JOUR 6 : Le corridor

On se précipite, sautant par moment les marches jusqu'à risquer de trébucher. Mes ongles s'enfoncent dans ma peau tant je serre les poings à cause de la douleur respiratoire. Ynes arrive à mon niveau, la lampe clignote de plus en plus. Nos pas pressés finissent par être submergés. épuisées, nous plongeons le regard dans une immense étendue d’eau noire et huileuse, qui semblait s’étendre jusqu’à l’horizon, éclairée par une lune blafarde : avons-nous quitté l’immeuble sans s’en rendre compte ? Je lève le regard pour constater qu'il ne s'agissait que d'une lampe, éclairant très faiblement un long corridor.

La surface est lisse, ses profondeurs sont visqueuses. On peine à courir, le liquide écœurant nous ralentit. On surveille l'avancée de l'ombre : elle n'est plus là. J'ignore si c'est rassurant. Ynes pointe son doigt droit devant nous.

— Regarde, c'est un couloir qui mène peut-être vers la sortie !

Je n'ai pas le temps de regarder que quelque chose me tire vers le fond. La voix étouffée d'Ynes hurle et sa main vient attraper mon T-shirt. Pendant quelques secondes, je crois me noyer. Elle finit par me faire remonter. Une quinte de toux violente m'aide à recracher cette tasse immonde.

— Vite, nous devons sortir, avance devant moi !

Face à nous, de l'autre côté de l'étendue d'eau, une cassure traverse le mur de part en part ; de la lumière semble émettre de l'autre côté. Ynes m'encourage, je ne parviens plus à articuler la moindre syllabe. Nous entrons dans le corridor, nos mouvements traduisent davantage la panique que nous ressentons. Il m'est impossible de réfléchir, chaque geste ne répond qu'au seul désir de survivre. Tout semble se refermer sur nous. Ce même bruit sourd perce de nouveau nos oreilles. Incapables de les couvrir, on souffre en continuant de nager. Je sens la montre se détacher de mon poignet. Il est trop tard pour le récupérer.

— Ne t'arrête et ne te retourne pas, lâche Ynes agonisant.

Nous approchons du mur fracassé. Je vois une lumière derrière, mais la fissure n'est pas assez grande pour pouvoir passer. Je nous éclaire avec la lampe dont la lumière chancelle sans cesse. Ynes me demande de reculer avec fermeté, brandit la hache, replace efficacement ses mains sur le manche et porte un premier coup de toutes ses forces qui laisse échapper un nuage de poussière. Le mur résiste. Elle frappe encore. Des craquements sont visibles et audibles. Le niveau de l'eau commence à monter. Ynes porte un dernier coup. Le mur finit par céder et nous tombons.

Je n'arrive pas à me relever. J'entends sa voix inquiète. Une lumière aveuglante couvre mes paupières soudainement brûlantes. Mes bras et jambes ne répondent plus. Je n'entends qu'un calme apaisant. Au silence succède le bruit du vent, comme s'il soufflait à l'extérieur, il semble venir d'un peu plus loin.

— Je suis là. Je ne vais pas te lâcher. Nous sommes dans un garage et en face c'étaient simplement les fards d'une camionnette.

— J'ai si mal...

— Moi aussi, dit-elle en m'aidant à me tourner sur le dos. Reprends ton souffle. Je vais voir ce qu'il nous reste.

Elle vérifie d'abord que tout est dans le sac. Nous avons encore le Leatherman, le couteau, la boussole et la lampe torche, qui ne va certainement pas tenir. Le stylo est tombé durant ma course, ma montre a été aspirée dans les profondeurs. Nous n'avons plus aucun moyen de savoir combien d'heures il nous reste si tant est que cette montre nous donnait bien des indications justes. Ynes essuie mon portable et me lit le dernier message reçu.

Il es ▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄failles à tous les niveaux. Mais v▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄a vous permette de sortir des backrooms. Soyez prudentes si vous croisez des failles on ne sait pas ce▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄▄

—  Il y aurait des failles à chaque étage. Mais j'ai l'impression que nous sommes proches de l'extérieur. Cela ne mène pas forcément vers la sortie, et ça peut être pire apparemment.

— Tu as vérifié la boussole ? Elle est dans ma poche.

Elle la saisit.

— Elle pointe vers la sortie du garage.

Ynes saisit la lampe pour vérifier qu'il n'y a pas de conducteurice. Pas de traces de pas sauf les nôtres, pas un bruit. Juste le vent et quelques insectes nocturnes. Elle fait le tour du véhicule.

— Tu penses qu'on peut conduire ?

— Je n'ai même pas le code.

— Je peux essayer. Ce sera plus simple que de marcher.

Elle entre à l'intérieur. Pas de matériel, les clés sont sur le contact. En les tournant, le moteur ne démarre pas.

— Il n'y a pas d'essence.

Elle fouille la boîte à gants et semble avoir trouvé quelque chose.

— J'ai trouvé cette feuille.

Ynes la porte jusqu'à moi. « - 1 ». Il y a aussi un étrange dessin griffonné dessus avec un œil.

— C'est pas possible, on ne peut pas être au « -1 ».

— Pourquoi ?

— Je ne crois pas qu'il puisse se situer en extérieur.

— Après, un tas de règles nous échappe.

La radio se met à grésiller.

— Tu as entendu ?

— Oui.

Ynes monte de nouveau dans la camionnette. La radio s'allume et s'éteint. « Doul... Hurlem.. Chut.. ». Ce sont les seuls éléments que nous ayons pu distinguer. Elle se dirige ensuite vers les portes du garage, cadenassées. Trois chiffres sont requis pour les ouvrir.

— Je n'ai plus la hache, elle s'est brisée. Les portes sont en bois, mais je n'ai pas assez de force dans les jambes. On est enfermées.

— Tu peux écrire aux gens qui nous aident ?

— Oui.

On est bloquées, un cadenas nous empêche d'avancer, il faut trouver le code. Vous pensez qu'on peut le trouver où ?

— J'espère qu'on pourra nous répondre.

— J'ai confiance en elleux.

— On n'a pas le choix aussi.

— J'ai hâte de sortir de ce cauchemar.

— Moi aussi... Ma copine me manque tellement, elle doit être folle d'inquiétude.

— J'imagine. Vous êtes ensemble depuis un moment ?

— Quatre ans. Bientôt cinq. Je n'ai jamais été aussi heureuse même si on a eu des moments difficiles. Mais on a toujours réussi à s'en sortir en se faisant confiance.

— Je ne pensais pas que tu pouvais autant parler.

— Je trouve que parler des gens qu'on aime, c'est une des plus belles manières de s'exprimer de vive voix.

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