Jour 6 + 1 : randonnée

Par N-ir

Le prince cadet de ce royaume voulait découvrir le monde et, surtout, s’installer dans un endroit à lui. Comme son frère aîné géra fort bien les affaires du royaume après la mort de leur père, il prépara ses affaires et partis battre la campagne. Il allait d’un bon pas, car il connaissait pas cœur les abords de la capitale pour les avoir exploré de fonds en combles durant son adolescence, lors de promenades qui pouvaient durer jusque trois jours et l’amenaient à camper à la belle étoile, accompagné seulement d’un garde du corps sur demande de son père, au cas où il croiserait des bandits. Devenu grand, le prince avait appris à se servir d’une épée – et fort bien – et put donc partir seul à la recherche d’un endroit où s’établir.

Il ne lui fallu que sept jours pour atteindre la frontière du monde qu’il connaissait et commencer à explorer des chemins jamais arpentés de lui. À partir de ce moment, il marcha plus lentement, soucieux de pouvoir s’orienter mais aussi de découvrir le pays. Pour prendre le temps, il avait décidé de se passer de cheval et, comme dans son enfance, dormait à la belle étoile, devant son feu de camp et dans un abri de fortune qui le dissimulait de la pluie. Bientôt, à force de marcher et marcher encore, il quitta la province pour entrer dans une autre, où les gens semblaient préférer les vêtements colorés et les troupeaux de moutons à ceux de vaches. Doucement, le terrain s’accidentait, jusqu’à se transformer en franches montagnes. De l’autre côté se trouvaient des territoires inexplorés. Le prince s’engagea sur les chemins, dans les cols et les vallées. Il marchait tout le jour et s’arrêtait à la tombée du soleil derrière l’horizon acéré.

Après plusieurs semaines de marche, le prince rencontra une jeune femme vêtue de blanc. Assise sur une pierre, elle pleurait la tête dans les mains, ses cheveux en rideau autour de son visage, et un panier de baies sauvages abandonné à ses pieds.

— Que t’arrive-t-il ? l’aborda le prince.

La jeune femme leva vers lui ses yeux rougis par les pleurs.

— Chaque semaine, la bête qui garde la grotte où pousse la source du village demande une jeune femme en guise d’offrande pour la manger, sans quoi il nous empêchera d’accéder à l’eau de la source. Demain matin, c’est ma sœur qui doit être mangée.

Le prince fronça les sourcils, s’assura que son épée se trouvait toujours solidement sanglée à son côté, et dit :

— Conduis-moi à ton village.

Le jeune femme surprise s’exécuta. En chemin, elle finit de cueillir des fruits pour une confiture – sa sœur avait demandé à en manger une dernière fois.

Une vingtaine de maisons constituait le village à flanc de montagne. En surplomb se trouvait une grotte. Le prince voulut aller la voir, mais le chef du village le lui refusa. Quiconque dérangeait la bête s’attirait son courroux. Il pourrait la voir le lendemain matin.

Le jeune homme réfléchit toute la nuit. Il songea se déguiser en femme pour monter à la grotte à la place de la fille sélectionnée, mais renonça : il était trop grand, trop large d’épaules : la bête aurait vite fait de découvrir la supercherie. Au lieu de ça, le lendemain matin, il conseilla au chef du village d’envoyer la fille à l’heure dite, et il grimpa à la grotte en coupant à travers les fourrés pour se dissimuler. Trois heures après le lever du soleil, il entendit le chant triste de la fille qui tentait de se donner du courage, et il vit entrer dans la grotte. Le cœur battant très fort, les sens aux aguets, il attendit. Au bout d’un moment, des bruits de tonnerre se firent entendre, puis le souffle gras d’une bête qui se répercutait sur les parois de la grotte et, enfin, dans un rayon de soleil, les écailles luisantes du dragon à trois têtes.

Sans réfléchir, le prince sortit de sa cachette alors que la fille terrifiée avait arrêté de chanter et coupa la première tête du dragon. La bête hurla avec ses deux autres tête tandis que celle coupée repoussait sur le champ. Une tête mordit le prince au bras et deux autres déchiquetèrent la jeune femme. Tremblant et taché de sang, le prince rentra au village, piteux. Certains voulurent le chasser, mais le chef du village rappela que la fille serait morte de toute façon.

Le prince vécu une semaine dans l’auberge du village, bien décidé à affronter une nouvelle fois la bête. La nouvelle fille choisie avait seize ans et venait de s’installer dans le village avec sa famille. Le prince l’accompagna à la grotte et se choisit une autre cachette que la première fois. Quand la bête bruyante apparut, il jaillit son épée à la main et d’un grand coup coupa deux des trois têtes. L’hydre chancela, prise de vertige, mais les deux têtes repoussèrent lentement, le prince fut chassé et la fille dévorée. Couvert de sang et fou de colère, le prince descendit au village.

La semaine suivante, la jeune femme choisie avait le même âge que le prince et était belle comme le jour. À vrai dire, c’était la fille la plus jolie de la montagne. Son rire sonnait comme un carillon, et elle était très forte en énigmes. Le prince tomba amoureux d’elle.

La veille de l’offrande, elle demanda au prince, assis sur le toit de l’auberge, de lui raconter les deux affrontements précédents avec tous les détails. Le prince s’exécuta et, à la fin de son récit, la jeune femme dit :

— Puisque la troisième tête a repoussé lentement quand tu as coupé les deux autres en même temps, cette fois tu couperas les trois têtes d’un seul coup. Si j’ai raison, le dragon sera mort.

Le prince trouvait le raisonnement censé, aussi opina-t-il avant de demander :

— Ensuite, tu m’épouseras ?

La jeune femme rit et accepta, car elle était aussi tombée amoureuse de lui.

Le lendemain matin, le prince trouva à se cacher près de l’entrée de la grotte. Sa fiancée apparut sur le chemin une heure de temps plus tard et se posta devant la grande bouche noire de la grotte pour attendre le dragon. D’abord le bruit de ses grandes pattes sur le sol de pierre retentit, puis sa respiration, puis ses trois paires d’yeux jaunes apparurent, et, enfin, ses écailles dans un rayon de soleil. L’hydre tendit une à une ses têtes pour épier l’extérieur et, n’ayant pas vu le prince, se pencha pour renifler l’offrande du jour. C’est ce moment que choisit le prince pour jaillir de sa cachette et, d’un puissant coup d’épée, trancher d’un coup les trois tête qui tombèrent en même temps sur le sol. Le dragon chancela et, cette fois, tomba. Le prince et sa fiancée attendirent un peu et, comme la créature restait à terre, ils se prirent dans les bras en riant, et rentrèrent au village. Le prince portait deux têtes, la jeune femme une. Ils les brûlèrent sur la place du village le soir venu lors d’une grande fête qui célébra aussi le mariage du prince et de la jeune femme. Ils vécurent heureux toute leur vie et firent souvent de grandes promenades sur les chemins de montagne.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez