J’avais 17 ans. Nous étions un dimanche soir. Je devais prendre un train, de chez mes parents jusqu’à ma ville, où j’habitais désormais. Et pourtant, ce soir-là, la nuit tomba sans moi. J’entendis mon frère et ma sœur partir avec leur valise et mon père pour une nouvelle semaine en tant qu’étudiants. Et moi, je restai là. Allongé sur mon lit, à avaler mes larmes quasiment séchées.
Il y avait eu un drame à la maison. Ma mère avait crié, j’avais hurlé en retour. Mon père s’est laissé porter par la colère. Je l’ai entendu me dire « tu es l’erreur de la famille » avant de me jeter sur le lit. Choqué, je n’en ai pas bougé. Je pense qu’il a instantanément regretté son acte, parce qu’il est simplement parti. Ils ne m’ont pas reparlé jusqu’au lendemain, où nous avons tous fait comme si rien ne s’était passé. Comme si la douleur et la colère pouvaient s’effacer avec la lumière des étoiles.
Pendant plusieurs heures, j’ai pleuré en criant. Personne ne viendrait, personne ne m’écouterait, personne ne me consolerait, je le savais. Alors, je criais encore plus fort. Jusqu’à ce que ma voix se brise, jusqu’à ce que mon corps ne le supporte plus, jusqu’à ce que le temps s’arrête, jusqu’à ce que mes yeux tombent avec mes larmes. Ce n’était pas la première fois qu’une telle émotion me submergeait, j’avais l’impression de redevenir un nourrisson. Comme tout ce qui avait pu se passer n’était qu’un vaste cauchemar, dans lequel je hurlais de tous mes poumons pour m’en sortir.
J’ai vu mon chat me fuir tant le vacarme était insoutenable. J’étais seul, entre les murs d’une chambre rouge sur laquelle ma mère avait collé des totoros et des tissus japonais pour me faire plaisir. Ma main tremblante a récupéré mon ordinateur portable qui traînait par terre. Le reste de mon corps demeura immobile, bloqué dans la position de sa chute. Bientôt, la fatigue reprendrait le dessus sur la détresse, et mes cris deviendront des râles étouffés, que plus personne n’entendra. Pour passer le temps, il me fallait juste un peu de musique.
Je ne sais même plus si j’ai choisi volontairement « Emmène-moi » de Boulevard des airs. Elle était sortie récemment, je l’avais entendue pendant un concert d’école dans lequel j’avais aidé mon ancienne cheffe de chœur. Je ne la connaissais pas, je l’avais découverte avec le chant des enfants. Quelque chose, dans les paroles, dans la mélodie, m’avait marqué, j’avais donc retenu le titre. Mais jusque-là, je n’avais jamais pris le temps de l’écouter. Alors, est-ce un hasard ?
« Je suis comme un grain de sable perdu dans l’océan. J’ai perdu mon cartable, j’ai perdu mes parents. » Sa guitare douce était entrecoupée par mes larmes. Malgré tout, j’entendais, j’écoutais. J’avais presque envie de chanter avec lui, de ma voix brisée. Elle était comme une berceuse. Lentement, au fil des écoutes, ma respiration se calmait, mes tremblements s’atténuaient. Mon ordinateur s’était transformé en boite à musique, comme celles que je pouvais faire tourner sans jamais me lasser quand j’étais enfant, et dont les sons cristallins mettaient instantanément fin à mes tristesses. La mer se reflétait sur l’écran, et dans l’envie de s’échapper que transportaient les paroles, je m’y retrouvais. Moi aussi, je voulais boire l’océan.
Plusieurs heures plus tard, seule la chanson se faisait entendre quand ma mère toqua à ma porte. Elle m’informa simplement que mon père m’emmènerait le lendemain au lycée jusqu’à Nîmes, et qu’il y avait de quoi manger dans le frigo si jamais la faim me prenait. Je pense qu’elle avait bien compris que je ne pouvais ni parler ni bouger, car elle s’en alla rapidement. Pour le reste de la soirée, je restai seul.
Je m’endormis ainsi. Je ne pris même pas le temps d’éteindre la lumière. Et effectivement, le lendemain, tout fut oublié. Mon père m’emmena jusqu’à Nîmes, juste à temps pour ne pas rater mes premières heures de cours. Le soir, je retournais vivre dans ma chambre chez l’habitant pour la semaine. Et le vendredi, après les cours, j’allais à la gare pour monter dans le train qui me ramènerait jusqu’aux montagnes de mes parents. N’est resté ainsi de cette soirée de désespoir qu’une capsule, qui dès son introduction me remémore l’obscurité de la nuit dans le vacarme de mes larmes. Cette chanson qui, par sa douceur tranquille, m’a rappelé que même les pires moments passent avec le temps.