La dernière fois

Notes de l’auteur : Bonjour, bienvenue sur le premier jet d'une des multiples versions de Judy Blyton - sans doute la dernière. Il a besoin d'une réécriture pour porter le titre de "texte abouti", quelques incohérences et irréalismes le ponctuant. Je ne sais pas si cette réécriture verra le jour. En revanche, je suis preneuse de toutes remarques, conseils, suggestions, critiques, avis, points de vue... pour améliorer cette histoire et celles à venir ! Bonne lecture !

Autrefois, j’étais connectée à l’Eau. Je pouvais troubler la surface d’un étang de vaguelettes en l’observant, arrêter la pluie avant qu’elle ne touche mes cheveux, je pouvais... Mais cet instant est révolu. La lumière qui me connectait à l’Eau s’est dissipée, avalée par l’anti-lumière, ou autrement dit « l’anti-lumière ». Cette force rompt les connexions à jamais. L’anti-lumière appartenait aux Esprits jusqu’à ce que mon frère et moi ne la leur volions. Envolée, l’extension de moi-même, évanouie la présence de mon Esprit. J’ai volé ce qui leur permettait de contrôler la lumière, leur essence ; car les Esprits sont lumières. J’ai volé et j’ai été punie. Les Esprits seront toujours là pour me hanter, pour me susurrer la haine, la peur, l’angoisse, la souffrance de tous ceux que j’ai déconnectés. Et je vivrai infiniment dans leur chuchotement et les cauchemars jusqu’à ce que je leur rende ce qu’on leur a pris.

Vous pensez que sept-cent ans, c’est long. On a le temps de vivre mille vies. J’en ai expérimenté vingt. Vingt, dans plusieurs corps, de leur aube à leur crépuscule. Je me sens vieille comme un rocher. Je sais que mon temps est venu. Je le sais, je le sens pulser. Sept-cent ans. Il est temps de mourir et de marcher sans laisser de traces.

Encore une vie, une dernière fois.

L’anti-lumière s’est échappée de moi. Si je l’avais encore, je l’aurais rendue depuis longtemps. L’anti-lumière est volatile dans le monde réel. Elle passe d’être en être de génération en génération, ne suivant que ses propres règles. On l’a en soi, inactive, inerte, jusqu’à ce que notre lumière l’éblouisse dans un sursaut d’émotions. Alors, là, elle jaillit et attaque la lumière. Quand on possède l’anti-lumière, on peut déconnecter n’importe qui. Rompre une connexion est aussi facile que claquer des doigts : il suffit d’être en colère.

On rompt la connexion de nos ennemis, mais ce qu’on ne sait pas, c’est qu’elle ronge la nôtre, souterrainement, jusqu’à ce qu’elle s’enfuie. Quand elle s’en va, elle a grignoté toute notre lumière. Elle s’infiltre dans un hôte lumineux, comme un parasite, jusqu’à ce que de déconnexion en déconnexion, il n’en reste plus rien. Et ainsi de suite.

Aujourd’hui, je suis tapie dans les herbes hautes des marécages et j’attends devant une maison sur pilotis, la seule dans le paysage. Le delta de Roche-Lieu, la source des Esprits, le lien entre nos deux mondes.

Je ne suis pas là pour leur rendre l’anti-lumière, car je ne le peux pas maintenant.

Mon frère possédait l’intégralité de la lumière et il en est mort. Posséder toute l’anti-lumière est mortel ; elle tue non seulement la connexion mais aussi l’étincelle de vie. Elle s’est divisée entre Léonce Artéga et moi – parce que nous étions là –, presque naturellement, car un parasite a besoin d’un hôte vivant pour prospérer. Nous aurions pu la rendre tant qu’il était encore temps. Nous ne l’avons pas fait. À présent je dois retrouver les deux parties de l’anti-lumière et les rassembler devant la source. Deux êtres humains à retrouver.

L’anti-lumière ne m’appartient plus. Je l’ai perdue, je l’ai cherchée et je l’ai retrouvée. Valeria porte en elle la moitié que j’ai perdue. L’autre moitié voyage quelque part, à l’autre bout de l’Océotanie.

Valeria vient de déconnecter le père de sa fille, Armand Aster, et vient de signer sa propre déconnexion. Je peux le sentir, après tant d’années à scruter les moindres faits et gestes de cette force. Elle rampe dans le cœur de sa fille, trente-six mois à peine, Judy.

Valeria sort de sa maison sur pilotis. Elle tourne la clef dans la serrure puis la jette dans l’un des nombreux étangs du delta de Roche-Lieu. Elle regarde pour la dernière fois sa maison.

La lumière du soleil rase le sol et fait scintiller la myriade d’hautes herbes des marais qui ploient sous le vent. Valeria se dirige vers une barque. Elle l’a utilisée des centaines de fois, là aussi, ce sera la dernière. Judy somnole sur son dos. Ses pas sont lourds et elle peine à mettre un pas devant l’autre.

Elle monte dans la barque qui se brinquebale de droite à gauche sous leur poids et celui de leurs sacs de vivre. Elle va devoir ramer un mois sur le fleuve Roche-Lieu avant de parvenir à la capitale, là où Armand se trouve. Selon mes calculs (et sans doute les siens), il doit rentrer demain à Roche-Lieu, dans l’après-midi. Il trouvera la maison vide, tous ses espoirs de reconquérir sa connexion avec le Feu envolés. Il ne pensera pas à les chercher à travers la capitale. Trop risqué.

Elle lui a volé ce qu’il avait de plus précieux. Il ne lui pardonnera jamais.

Le temps qu’il comprenne ce qu’elle lui a fait, elle aura disparue. Le temps qu’il comprenne qu’il doit retrouver Judy, elle l’aura cachée.

Mais entre nous, chercher à retrouver sa connexion par l’anti-lumière est vain. Si l’anti-lumière contrôle la lumière, elle ne la rend pas. Jadis, elle écoutait les Esprits. Mais chez un humain, elle n’écoute que les émotions.

Armand ne l’aime plus. Il en a choisi une autre. Elle le sait. Mais elle le cache bien. Quelle meilleure raison pour s’emporter que d’apprendre que le père de son enfant a décidé de la quitter sans rien lui dire ?

La pression des cris dans ma tête s’intensifie, mais je ne les écoute pas.

J’inspire les effluves de la marée.

Valeria redresse le mât. La connexion ne vibre plus sous et sur sa peau. La brise ne l’appelle plus. L’Air l’avait choisie, alors qu’elle n’était qu’une enfant mais... Elle tire la voile.

Ah.

C’est fini.

La barque, oui – ou bateau rafistolé ? – quitte lentement le ponton. Tellement lentement…

Elle détache Judy de son harnais et la place sur ses genoux. Bientôt, elle verra une silhouette petite et trapue entre les roseaux. Elle lève les yeux. Et elle me voit. Elle plisse les yeux. Et elle dit :

— Qui êtes-vous ?

Même bébé Judy me dévisage de ses grands yeux sombres, ses mèches volatiles et vaporeuses soufflées par la mer.

Ça, c’est ce qu’il vous reste à voir.

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Grob
Posté le 01/07/2025
Bonjour j’aime beaucoup la façon dont est amenée l’univers, ça me permet de comprendre à peu près de quoi il est fait tout en ayant plein d’interrogations. Le tout me donne une sensation de douceur et de calme malgré le propos plutôt sombre. J’ai hâte de poursuivre même si 31 chapitres ouch ça va être long hihi
Je suis un détracteur des "patronymes de fantasy" (e.g. Aranaelle, Iristidul) donc je suis enchanté de lire les noms de tes personnages.

Je ne sais pourquoi j’ai eu du mal à comprendre qui est Valeria et j’ai cru un instant que c’est la narratrice. Cela s’est dissipé après relecture de quelques paragraphes.

"Mon frère possédait l’intégralité de la lumière et il en est mort. Posséder toute l’anti-lumière est mortel" --> Il possédait l’intégralité de l’anti-lumière alors pas de la lumière ?

"avalée par l’anti-lumière, ou autrement dit « l’anti-lumière »" --> Ça m’a fait bizarre de ne pas voir la différence entre les deux formulations. Je n’ai pas compris ce que cela ajoute.
Prudence
Posté le 01/07/2025
Bonjour, aaaah oui les fameux patronymes de fantasy xD Je n'en suis pas très fan non plus, surtout que j'ai la fâcheuse tendance à inverser les syllabes dans les mots donc au final je ne réussis jamais à prononcer correctement leur nom. Contente de l'effet que ce début ! Je prends en note cette petite confusion au cas où.
Merci pour les deux remarques, je les note pour les corriger comme il se doit à la "réécriture". La phrase avec l'anti-lumière répété deux fois doit être une relique d'une tentative vaine de trouver un nom plus original et plus facile à prononcer que "l'anti-lumière", haha.
Merci pour ton retour !
rose898
Posté le 24/05/2025
Votre écriture dégage une sensibilité particulière, très touchante. On sent qu’il y a du vécu ou du sincère derrière ce que vous racontez.
Prudence
Posté le 31/05/2025
Merci pour votre commentaire !
Reveanne
Posté le 11/05/2025
C'est riche, fluide à lire, on sent l'univers largement développé derrière mais dont on n'aperçoit qu'une infime partie. ça fait envie.
Par contre beaucoup d'infos en peu de temps, j'avoue que ma cervelle ne retiendra quasiment rien, c'était un peu trop dense pour moi.
mais je suis curieuse de la suite.
Prudence
Posté le 11/05/2025
Merci pour ton commentaire ! Je note. Trop d'informations en même temps : à retravailler ^^ Je suis contente malgré cela que ça te donne envie de lire la suite :)
Rouky
Posté le 22/03/2025
Salut !

Un personnage qui a vécu aussi longtemps, c'est génial pour écrire des tonnes d'histoires et péripéties à son sujet ! Je ne connais pas l'histoire de base, donc je ne peux rien dire sur l'aspect "réécriture", mais je trouve que ton choix de mots et la fluidité des phrases est parfaitement maîtrisé !

J'ai hâte de lire la suite, et de te laisser des commentaires au fur et à mesure de ma progression ! :-)
Prudence
Posté le 22/03/2025
Salut Rouky !

Merci beaucoup pour ta lecture ! Ca me fait super plaisir que ça t'ait plu ! J'espère que la suite te plaira ^^

Bonne continuation ! :-)
Claraobscura
Posté le 12/03/2025
Très chère Prudence, ce début est très intrigant!
On essaie de décrypter le faux et le vrai entre la lumière et l'anti-lumière !
Ca donne envie de comprendre plus les nécessités de cette lumière, et les histoires des Esprits!
Tu dis que tu es en réécriture, alors je te fais une ou deux remarques sur des choses qui m'ont fait tiquer à la lecture :
- quelque chose de "volatile" est quelque chose qui s'évapore, alors je ne souhaite à personne d'avoir des cheveux volatiles!
- "cet instant est révolu", cela veut dire que la narratrice n'a pu contrôler l'eau qu'une seule fois ?
C'est à peu près tout!
Bonne continuation :)
Prudence
Posté le 13/03/2025
Coucou Claraobscura ! Merci pour ton commentaire et tes remarques. ça m'aidera, en effet, à corriger les passages qui ne sont pas assez clairs... Très juste : j'aurais dû écrire "ces temps-là" ou quelque chose dans ce genre, alala.
Encore merci et bonne continuation !!
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