Luce soupira doucement. Appuyée contre la vitre fraîche de son salon, elle observait la grisaille urbaine. Les nuages déversaient d’abondants sanglots sur les trottoirs vides, glissant jusqu’au fleuve qui se remplissait d’innombrables plic ploc attristés. Leur parcours en fluides sillons reflétait seulement le gris environnant. Luce aurait aimé plus de couleurs et davantage de bonheurs ; il en manquait dans tous les cœurs, elle en était certaine. La pluie hoquetait le spleen permanent, cette absence habituelle, ce manque inavoué d’une fantaisie, d’autre chose que ce blême grisâtre. Luce secoua ses boucles blondes qui voilaient son regard et colla encore plus son nez contre le carreau. Son visage se déforma, elle n’en avait cure. Elle cherchait un endroit où trouver de la joie. Mais la ville pleurait encore. Le soleil n’était plus qu’une légende tant il avait déserté les lieux depuis longtemps. Ou peut-être l’avait-on chassé. Les mythes solaires étaient apparus pour raviver un semblant de chaleur. Cela n’avait pas ramener l’astre brûlant. Les arbres avaient perdu leur vert étincelant, l’eau semblait sale tant elle ne brillait plus, et les maisons, malgré leurs architectures majestueuses, demeuraient d’un terne boueux. Pas une sculpture finement ciselée, pas une seule marguerite, pas même un pan du ciel ne s’illuminait. Luce avait beau se concentrer, plisser des yeux, tirer la langue, froncer les sourcils, apporter des jumelles, elle n’apercevait pas même une once de couleurs joyeuses dans ce triste décor aux cieux larmoyants.
Mécontente de ses vains efforts, elle décolla son visage de la vitre et croisa les bras. Tandis que la buée sur la fenêtre s’estompait, une moue boudeuse remonta pour toucher son nez. Luce resta ainsi quelques minutes, où elle expulsa silencieusement sa colère contre ce monde si monochrome. Puis, lentement, sa main se posa sous son menton et sa moue se transforma en un petit sourire. Elle mordit légèrement sa lèvre inférieure, en proie à une profonde réflexion. Ses yeux se mirent lentement à pétiller, comme les étoiles commencent à s’allumer une à une pour tapisser la voûte céleste. Et, sans que rien ne se produise à l’extérieur, Luce émit un rire. Rien de bien sensationnel, mais elle eut l’impression de respirer. Elle constata alors que son rire était différent de celui qu’elle entendait d’habitude, il sonnait comme une douce mélodie, non comme un grincement de porte. Elle rit plus fort. Luce entendait à peine les ondées du dehors sous son rire étonné. L’odeur vieillotte et humide se piqua d’un parfum presque indiscernable… une senteur inconnue qu’elle ne parvint pas identifier. Luce intensifia son rire libérateur. Oui, c’était une belle musique qu’elle émettait.
Soudain, elle s’arrêta. Pourquoi son rire était-il beau, mais pas celui des autres ? Ses index frais se posèrent sur ses tempes. Elle se mit à réfléchir... Où était la différence entre elle et les autres ? Luce recommença à se triturer la lèvre inférieure avec ses dents. Ses sourcils se froncèrent encore pour s’effleurer. Et puis, elle sut.
Son rire était sincère, naturel. Ceux qu’elle avait entendu étaient comme le paysage, ternes, gris, tristes. Ils n’allumaient pas de petites étincelles de bonheur dans le cœur. Ils étaient factices. Feints. Ressemblants plus à des cris qu’à des éclats d’euphorie. Luce soupira encore : tout revenait à ce gris permanent. Et elle se remit à contempler par-delà sa fenêtre. Il pleurait toujours sur la ville creuse de toute joie. Rien ne changeait. Rien ne changera. Luce allait à nouveau souffler son désespoir muet quand une idée germa délicatement dans son esprit. Une idée extraordinaire. Et Luce prit sa décision. Personne ne voulait se retrousser les manches, personne ne voulait travailler, personne ne voulait dépoussiérer le monde, alors elle endosserait ce rôle. Elle en avait assez de croiser ces yeux et ces cœurs gris fantomatique.
Luce se mit debout, épousseta ses vêtements moroses, et fit quelques pas déterminés dans la pièce. Une salle presque vide d’existence, où les jours se déroulaient dans une langueur routinière. Mais cela se terminait, enfin. Elle sourit et prit son chapeau qu’elle posa sur sa chevelure blonde. Luce sursauta. Blonde ? C’était vrai ça, elle avait les cheveux blonds. Pas gris. Son sourire s’accentua. Elle contempla ses mains, et il lui sembla qu’elle percevait un peu de couleurs... pas grand-chose, mais sa peau avait un peu de pigmentation, et, oh ! sa chemise s’éclaira de reflets bleutés. Luce n’était pas toute grise. Elle rit encore un peu, et remarqua les nuances de violet sur son pantalon.
Si elle était capable de prendre les pinceaux pour peindre sur sa propre grisaille, elle pourrait le faire sur les autres. Elle pourrait apprendre à rire sans fausses notes. Elle pourrait renverser des pots entiers de couleurs dans les cœurs des personnes. Elle pourrait rayonner comme un soleil pour réchauffer la froideur du monde. Elle le pourrait, et elle le ferait.
Luce avait du boulot, mais rien ne l’empêcherait de mener sa mission à bien. Elle prit un sac à dos et commença à le remplir pour son voyage. Les bibelots et babioles qu’elle dénichait dans des recoins déserts et qu’elle collectionnait revêtirent une soudaine importance. De la poudre de douceurs, de l’aquarelle à distribuer, de l’espoir à mâcher, de l’amour en spray, des bonbons à sourires, des carnets à rêves, des peluches réconfortantes, des partitions de rires, des perles à s’émerveiller, des parfums enivrants, et d’autres belles choses comme une demi-douzaine de répulsifs anti-malheur, étaient essentiels. Luce boucla son sac, enfila des chaussures ailés, et pour finir, noua son arc-en-ciel personnel autour de sa taille. Elle était prête pour l’aventure. Elle posa sa main sur la poignée de la porte, et sortit.
Piccola Luce allait affronter le gris monocorde du monde coûte que coûte, et ce ne sont pas les larmes des nuages qui feront disparaître les couleurs dans ses yeux.
La pauvre Luce n'a pas fini de se démener... Quand on pense à la grisaille ambiante, cette histoire est un écho réel à notre vie actuelle.
Et bien ! Fière d'être ta première lecture ! J'espère que ça ne te décevra pas du site aha XD
Hihi, merci ^o^
Oh, oui... mais malgré la ressemblance avec le monde, j'essaie d'apporter de la douceur et de l'amour dans ce conte (qui sait, peut-être que ça se répercutera sur mes lecteurs ?)
Peace :)
Joli défi ;)
Hihi, merci ! J'avoue que parfois je m'en détache, ou qu'elles deviennent secondaires... Mais comme c'est ma base, je veux rendre honneur aux DLP en le mentionnant :)
Cette petite nouvelle est aussi simple qu'efficace ! Je ne sais pas de quelle image tu t'es inspirée, mais je retrouve bien là les couleurs qui peuplent d'ordinaire les cartes Dixit.
Merci pour ce chouette moment tout en douceur !
Hihi, merci à toi de ton retour :) Hum, je ne sais pas la combientiène c'est non plus, j'ai pris les DLP en cours de route x)
On ressent aussi beaucoup ses gestes et donc l'on peut vite se mettre à la place du personnages.
C'est vraiment enchanteur et j'ai hâte de poursuivre ma lecture étant donnée qu'en plus il n'y a pas énormément de contes sur la plume d'argent !
Je me suis beaucoup retrouvé dans le résumé de ton histoire, puisque dans ma bio j'ai justement mentionnée le f
Avec beaucoup de tendresse, une petite pousse en herbe
Merci énormément, je suis heureuse que ça te plaise, et que Piccola Luce soit attachante !
Olala, merci <3
En effet, il n'y en a pas beaucoup mais je trouve les contes très apaisant (à écrire autant qu'à lire)
Je suis tout à fait d'accord avec toi ! Colorons la vie ^^
Peace :)
Tu as tout de même trouvé le moyen de tester tes relecteurs, ce qui m’a permis de dénicher ceci :
La bribe : « et dans le fleuve qui se remplissait avec d’innombrables plic ploc » peut être allégée ainsi : « et le fleuve se remplissait d’innombrables plic ploc ». Pas besoin du « dans » et du « qui », car on sait que c’est une résultante de la pluie. Le « avec » n’est pas nécessaire non plus, à mon sens.
« Luce aurait aimé » : « Luce aurait préféré » ?
« de petites étincelles de bonheurs » : j’aurais mis bonheur au singulier, mais je peux me tromper.
« Alors, ce sera elle qui endossera ce rôle » : essaie avec : « Alors, elle endossera ce rôle ! »
« Elle en avait assez de voir ce gris » : apercevoir à la place de voir ?
« et vit les nuances de violet » : « et remarqua » ?
Tes remarques sont pertinentes, merci de les relever pour que j'améliore mon texte !
Peace :)
J'ai été assez intriguée par ton résumé qui m'a rappelé un peu un jeu: Gris. Le côté monochrome du monde, un peu déprimant. Mais cette fois, c'est le personnage principal qui est heureux, qui veut ramener de la couleur et le reste qui veut rester dans cet état que je qualifierai de léthargique. J'aime beaucoup ton style, à la fois très simple mais très plaisant à lire. J'imagine Luce comme une espèce d'enfant adorable qui veut, à sa manière, tenter de sauver le monde. Et ce n'est pas quelque chose de très commun à lire. Aussi suis-je impatiente de pouvoir découvrir son histoire par la suite.
Au plaisir :D !
Je ne connais pas ce jeu, je regarderai !
Oh bah merci beaucoup, tout ça me fait très plaisir ^^
J'espère que la suite te plaira (même si je ne la connais pas moi-même XD)
Peace <3