Juin

Par Plulume

C’était l’été de nos dix-huit ans et de la plus grande canicule du millénaire. Le mois de juin était venu avec la liberté, car on n’avait pas trop flingué nos examens et à présent, un diplôme en poche, on s’inventait des avenirs pour combler le néant.

Dans la chaleur qui soulevait des nuages de poussière, on courrait pieds nus jusqu’au cœur de la ville. En terrasse, on commandait des cafés glacés juste pour se donner un air, puis on allait traîner dans la rue de la gare, là où le garçon péruvien avec ses longs cils vendait des jolis pantalons colorés.

Plus tard, on étalait une couverture sur l’herbe roussie du Parc des étangs et on croquait dans des pêches jusqu’à être assaillis par un escadron de guêpes. Ensuite, on s’enfuyait à toutes jambes pour se rincer le menton et le cou dans la fontaine que les pièces de monnaie lancées par les touristes faisaient ressembler à un drôle de ciel étoilé.

 

Lorsque, à la nuit tombée, nous ne pouvions nous résoudre à nous quitter, nous prenions le chemin qui descendait vers le lac. Assis au bord de l’eau dans l’air fraîchi, au pied d’un saule pleureur, Nino allumait une cigarette.

 

Il nous racontait ses projets, il parlait sans fin des films qu’il allait réaliser, des scénarios qu’il inventait, des histoires qui selon lui méritaient d’être mises en images par un artiste aussi talentueux que lui-même. Il rêvait d’un futur grandiose.

 

Nino était du genre résolument utopiste. Si confiant en la vie qu’on n’avait pas le cœur à le contredire. J’aurais aimé avoir son insouciance.

 

Quand son enthousiasme devenait un peu trop débordant, ou qu’il était clair que plus un seul d’entre nous ne l’écoutait, Naomi faisait glisser la fermeture éclair de son étui à guitare. En l’entendant siffler les premières notes de « the wind of change », nous prenions pleinement conscience du caractère éphémère de l’instant. Nous étions les enfants de demain, nageant dans l’incertitude de ce que deviendraient nos vies quand l’été prendrait fin.

 

Take me to the magic of the moment

On a glory night

Where the children of tomorrow dream away

In the wind of change.

 

Les yeux clairs de Naomi brillaient dans l’obscurité. Jean joignait sa voix douce et grave à la sienne pendant le refrain. Notre petit cercle se resserrait pour nous permettre de nous étreindre. Ainsi rassemblés, fredonnant, respirant à l’unisson, nous n’étions plus qu’un amas compact de jambes, de bras, d’épaules et de genoux, tel une seule et même entité. Sous le ciel vaste, la beauté de notre complicité prenait un caractère presque intime. Il nous semblait alors que nous aurions pu rester là pour l’éternité, nous nourrissant de rêves, de promesses et de l’énergie qui circulaient entre nous à travers un millier de points de contact.

 

Le plus souvent, on finissait sans trop savoir comment sur le pas de ma porte. Le chemin sinueux de l’ivresse recèle tant de mystères…

On s’éveillait le lendemain vers midi, à six entassés sur un grand matelas, la bouche pâteuse et les yeux engourdis tandis que le soleil chatouillait déjà les rideaux. Loïs et Naomi se chargeaient, non sans quelques ronchonnements de circonstance, d’aller grappiller dans la cuisine de quoi nourrir nos corps ensommeillés, et nous autres fixions  le plafond de ma chambre temporairement transformée en quartier général en écoutant distraitement la radio.

 

Les draps froissés, Edith Piaf et du thé au jasmin ; ainsi passaient paisiblement nos matins.

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Steph83
Posté le 30/12/2020
J'apprécie ton écriture fluide et facile à lire.
On devine à travers tes mots une expérience d'écriture que je ne possède malheureusement pas.
Quand au sujet de ton histoire je la trouve agréable et chaleureuse.
Je te souhaite une bonne continuation.
Désolé pour les fautes je ne suis qu'un débutant.
Plulume
Posté le 12/01/2021
Je te remercie pour tous ces compliments. Au plaisir de te lire !
Raph
Posté le 09/05/2020
Hello Plulume,

Je suis un peu tombé sur ton histoire par hasard mais je ne suis pas déçu ! Tu as une écriture à la fois apaisante et poétique, et on saisit très bien le bonheur de ces instants et le lien qui unit les personnages.
Merci pour ces quelques minutes d'été !
Plulume
Posté le 09/05/2020
Hello,

Merci d'être passé, même par hasard, dans le coin ! C'est toujours un plaisir d'avoir des retours.
Au plaisir de te lire.
Samjack
Posté le 14/04/2020
Happé par la jolie phrase "de promesses et de l’énergie qui circulaient entre nous à travers un millier de points de contact"... cela résume bien l'insouciance du moment et la glande magique de ces années adolescentes !
Merci à toi pour ce retour en arrière :)
Plulume
Posté le 23/04/2020
Et merci à toi pour ce commentaire. Au plaisir de te lire !
Fannie
Posté le 10/12/2019
Coucou Plulume,
Ce joli récit décrit vraiment bien ce groupe de jeunes et l’ambiance qui règne parmi eux.
Comme tu emploies « on » pour « nous » dans la plus grande partie du texte, on a l’impression que le narrateur raconte tout simplement à haute voix ce que ces gens ont vécu. Les mots coulent avec le plus grand naturel, mais en même temps, c’est plus beau et plus poétique que du langage parlé. En ce sens, c’est très réussi. Mais à mon humble avis, il y a deux expressions qui détonnent, justement parce qu’elles sont vraiment en langage parlé : « on n’avait pas trop flingué nos examens » et « En terrasse ».
Coquilles et remarques :
— on courrait pieds nus [on courait (indicatif imparfait) ; « courrait » est la forme du conditionnel présent]
— En terrasse [N.B. On entend souvent « en terrasse », « en plateau », « en caisse », etc., mais « en » signifie « dans (le/la) » et pas « sur (le/la) », ni « au/à la » ; donc grammaticalement, ce n’est pas correct.]
— Il rêvait d’un futur grandiose [d’un avenir s’il pense à sa vie ; voir ici : http://academie-francaise.fr/futur-pour-avenir. J’ai bien vu qu’il y avait « des avenirs » plus haut ; mais il existe des synonymes, comme par exemple des lendemains, des destinées...]
— « the wind of change » [Il semble que c’est « Wind of Change » (ou « Wind Of Change ») ; il y a toujours des majuscules un peu partout dans les titres de chansons en anglais.]
Plulume
Posté le 17/12/2019
Salut,
Merci pour toutes ces remarques, j'en tiendrai compte lorsque je me replongerai dans cette histoire, même si ce ne sera pas pour tout de suite... Tu m'es d'une grande aide en tout cas !
Liné
Posté le 31/08/2019
Je vais (encore ?) passer pour une fan flippante mais... je suis une âme simple, quand je vois "Plulume a posté une nouvelle histoire", je saute dessus !

Et ta plume est toujours aussi belle, glissante, avec des sonorités et des couleurs très particulières. En trois coups de pinceaux, j'avais le portrait de ce groupe de jeunes et de leur environnement.

Ce sera un roman, c'est ça ? (je vois "histoire en cours d'écriture").

Histoire d'être un peu plus constructive, j'ai repéré une petite coquille :
"qui circulait entre nous" -> circulaient

A très vite !
Plulume
Posté le 03/09/2019
Merci, merci, merci... Que de compliments !
Un roman ? Argh, je ne sais pas, mais une histoire un tantinet plus longue que ce à quoi je vous ai habitués, certainement.
A très vite (enfin j'essaye...).
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