Lorsqu’il se réveilla, il était allongé sur le sol et quelqu’un murmurait près de lui. Il lui fallut un moment pour réussir à comprendre ce qu’il disait, sonné et torturé par chaque fibre de son être.
— Irvine… ça a coupé ! Irvine, est-ce que tu m’entends ?
À sa voix succédait des crachotements par intermittence, puis au bout d’un moment, Irvine finit par répondre.
— Stephane ? Stéphane, je te reçois deux sur cinq. Tu peux parler plus fort ?
— Pas trop. Préviens le chef, je suis coincé dans le vieux lycée avec Camille et y’a des monstres. Camille est inconscient, mais pas blessé.
Camille releva cette remarque et s’y raccrocha. Il n’était pas blessé. Il avait mal dans tout son corps. Son cœur lui donnait l’impression qu’il allait se tordre, sa peau était comme écorchée de partout, brûlante et irritée, un gout de mort envahissait sa bouche et il suffoquait à cause d’un relent de souffre sûrement tout droit sortit de l’enfer. Mais Stéphane venait de dire qu’il n’était pas blessé, alors tout ça, c’était forcément la Terreur, c’était juste son cerveau.
— Le chef est prévenu, assura Irvine.
Camille essaya de faire une remarque, d’informer qu’il était éveillé, mais il s’étouffa, la gorge serrée par l’angoisse.
— Merde… Camille s’est réveillé, souffla Stéphane.
— Il est en crise ?
— Ça va, il n’a pas l’air en capacité de hurler.
— Tenez bon, la camionnette est partie.
— Merci. Terminé.
Camille tenta de se redresser, mais c’était insupportable. Tout son corps lui causait une souffrance intolérable et chaque muscle se contractait si fort qu’il ne pouvait même pas geindre ou se débattre.
— Bouge pas, murmura Stéphane en se penchant sur lui. T’es en sécurité, tu ne risques rien. La cavalerie ne va plus tarder. Parle pas non plus, tu pourrais hurler et vaudrait mieux éviter.
Camille acquiesça, son souffle difficile et sifflant attira l’attention du ranger.
— Tu peux respirer ?
Il hocha la tête.
— Bah ça va, dit-il avec un sourire entendu. Tu es du genre costaud, c’est qu’une toute petite Terreur de rien du tout, ça. On voit de qui tu tiens. Ton père c’était un sacré gaillard. Le type capable de faire fuir en courant les…
Il dut estimer que parler de monstres n’était pas la meilleure des idées et changea de sujet.
— Je te demanderais bien comment tu es venu te perdre ici, mais je vais éviter de te faire causer.
— Enquête, toussa Camille.
— Pourquoi je pose la question ? J’aurais dû m’en douter… C’est pas un endroit pour se promener les mains dans les poches, ce quartier, mais bon… si t’avais été un gars censé et prudent, tu n’aurais pas mis les pieds à Eïr. Surtout avec la Terreur. Le coin est truffé de monstres…
Il soupira.
— Je suis pas doué pour rassurer les gens, désolé.
— C’est pas grave, murmura Camille.
Le silence dura quelques secondes avant que Stéphane ne fasse un effort pour le meubler.
— Je patrouillais sur les hauteurs. Je t’ai repéré au loin, tu grimpais la colline du vieux lycée, faut dire que tu ne passes pas inaperçu en plus… J’ai senti que c’était pas normal. J’ai foncé…
— Un type…
— Nan, nan, ne parle pas, c’est bon. Les gens du quartier ont un humour particulier. Si vraiment tu as envie de fouiller dans le coin, je te suggère de revenir accompagné de quelqu’un qui sait se défendre. Tu trouveras bien un volontaire qui aura un peu de temps pour toi à la Brigade. Ou Chris. Mais je crois que Chris aime pas trop cette zone. Enfin, tu vois ce que je veux dire.
— Non…
— Ah bon ? Tu ne sais pas ? Dans ce cas, tu lui demanderas.
Stéphane se redressa puis sortit de ses poches un walkman et un petit casque pliable. Il déposa les renforts de mousse grise sur les oreilles de Camille avec un sourire rassurant.
— Reste calmement ici, profite de la musique, détends-toi et me fais pas une crise cardiaque.
— Mmh.
Il appuya sur le bouton lecture qui s’enclencha avec un clac sonore. D’un coup, un vieux rock texan résonna dans les écouteurs de Camille qui se retrouva comme propulsé dix-vingt ans en arrière dans un antique film de cow-boy. Interloqué, il oublia peu à peu la douleur. Au bout d’un moment, il se sentit capable de se redresser sur les coudes. Il tremblait de partout et ses membres étaient glacés. De la sueur roulait dans son cou et ça lui donnait l’impression d’être affreusement sale, puant de trouille. La musique n’était pas particulièrement à son gout, mais il se garda de couper le son même s’il était rongé par la curiosité. Il se doutait qu’il se passait des choses dehors. Stéphane était sorti. Il ne l’avait pas vu faire, mais il imaginait sans mal le combat qui devait se jouer maintenant. Des lasers dans tous les sens, des assauts héroïques, une armée de brigadiers cachés derrière des tables renversées qui se dévoilaient juste un peu pour tirer sur les monstres qui arrivaient par vague… ouais, ou alors c’était un coup de la musique. Mais ça devait quand même ressembler à quelque chose comme ça.
Il se redressa tant bien que mal et étudia la pièce autour de lui. Le traitement de la Terreur par la country n’était peut-être pas des plus agréable, mais Camille devait bien admettre que ça faisait son petit effet. Désormais debout et presque stable sur ses jambes, il pouvait observer les rayonnages qui l’entouraient. Il devait se trouver dans un garde-manger du fond de la cuisine. Les étagères étaient vides et une bonne partie d’entre elles s’étaient effondrées. Peut-être même s’agissait-il d’une chambre froide parce les boutons près de la sortie ressemblaient à un thermostat.
Pour confirmer ses intuitions, il entrouvrit la porte et sursauta. Sa gorge nouée comprima son hurlement d’horreur et il bascula en arrière, à deux doigts de la syncope. Deux bras solides le rattrapèrent.
— Du calme, du calme, c’est bon, ce n’est que moi !
Il suffoquait, pourtant il reconnut d’abord une poitrine rebondie contre son torse. Puis seulement, il comprit qu’elle portait un uniforme de la Brigade. Il releva les yeux vers une belle femme au regard assombri par l’inquiétude. Ce qu’il avait vu, c’était ses cheveux, elle était de dos devant la porte, elle avait monté la garde.
— Je suis vraiment désolée si je t’ai fait peur, dit-elle sans chuchoter, d’une voix sûre et ferme. Je ne pensais pas que tu serais en état de te lever, tu es du genre costaud, finalement !
Elle le relâcha et s’assura qu’il tenait sur ses jambes.
— Oh bah ça va ! Tu es en forme ! C’est une toute petite Terreur de rien du tout, ça ! C’est Stéphane qui en fait des caisses, comme d’habitude !
Il ne put s’empêcher de sourire, amusé par son optimisme. Il hésita à retirer son casque, mais il avait la trouille de ce qu’il pourrait découvrir. Les riffs de guitare languissants coloraient la pièce de touches de chaleurs qui la rendaient moins inquiétante et obscure et il n’avait aucune envie de percevoir d’éventuels bruits de combats ou pire… des grognements tout près. Alors il se contenta de baisser le son pour l’entendre plus nettement.
— Je vois que tu es curieux, commença la jeune femme mal à l’aise, mais soit gentil et ne regarde pas trop le sol vers la gauche.
— Euh… OK. Merci.
— C’est un plaisir.
Camille sentit ses yeux se tourner tout seul du côté où il ne fallait pas. Pour éviter tout problème, il se décala pour couper toute tentation. Il reporta plutôt son attention sur le reste de la pièce et comprit qu’il ne s’était pas trompé, ils étaient dans la cuisine du réfectoire. La grande salle derrière, c’était celle dans laquelle il était entré et il apercevait la porte vitrée au fond qui était la principale source de lumière de l’endroit.
— J’attends le feu vert de Serge, mon coéquipier, expliqua la brigadière. Et dès qu’il dit que c’est bon, je te sors de là tout en douceur, promit-elle. Lui et Stéphane sont en train de fouiller le bâtiment et ses environs pour s’assurer que tu ne fasses pas de mauvaise rencontre.
— Merci.
Il s’apaisait peu à peu, étonnamment, même si se faire traiter comme une petite chose fragile n’avait rien d’agréable.
— On ira peut-être botter le cul de celui qui t’a mené dans ce guet-apens, mais je doute qu’on le retrouve, il s’est sûrement planqué. Et dans cette zone, on n’est pas vraiment les bienvenus.
— Non, c’est bon.
La musique lui donnait étrangement l’impression d’avoir la voix plus grave et rauque et il se sentit gêné à l’idée qu’elle puisse croire qu’il essayait de la séduire. D’un autre côté, dans l’état pitoyable dans lequel il se trouvait, il ne devait pas lui faire beaucoup d’effet.
— Tu sais, dit-elle avec un petit sourire de connivence, si c’est des sensations que tu recherches, tu peux toujours venir sur le terrain avec le chef.
— Non… haleta-t-il. Mais merci pour l’invitation.
— Tu as l’air en forme, je suis sûre que tu pourrais.
C’était idiot, mais à force qu’on le lui répète, il avait presque l’impression que c’était vrai.
Sa radio crachota.
— C’est bon ma p’tite dame, tu peux sortir tranquille, c’est clean de mon côté.
Finalement à côté de la voix de Serge, celle de Camille était tout à fait normale.
— C’est bon de mon côté aussi, et Camille va bien, donc pas besoin de civière.
— Reçu, répondit un autre homme plus sec et sérieux.
— Je suis désolé de tous vous avoir dérangés, murmura Camille.
— Oh, tu sais, ça nous change. Et puis on était inquiets. Maintenant, ferme les yeux et laisse-toi faire. Monte le son, si tu préfères.
— Ça… ça ira.
Elle se plaça derrière lui, plaqua sa main gauche sur ses yeux et posa la droite sur son bras pour le guider et le faire avancer. Il reconnut la forme du pistolet en plastique à cet endroit qu’elle tenait prêt à tirer.
— Au fait, je te parle de tout le monde, mais si ça se trouve, tu ne sais même pas qui je suis. Je m’appelle Lolita. Je suis affectée aux barricades pendant les alertes. La seconde ligne de défense, juste derrière les explorateurs et les récupérateurs. Tu n’as rien à craindre avec moi, je gère les portails des limbes depuis deux ans, j’ai appris avec Strada et c’est le meilleur.
— Lolita, murmura Camille. Merci.
— Oh, mais de rien.
Il se fit la réflexion qu’il se dégageait d’elle une impression de puissance et de féminité remarquable, intensifiée par son prénom doux et chantant. Elle était belle et sûre d’elle, elle avait probablement abattu la plupart de ces monstres seule et elle n’avait peur de rien. Elle n’hésitait pas à parler fort malgré le danger. Pourtant ce n’était pas du tout le même genre que Chris. Chris était renfermée, bougon, hargneuse, âpre. Oh bon sang, comme elle lui manquait. Il aurait aimé que ce soit elle qui soit là. Il imagina que c’était la main de Chris sur son visage, son corps tout contre le sien. Il essaya vraiment, mais rien à faire, ça ne faisait pas illusion. Chris ne ressemblait pas à ça. Elle ne sentait pas comme ça. Ce n’était pas ses mains. Même les yeux fermés, il en était sûr.
Ils avançaient doucement. Il savait que des cadavres jonchaient le sol, il les visualisait très bien près de ses pieds quand elle le faisait contourner un obstacle. La musique donnait un rythme à leur démarche et dans les doigts de Lolita qui de toute évidence, entendait tout. Le moment était irréel, et comme il y réfléchissait, il se dit que ça n’avait aucun sens, qu’il avait l’air complètement stupide et que la vie n’avait rien d’un western plein de monstres.
Bientôt, il sentit le soleil frapper sa peau, et pour la première fois depuis longtemps, ce fut un soulagement.
— Tu peux ouvrir les yeux, cowboy ! annonça Lolita en le relâchant.
Lorsqu’il obéit, la lumière l’éblouit et il se rendit seulement compte à quel point l’odeur de souffre l’avait asphyxié jusque là. Il tourna la tête vers la camionnette garée à l’écart et aperçut une silhouette à l’intérieur. À contrejour, il ne vit pas qui lui faisait signe, mais se détourna en entendant des pas. Il pivota vers un homme qui tenait encore son pistolet.
— Et bah, Camille, on joue à se faire peur ?
— Serge, le tact et la délicatesse incarnée, présenta Lolita.
Camille répondit à sa poignée de main. Il s’était attendu à ce qu’il lui broie les doigts, mais non. Serge était charismatique, avec un physique avantageux, mais en le regardant, il était impossible de ne pas sentir le macho à la drague lourde.
— Rhoo… il va bien, c’est fini, maintenant ! Et puis c’est le fils de Tony, il en a dans le slip. Alors, raconte, Camille, tu t’es fait jeter par Chris et tu t’es retrouvé ici ?
— Pas encore, plaisanta Camille avec un pâle sourire. J’ai juste mis mon nez où il ne fallait pas.
— On s’en doutait, répondit Lolita. Bon… la procédure, là, c’est qu’on te fasse la leçon. Mais tu la connais, non ? Je ne vais pas te refaire le couplet sur la sécurité, t’es de la Brigade. Au pire, tu demanderas à Chris de te répéter tout ça.
— Promis.
— Si on ne se bouge pas, on va être en retard, prévint le type dans la camionnette.
Cette fois, Camille reconnut Samuel, le gars qui logeait à l’auberge de Layla.
— Tu viens à la réunion, non ? s’enquit Lolita. Le chef a dit qu’il avait une grande nouvelle à nous annoncer. Bon… moi je me doute un peu de ce que c’est vu que j’ai aidé.
Camille se crispa un peu. La réunion n’était pas au sujet de ses recherches, il y avait donc autre chose. Quoi ? Il n’était pas à l’aise avec les surprises.
— J’aurais préféré prendre une douche avant…
— T’inquiètes pas pour ça, répondit Serge. On te prête une des chambres au-dessus du QG, et on doit bien avoir une tenue à te passer. Let’s go.
Au début, j'etais perdu, mais c'rst bien, je me suis senti Camille. Je ne suis pas sûr que la coïncidence que quelqu'un de la brogade arrive pile poil à le voir soit 100% vraisemblable, mais est ce grave ?
"Il suffoquait, pourtant il reconnut d’abord une poitrine rebondie contre son torse. Puis seulement, il comprit qu’elle portait un uniforme de la Brigade."
2 choses ici : 1) Camille reconnait les gens mar leurs poitrines ?
2) c'est la poitrine qui porte un uniforme ?
XD je taquine mais tu vois ce que je ceux dire je pense ? :)
Chouette nouveaux persos, je comprends la volonté d'en mettrz pas trop mais j'ai trouvé etrange d'avoir l'impression qu'il y a pleins de brigadiers qui se battent mais d'avoir au final une petitz poignée de perso.
Merci pour le partage, à bientot ! <3