LA DEBROUILLARDE

DEBROUILLARDE      1

La Débrouillarde arrivait en vue des côtes. Derrière la grande digue, Cherpoule se blottissait, bien à l'abri des grands coups de vent. En effet les tempêtes soufflaient régulièrement sur cette région. Ici, à la naissance de la terre, la ville entourée sur trois côtés par l'océan s'était construite au fil du temps.

Certains nommaient cette région : le bout du monde. Dann, lui, l'appelait toujours : la naissance de la terre. Il préférait ce terme qui correspondait mieux à son esprit aventureux. Il aimait tellement naviguer qu'il passait pratiquement sa vie à bord de sa frégate : la Débrouillarde. Alors, il découvrait le monde, toujours un peu plus loin que le jour d'avant.

Lui, le Capitaine, l'avait baptisée ainsi, car sur les mers parfois démontées, elle avait toujours su les protéger. Elle prenait le bon sens du vent et des vagues, certaine de son choix. Tout l'équipage d'ailleurs lui faisait confiance. Bien souvent Dann s'en remettait à elle pour les ramener à bon port. Ainsi après une traversée houleuse et bousculée, chacun sur le bateau scrutait l’étroite Passe de l'Ouest qui leur permettrait de rentrer à l’abri du port. Mais ce jour-là, dans les flots agités, Débrouillarde ruait un peu et compliquait l’accès à travers le passage étroit des digues. Plantée sur le mât de misaine, la Hune se balançait dans tous les sens. Dann de là-haut suivait la manœuvre avec attention. Se glissant par le Trou du Chat et s’agrippant aux haubans, il descendit rapidement sur le gaillard avant. Débrouillarde semblait très en colère. Elle balançait ses deux mâts trapus de bâbord à tribord. Les marins durent se cramponner au bastingage pour ne pas cabaner par-dessus bord dans une eau bien froide ! Trébuchant plusieurs fois sur le pont, le Capitaine s’approcha de Pet’unson. Il accrocha fermement ses bras autour de la culasse du canon. Il fallait absolument prévenir les Tire-Pilotes qu'ils avaient besoin d'aide. Personne ne comprenait cette situation. En effet Débrouillarde s'était toujours tirée d'affaire sur des flots bien plus dangereux que ceux qu’elle affrontait en ce moment. Mais elle était très en colère. Elle en avait gros sur le cœur. Elle n'était pas la seule d'ailleurs ! Ils rentraient au port en apportant une terrible nouvelle. Ils devaient faire vite car tous avaient besoin d'aide !

Débrouillarde s'approchait dangereusement des digues. Les gros blocs de granite rose dressaient leur rugosité au ras de sa coque. Ils formaient une route qui semblait courir sur l'eau comme un très très long chemin percé de deux passes : l’une à l’Ouest et l’autre à l’Est.