La cage

Notes de l’auteur : Concours entre amis, thème imposé : lapin, impitoyable, rêve.

 Impossible de reconnaître cette odeur. Je fronce le nez et renifle un peu plus pour tenter de l'identifier, mais je suis à présent sûr que je ne la connais pas. Néanmoins, elle ne m'inspire rien de bon. C'est l'instinct. Même l'air m'en veut, je le trouve agressif, lourd.

 Mon oreille se dresse, j'ai cru reconnaître un cri au loin. Un cri de détresse, de douleur, de surprise ? Aucune idée. Il y a quelque chose qui ne va pas ici. Je recule, je croyais être à l'abri mais des grilles me barrent la route, derrière moi, de tous les côtés, des grilles métalliques. Où m'a-t-on emmené ? C'est un piège ! Mon souffle s'accélère, il faut absolument que je trouve une issue. Je sens l'odeur qui approche. Je griffe, mords les grillages, sans aucun résultat autre que de me faire mal. Au-delà des grillages, de toute façon, que faire ? J'ignore où je me trouve, je n'y vois pas à trois pas autour de moi.

Pourtant, à mesure que le poids sur mes épaules augmente, la raison n'agit plus. Je panique, me jette contre les parois de ma cage, mais elles encaissent, et lorsque la grande forme qui dégage cette odeur se penche sur moi, je ne peux que me blottir dans un coin en essayant d'occuper le moins d'espace possible, terrifié. Il me soulève pour me mettre au niveau de son visage. C'est vraiment un sourire, cette déformation immonde de ce qui lui sert de bouche ? Et cette peau toute plissée, sans fourrure, exposée comme un écorché ?

 J'essaie encore de me débattre alors qu'il emporte ma cage qui balance, suspendue au-dessus du vide obscur de ma prison. Je reste plaqué contre le fond, malgré le grillage qui me blesse l'arrière-train et les pattes. Je ne sais pas où on va, mais je ne veux pas partir. Ca sent mauvais, là-bas, ça sent le sang, la peur, la mort.

 Mes yeux s'habituent à la pénombre et devinent une lame, un billot et du sang, du sang partout. Des flaques entières, luisantes et à l'âcre senteur métallique, au sol, sur les outils, qui coule encore en longs filets. Je frémis jusqu'aux os et pousse ce qui avait pour projet d'être un cri, mais qui se termine en gémissement pitoyable. Personne n'entendra ma supplication.

Il y a un corps dans un coin. Je ne l'avais même pas vu, happé par les instruments de mort, mais sa fourrure blanche tachée de rouge se détache sur le sol et se soulève encore faiblement. Ses yeux fébriles ne me voient pas, mais je lis tout de même leur appel à l'aide désespéré. A moins que ce ne soit un ordre fraternel : Fuis, sors d'ici, sauve-toi.

 Saisi d'horreur, je me ramasse au fond, prêt à bondir dans un essai désespéré dès qu'il aura un relâchement d'attention. Il va bien devoir ouvrir la cage... je le fixe pour saisir la moindre de ses hésitations. Il manipule la grille et elle cède miraculeusement, je plie les articulations et tends mes muscles pour bondir, donne l'impulsion... Mais sa main me saisit au passage. Je rue dans le vide, au hasard, de toutes mes forces, et reçois un coup sur la tête. Un peu sonné, je continue à pédaler dans l'air mais il m'a saisi à la base du cou et j'ai beau me démener, il ne bronche pas. Sa poigne ne faiblit pas une seule seconde. Il me porte vers le billot, rien ne recule l'échéance.

 Ce contact dur sous ma tête est le pire que j'ai jamais connu, il me révulse jusqu'au fond de l'être. J'ai des spasmes à présent, mes muscles m'échappent, prêts à tout pour me sortir de là. Mais eux non plus n'ont aucun point d'appui. On m'écrase contre le support comme si j'étais un chiffon. La lame tachée du sang de mon prédécesseur se lève, je ne la suis du regard qu'un instant, c'est inutile. Je gonfle la poitrine une dernière fois pour dire adieu à ce monde.

Je suis vivant ? Je ne ressens aucune douleur. J'ai chaud, je reconnais l'odeur de mes frères et soeurs et de la terre. Mes pattes reconnaissent le sol doux foulé tant de fois et là, à l'extrémité du tunnel de sortie, c'est bien l'éclat familier du soleil qui se reflète dans mes prunelles. J'ai rêvé. J'ai seulement rêvé... Tout cela n'était qu'un horrible cauchemar. Pour le vérifier, j'agite les pattes, les oreilles, le nez. Tout fonctionne, pas la moindre douleur. Un grand poids quitte ma cage thoracique et je me précipite vers l'extérieur. Les hautes herbes balancées par la brise, la lumière rasante d'un soir de printemps, j'ai bien cru que j'avais perdu tout cela. En quelques bonds, je retrouve mes semblables au milieu des trèfles. Le goût des feuilles achève de me convaincre qur tout cela n'était qu'un terrible rêve et que la vraie vie est là.

 Je me fige d'un seul coup en croquant une fleur. Ce parfum atroce qui vient de flotter à mes narines, cette forme dressée immense, immobile, au bord du champ...

 Il est là.

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