire sur un smartphone, peut-être qu'en me rappelant l'emplacement des touches...
Nus n'avon p d'in supp. Mais pêtre que vous pouve chercher coment on sort d backroom e sais qu'on dirit une mauvaise blage ais je vous jre qu'on ne vou ment pas Aidenous à savoir commen sortir de ce genre d endrot nous navon peu de resource et il nus reste 3 jours enviro
Ynes tape mon épaule, l'index sur les lèvres, le regard écarquillé. Je la regarde, nous sommes effrayées. Un vacarme, plutôt imposant, brise le calme à intervalles réguliers. Il s'approche. Nous nous relevons et prenons la direction opposée. Quelques minutes après je ressens quelque chose de bizarre, comme si on nous fixait. Ynes se tourne pour le surveiller et détourne tout de suite le regard, terrifiée.
— Je crois qu'il nous a vues...
J'ose le regarder à mon tour. Mon corps manque de s'effondrer en le voyant. La peau couverte d'entailles, un buste ne tenant que sur deux bras semblables à des pattes de vautour, des viscères pendant au-dessus du sol et dégoulinant de sang. Les orbites vides ont laissé échapper quelques bouts de chair, et le haut du crâne ensanglanté est parcouru d'un couteau de chasse. Quelqu'un a tenté de se défendre. Je remarque avec horreur quelques traces de sang autour de sa bouche dépourvue de lèvres. Ses soupirs longs et étouffés, comme si ses poumons étaient compressés, donnent l'impression qu'il s'apprête à courir.
Ynes me saisit la main, attendant mes instructions. Je n'en ai aucune à part fuir au plus vite. Nous inspirons profondément. Ynes agrippe fermement la hache et nous courons à toute vitesse sans réfléchir. Les pas rapides de l'autre bête de chair nous talonnent. Nous n'avons parcouru que quelques mètres et je sens déjà ma respiration s'écourter. Comme l'autre créature nous fonce dessus, je propose à Ynes d'agir comme avec le robot, mais cette fois en utilisant la corde. Elle la sort sans plus tarder. Je saisis un des deux bouts, Ynes fait de même. À mon signal, nos corps se jettent sur les côtés à l'entrée d'un couloir. La corde se tend. La bête saccage alors les murs dans sa chute, répandant une traînée de sang à l'odeur putride sur son passage fracassant. Elle a du mal à se redresser.
On repart en se dépêchant. Plus loin devant nous se trouvent trois portes identiques. L'une d'elles mène peut-être vers la sortie.