— Je veux pas ! Non !
— Lyz, chéri, s'il te plaît.
— Je ferai rien, je le jure, je le jure maman !
C'était vrai, il ferait rien, il en faisait la promesse. Depuis le matin il promettait, depuis qu'il avait compris que maman et papa ne lui avaient pas fait une mauvaise blague avant de le border la veille. Il avait fait des bêtises, c'était vrai, et on l'avait grondé très fort pour ça. Il y avait eu la vitre de la salle de bain, et la lampe, la table basse dans laquelle il avait donné un coup de pied... et le mur aussi, où maman avait caché le petit trou avec un tableau.
C'était sûrement trop, en fait. Trop, trop de bêtises pour que maman et papa le supportent. Mais il faisait pas exprès. C'était depuis l'hôpital qu'il était bizarre, il y avait une voix qui criait tout le temps et qui le mettait en colère. Mais jamais il avait voulu casser la vitre, la lampe et le pied de table. Jamais il avait voulu cogner si fort dans le mur. C'étaient des accidents.
Lui qui freinait des quatre fers depuis plusieurs minutes, en restant debout, finit par céder et tomber sur les fesses. Lysander commença à hoqueter violemment, tout en continuant à supplier maman de pas faire ça, promettant qu'il ne ferait plus de bêtises, qu'il ne casserait plus rien.
Il s'essuya les yeux et le nez sur la manche de son t-shirt et remonta les genoux sur sa poitrine. C'était pas sa faute, c'était la voix, c'était elle qui le poussait à être méchant. À cause d'elle il avait très mal à la tête et au ventre. Il avait très très mal partout dans le corps.
— S'il te plaît maman, s'il te plaît.
— Lyz chéri, écoute-moi, d'accord ? Calme-toi.
Il renifla mais essaya d'arrêter de pleurer. Maman s'assit en tailleur face à lui et papa, qui devait s'étonner de ne pas le voir arriver, remonta les escaliers.
— Tu n'auras pas mal, jura-t-elle. Et tu ne seras pas dans le noir, nous allons laisser la lumière allumée.
— Mais pourquoi maman ? Papa ? essaya-t-il avec son autre parent qui lui sourit mais ne répondit pas.
C'était pas le noir qui l'embêtait. Il avait plus peur du noir, pour la simple raison qu'il ne faisait plus jamais noir. Depuis l'hôpital c'était la seule bonne chose, d'ailleurs. Il pouvait dormir sans sa veilleuse et la porte fermée, mais il n'avait pas trop insisté parce qu'il avait eu l'impression que ça dérangeait maman et papa.
— Tu sais que les choses sont un peu différentes, en ce moment, hein ? expliqua maman en lui caressant les cheveux. Tu nous l'as dit.
— Oui, avoua-t-il à regret.
Il pouvait pas mentir là-dessus, c'était lui qui arrêtait pas de partager tout ce qui lui arrivait. La lumière, c'était rien par rapport au reste, et il y avait pas que la voix qui criait et lui tapait dans la tête.
Il y avait la télé qui était toujours trop forte, et maman et papa qu'il entendait alors qu'il aurait pas dû pouvoir. Parfois il pouvait même répéter les conversations de gens trop loin, et il n'aimait plus aller au supermarché parce que tout le monde hurlait là-bas.
Et puis les odeurs, ça aussi, c'était insupportable. Maman avait arrêté de se mettre trop de parfum parce que ça lui faisait mal à la tête, mais ça changeait rien : il sentait le repas en train de cuire quand il était dans sa chambre avec la porte fermée, il sentait la mousse à raser de papa avant qu'il lui fasse un bisou et l'odeur d'herbe coupée quand leur voisin tondait la pelouse. Parfois c'était tellement fort qu'il en avait mal au nez, même les choses qu'il aimait avaient l'air de plus avoir le même parfum ou le même goût.
Et depuis quelques jours il avait juste mal partout. Il avait dit à maman et papa qu'il devait être très malade, parce qu'il avait des crampes au ventre et que ça cognait dans sa tête. Mais d'après maman il n'avait pas de fièvre. Il était resté couché mais il n'allait pas mieux, et pourtant maman et papa l'avaient forcé à descendre dans le salon.
— On t'a raconté, avec papa, qu'on a vu quelqu'un pendant que tu dormais à l'hôpital.
Là encore, il hocha la tête. Maman ne faisait que lui répéter ce qu'ils lui avaient dit la veille, sauf qu'il était doublement obligé de la croire maintenant. Ils plaisantaient pas. Lysander sentit de nouvelles larmes lui monter aux yeux.
— Cette personne nous a dit quoi faire pour ce soir. Elle nous a dit que tu irais mieux après.
— C'est vrai ?!
Ça c'était nouveau. Maman acquiesça, mais elle avait l'air triste. Derrière elle, toujours debout, papa acquiesça aussi, lui avait l'air plus confiant.
— Tout va revenir comme avant après ce soir ? répéta Lysander.
— Sûrement, répondit papa.
C'était trop beau pour être vrai : plus de voix, plus de douleur, plus d'odeurs et de sons trop forts. Demain. Demain tout irait mieux. Quand il voulut regarder maman, il fut horrifié de voir qu'elle pleurait. Maman pleurait jamais. Il s'approcha et elle lui fit un câlin étouffant, un câlin qui lui fit un peu mal mais il dit rien. Parce que ça lui faisait aussi du bien et qu'il avait encore un peu peur. Maman sentait le savon, la lessive et encore un peu le parfum parce que son pull en avait gardé la trace ; elle portait aussi une odeur de poivrons puisque c'était ce qu'ils avaient mangé.
— Maggie, lâche-le maintenant.
Mais... il voulait pas lui. Il pouvait bien rester encore un peu dans les bras de maman, non ? Papa n'avait pas l'air d'accord parce qu'il lui prit la main et le tira doucement. Maman le lâcha, en pleurant toujours, et Lysander se releva sans trop comprendre, sa main dans celle de papa.
La douleur dans son ventre commença à se faire de plus en plus forte, lui redonnant envie de pleurnicher. La lumière du salon lui semblait trop puissante, c'était comme si on enfonçait un couteau dans son cerveau.
— À demain mon chéri, murmura maman.
Alors Lysander comprit que rien n'avait changé. On allait quand même l'enfermer dans la cave. Il se remit à hurler et à se débattre pour que papa le lâche, et même s'il dut le tenir à deux mains, il ne le laissa pas s'échapper.
— S'te plaît papa ! Pitié ! Pitié papa ! Je veux pas !
— C'est pour ton bien Lyz, ça ira mieux demain je te pro…
— NON ! NON NON NON !
Mais il eut beau se faire mal à la gorge et donner des coups de pieds et pleurer et supplier encore et encore et encore : rien n'y fit. Il voyait flou et faillit tomber dans les escaliers tant il se battait. Papa dut le porter pour l'amener en bas et, sitôt au sol, Lysander voulut courir pour remonter.
— Arrête Lysander ! Arrête maintenant !
— Je veux pas, s'te plaît papa je ferai plus rien, je ferai plus rien !
— C'est juste pour cette nuit.
Il lui faisait mal aux poignets à force de les serrer, mais il fallait ça pour empêcher Lysander de retrouver les bras de maman.
— C'est pas ma faute papa, je te promets. Je voulais pas. Me laisse pas.
— Oh Lyz...
Et lui aussi l'étreignit plus fort que jamais, le bloquant contre son torse, étouffant ses suppliques dans ses larmes à lui. Papa pleurait. Papa aussi pleurait et jamais Lysander n'avait eu aussi peur de toute sa vie, à part un mois plus tôt, quand il s'était fait attaquer.
— Bien sûr que ce n'est pas ta faute, bonhomme. Bien sûr.
— Laisse-moi rester dans ma chambre, s'il te plaît…
— Je ne peux pas. Je ne peux pas.
Lysander voulut supplier encore, s'acharner autant que possible, mais la douleur fut soudainement insupportable. C'était comme un coup de poignard dans son ventre. Il cria, poussant Papa à le lâcher. Le souffle coupé, Lysander essaya de parler mais, cette fois-ci, il eut l'impression qu'on lui donnait un coup dans le dos. Il s'effondra par terre.
Papa s'était relevé et se tenait déjà au pied des marches. Il pleurait encore plus fort.
— On t'aime Lyz. On t'aime fiston.
— Non papa, non me... AAAAAAH !
La douleur venait d'exploser dans ses genoux et ses épaules. À travers un voile de larmes, il put apercevoir les chaussures de papa disparaître en haut. Puis il entendit la porte se fermer. Et il fut seul, complètement seul.
D'abord il se concentra sur les voix de maman et papa, à l'étage, sur leurs paroles. Il voulut rassembler son souffle pour les appeler au secours, mais un nouveau coup à l'estomac le fit se rouler en boule. Il ne put plus écouter que sa respiration lourde et son cœur battant. Plus rien d'autre comptait. Il avait mal, tellement, tellement mal. Il brûlait et gelait et tous ses os avaient l'air de se casser.
Il voyait flou. La voix s'époumonait dans sa tête et lui brouillait les yeux. Il voulait vomir mais il ne pouvait pas se redresser. C'était trop dur, trop trop dur.
Puis il y eut quelqu'un. Un adulte, debout dans l'angle de la cave, qui bougeait pas mais le regardait. Lysander fut incapable de fixer ses traits, encore moins de distinguer ses yeux. Il n'était même pas sûr de si c'était un garçon ou une fille. Il ou elle avait un pantalon et un tee-shirt, des cheveux noirs, peut-être... Cette personne n'était peut-être même pas là mais, en désespoir de cause, Lysander tendit la main vers elle.
— Au secours, articula-t-il difficilement.
Il avait du verre brisé dans la gorge et les muscles raides. La personne ne s'avança pas, ne dit rien du tout. Alors il insista :
— S'il vous plaît. J'en peux plus, s'il vous plaît.
Mais la personne resta immobile et muette. Ça devait être une illusion, comme la voix qui résonnait tout le temps. Il n'eut pas l'occasion d'y réfléchir plus, la douleur le frappa de nouveau et, cette fois, ne s'arrêta plus.
Le feu explosa sous son crâne, coula dans ses veines et irradia dans ses muscles. Ses os se cassèrent, se tordirent et se retournèrent. Lysander hurla jusqu'à en devenir fou, hurla jusqu'à être obligé de se tenir à quatre pattes, hurla en espérant que sa souffrance s'en aille ainsi. Mais elle s'accentua, planta en lui des griffes qui sortirent de ses ongles, le mordirent avec des crocs qui percèrent ses gencives. Le sang lui coula dans la bouche, l'étouffa à moitié, et son cri commença à ressembler à celui dans sa tête. Il voulut appeler ses parents mais les mots ne se formèrent pas, il avait la bouche trop grosse pour ça.
Dans la cave, il y avait un miroir. Juste avant de sombrer dans l'oubli, Lysander put avoir une vision claire de sa première transformation.
Les parents aussi sont touchants. Ils peuvent paraitre durs, inflexibles. Mais on comprend pourquoi ils sont obligés d'agir de la sorte. Et surtout, tu montres bien que ça leur coûte d'agir de la sorte.
On a juste envie de serrer cette petite famille dans les bras ! (on va peut-être attendre le lever du jour pour Lyz, ceci dit !)
A très vite pour la suite !! :D
Coquillette :
— Mais pourquoi maman ? --> — Mais pourquoi, maman ? (avec la virgule) OU — Mais pourquoi ? Maman ?
— C'est vrai ?! --> sans le point d'exclamation
— Tout va revenir comme avant après ce soir ? --> — Après ce soir, tout va revenir comme avant ? (avoir "avant après" à côté comme ça, j'ai trouvé ça étrange à la lecture)
Mais... il voulait pas lui. --> Mais... il voulait pas, lui. (virgule)
— On t'aime Lyz. On t'aime fiston. --> — On t'aime, Lyz. On t'aime, fiston.
Mince, tu ne penses pas qu'ils étaient heureux d'enfermer leur fils dans la cave ? Je pensais que c'était le souhait de tous parents 8D
Blague à part, merci de ta lecture et de ton gentil retour, Dé ♥
D'un côté, il y a ce pauvre gamin qui ne sait pas ce qui lui arrive et qui ne contrôle rien, et de l'autre, ses parents qui sont eux aussi démunis, mais qui gèrent brillamment tout de même en s'obligeant à respecter les instructions reçues. Le seul moment où ils perdent pied, c'est avec ce mensonge que tout ira mieux après... On ment trop facilement aux enfants.
Et la référence au miroir : Lyz s'est vu lors de sa première transformation et plus jamais après ? J'espère qu'Ismael pourra l'aider à remédier à ce refus d'accepter cette part de lui-même !
Je termine avec cette personne dans le coin de la cave, qui fonctionne bien dans ma théorie foireuse. La grand-mère vit au sous-sol ? ; )
Plus sérieusement, on dirait que les parents ont quand même été informés en détails, alors que l'épisode avec l'inconnu à l'hôpital semblait assez court. Du coup, est-ce qu'ils ont une source d'informations pas loin, quelqu'un qui les guide et ne serait autre que la grand-mère ? Mais Lyz l'aurait peut-être reconnue... Bref, je mène l'enquête !
Pas de coquilles ! Et j'ai apprécié la manière dont tu formules les pensées de cet enfant de 5 ans confus et désorienté, en faisant un pied de nez aux négations et aux virgules. De temps en temps, ça ne fait pas de mal : )
C'était un mensonge, oui... Mais ses parents avaient un peu envie d'y croire aussi.
(Bon, ça je peux le dire... Aucune grand-mère n'habite le sous-sol de cette maison)
Aha on sent que ce chapitre avait été soigneusement BLer et n'a pas été réécrit. Une pause dans ta traque de coquilles !
Les émotions des protagonistes sont superbement retranscrites. J'ai autant pu me mettre à la place de Lysander qu'à celle de ses parents. Mon petit cœur saigne...
Merci pour ce chapitre et cette histoire !
Merci pour ton retour, et désolée aussi pour ton petit coeur.
Merci à toi de la lire ♥
Et maintenant j'imagine la famille au moment de donner ses critères à l'agent immobilier : "il nous faut une cave... assez grande... avec une porte solide..."
Les mecs doivent flipper un peu...
Oui leurs déménagements étaient assez galère avec ce genre de critères. En l'occurrence, dans leur maison actuelle, ils ont changé la porte.
J'ai eu beaucoup de peine pour le petit Lysander, tu es douée pour raconter les choses du point de vue de l'enfant, avec un style enfantin mais pas simple pour autant. J'ai eu aussi beaucoup d'ampatie pour les parents, notamment avec la scène du père.
Et enfin la fin, crue, avec des descriptions très visuelles et puissantes.
Ce bond dans les passé apporte vraiment un plus au récit !
A+
Ce chapitre sur la première transformation de Lyz était super, triste et violent, on voit bien le désarroi des parents.
Les amis d'Ismael avaient raison de se crisper et de s'agacer, il était temps qu'une mise au point soit faite
Je me demande qui est la silhouette noire qu'il voit... Sur le coup j'ai cru au mystérieux lycan (ou pas d'ailleurs ... On ne sait pas en fait s'il en est un lui même ou pas) de l'hôpital, mais je me demande si ce n'est pas une vision de "lui", qui serait très calme et humain dès lors que Lyz devient possédé et bestial... Que de mystère ! En tout cas c'est fort, et j'aime bien l'attitude des parents, on sent qu'ils ont peur aussi, qu'ils font de leur mieux, ils sont à la fois fermes et anéantis, bravo pour ça.
Jai honte de dire ça déjà alors qu'on a été gâtés de trois chapitres en un jour, mais je le dis quand même haha : Vivement la suite !
Je crois que les flash-back de Lyz enfant sont ceux dont je suis la plus fière en terme d'écriture (jusque là je crois que les retours y sont toujours plutôt bons, ce qui doit conforter le sentiment, mais j'avais pris un plaisir immense à les écrire. Ca fait parti de ces scènes qu'on a bien en tête et qu'on a envie de partager)
Je ne dirais rien sur la silhouette, bien sûr, ce serait trop facile. Mais je lis attentivement les propositions à son sujet.
Merci encore !! <3
En tout cas c'est intriguant cet adulte qu'il a vu ou cru voir avant de se transformer. Est-ce que ça ne pourrait pas être un lui plus âgé ? Ou bien la vision de celui qui l'a transformé ?
Oui, sur le principe on espère qu'il n'aura rien raconté à l'école les jours suivants ("j'étais malade et papa et maman ils m'ont mis dans la cave")
Merci de ta lecture !!