Animal Crossing est sûrement l’un des premiers jeux sur console auxquels j’ai pu jouer de ma vie. Tout d’abord, en piraté sur la Nintendo DS, offerte par mon oncle ; nous avions craqué des centaines de jeux, car mes parents ne souhaitaient pas investir d’argent dans les jeux vidéos, et Animal Crossing Wild World en faisait partie. J’y ai joué sans même vraiment comprendre ce que je faisais. Mais j’aimais cet amiral qui faisait le trajet jusqu’en campagne sous la pluie. J’aimais ces musiques calmes qui semblaient vouloir singer la vie simple d’un village en campagne. J’étais ami avec mes voisins, même si leurs personnalités se ressemblaient toutes un peu, je m’attachais à eux et j’aimais les voir se promener sur le coin de terre. Mais j’étais jeune ; beaucoup d’aspects du jeu m’étaient restés obscur, notamment celui de Kéké Laglisse, un chien interprétant d’une voix robotique toutes sortes de styles musicaux pour habiller l’ambiance de ta maison et de ses pièces.
Quand mes parents se sont offert une Wii, séduits par son principe révolutionnaire de capteur de mouvement sur les manettes, le premier jeu que je leur ai demandé d’acheter était Animal Crossing : Let’s go to the City. Comme c’était mon anniversaire, ils avaient accepté. Le jeu fut pour moi une révélation. Je n’y jouais pas régulièrement, car j’en avais assez peu le temps et la console étant dans le salon, il était facile de se laisser juger par le regard parental. Mais quand j’étais malade, fatigué, ou même simplement triste… J’allais toujours faire un tour sur mon bout de campagne virtuelle. J’allais parler à mes voisins, et la musique du jeu me redonnait le sourire. Je prenais le temps d’apprécier le bruit des pas de mon personnage dans la neige et le son des vagues. Ainsi, Animal Crossing était devenu un réconfort, un moment d’échappatoire doux et apaisant quand la vie se faisait difficile. Une consolation qui continua de me suivre même quand la console se fit remplacer par une nouvelle génération. Et si j’avais la chance de pouvoir jouer les samedis soir, venait une récompense supplémentaire ; celle d’avoir compris, désormais, comment écouter les chansons de Kéké Laglisse, pouvant en réclamer une dans tout son répertoire en fonction de comment je me sentais.
Mais quand j’eus 16 ans, je quittai le milieu familial pour vivre chez l’habitant la semaine, dans une autre ville. Je n’avais donc plus accès à ce qui m’avait tant aidé jusque-là. Ma mère avait refusé de m’acheter une nouvelle console portable, et notre vieille DS avait rendu l’âme. Alors, je cherchais dans les produits dérivés. J’installais sur mon iPod beaucoup de chansons de Kéké, que j’écoutais quand j’en ressentais le besoin. Puis, un jour, à force de fouiller, je suis tombé sur ce que je voulais trouver ; un film Animal Crossing était sorti au Japon. Et j’avais enfin déniché le film avec des sous-titres en français dans les tréfonds d’internet.
Je n’avais pas envie de le voir seul, j’ai donc insisté pour que ma sœur le découvre avec moi. Elle me disait ne pas avoir le temps, alors j’ai avancé ma carte maîtresse. « On a qu’à le regarder le dimanche soir dans le train, quand on part de chez les parents ! » Le dimanche soir avait toujours été déprimant. C’est sûrement pour ça qu’elle avait accepté.
C’était sans aucun doute les pires conditions pour apprécier un film. Nous étions de nuit, en hiver, avec nos doudounes parce que nous avions froid dans ce train mal chauffé. Je l’avais lancé le plus vite possible, car je savais qu’il était plus long que le trajet. Ma sœur m’avait souvent regardé jouer à Animal Crossing, mais elle n’avait jamais testé le jeu elle-même ; peut-être que j’essayais de la séduire en lui faisant voir un film où elle n’avait pas le quart des références, et j’étais obligé de lui expliquer en chuchotant assez fort pour passer au-dessus du bruit des rails. Nous avions chacun une moitié d’écouteur, pour ne déranger personne autour de nous. Et nous n’avions pas eu la chance de trouver des sièges avec une table, alors nous avions posé mon ordinateur chacun sur un genou. Mais nous l’avons regardé, comme ça. En sachant que l’on allait arrêter le film vers sa fin et devoir le reprendre seulement la semaine d’après.
Jamais un trajet de train ne me parut si agréable. Les conditions de visionnages étaient peut-être exécrables, on entendait peu et la lumière du train nous aveuglait. Mais on regardait. Et le film fonctionnait. On était bien transporté dans un autre monde, où tout est plus simple, où les voisins semblent plus amicaux. Nous avons ri, quand nous avons vu des péripéties basées sur de la découverte de fossiles, qui nous rappelaient le jeu. Et même si l’histoire était très enfantine, il était bien que nous n’ayons rien de prise de tête à voir dans le train. La vie devenait plus légère, en compagnie d’Animal Crossing.
Et alors que l’on allait devoir couper la parole au film, parce que ma sœur devait bientôt descendre, est arrivé le fameux Kéké Laglisse. Elle comme moi l’attendions impatiemment. Est-ce qu’il allait chanter avec une vraie voix ? Ou est-ce qu’ils allaient conserver la voix iconique des jeux, mais ridicule en dehors de son contexte ? Quand nous avons entendu la voix suave du doubleur, nous avions eu un peu d’espoir. Puis, en entendant le résultat, on explosa de rire en même temps. Ils avaient bien gardé les chansons d’origine du jeu. Le résultat dans un film en était si absurde qu’il en devenait drôle. Et pourtant, malgré la découverte du chant en onomatopée synthétique, qui laissait retentir un gros « kwé kwé kwé » bien ridicule, l’émotion un peu mélancolique de la fin du film ressortait quelque peu. La Bossa de Kéké était le meilleur choix pour nous tenir en haleine.
Sa guitare au rythme particulier nous faisait voyager, la douceur de sa mélodie arrivait à passer outre la voix étrange. Elle résonnait, lentement, sur les contretemps. Comme un chat prenant son élan pour un saut, on ressentait comme un jeu sur cette mélodie irrégulière. Si bien que quand je coupai le film et que ma sœur s’enfuit vers la gare, je me remis pour moi ce petit moment d’à peine quelques minutes, un sourire perdu sur les lèvres. Qu’est-ce qu’il s’était passé, exactement ?
Le fameux « kwé kwé kwé » devint une blague entre ma sœur et moi. Je vis le film avec ce garçon, qui partagea lui aussi avec moi cette bossa du Japon un peu étrange. Puis, avec le manque de temps, je passai à autre chose, lentement. J’oubliai cette émotion particulière qui nous avait saisis sur un trajet de train. Enfin, bien des années plus tard sortit, avec une pandémie mondiale, un tout nouveau jeu que beaucoup attendaient : Animal Crossing New Horizons. Alors, je retrouvais en une musique capsule la Bossa de Kéké, qui résonnait sur toute l’île que j’avais construite de mes mains. Cette Bossa qui captait tant cette sensation de temps qui passe en faisant des pauses, de temps en temps.