La discussion

Des semaines étaient passées. Après un procès expéditif je finis en prison. Moi qui pensais avoir vécu l’enfer auparavant, j’étais bien naïf.

Un psychologue venait souvent me voir. C’était la seule personne avec qui je pouvais encore avoir un contact qui me mettait à l’aise. Je n'avais plus revu Lise et les autres. J’espérais recevoir la visite de Lilith. Je gardais son existence secrète à mon psy pendant plusieurs jours avant de finalement avouer ce que j’éprouvais. J’échangeais avec lui sur beaucoup de sujets, mon passé, mon mal-être... Je lui parlais de mon expérience avec Lise et de Positive qui m’avait mené à la rencontre avec Lilith.

— Ah oui ! J’avais lu un article sur cette application, elle cartonne dans les cours de récréation. Les effets fonctionnent aussi bien que ça ?

— C’est très impressionnant oui.

— Je devrais l’étudier plus profondément, qui sait ? Cela pourrait m’être utile dans mon activité...

Le psychologue gardait un regard vide, comme perdu dans ses pensées.

— Cependant, quelque chose me chiffonne Nathan.

— Dites-moi.

— Cette femme que vous me décrivez, Lilith est-ce bien cela ? Vous ne l’avez jamais vue sans être sous les effets de Positive ?

En effet, je n’avais jamais vu Lilith sous ses « vraies » couleurs, je ne m’en étais jamais fait la réflexion. Remarquant mon air perdu, le psychologue s’expliqua.

— Dans l’article que j’ai lu, ils expliquaient que Positive pouvait aller bien au-delà de l’altération des pigments, certaines personnes, probablement plus sensibles, voyaient des illusions ou d’autres phénomènes inexplicables pour le moment. Certaines autorités hésitaient à interdire l’application tant qu’on n’en savait pas plus à son sujet.

— Vous pensez que je suis victime d'illusions de Positive ?

— Pas vraiment, je ne pourrais pas le prouver, même après avoir entendu votre histoire, il est clair que Positive n’est pas le seul élément qui est entré en jeu lorsque vous avez...

— Je n’ai tué personne ! l’interrompais-je, c’est impossible, je refuse de l’admettre.

— Je sais Nathan, et je comprends votre situation.

— Je vous l’ai dit, retrouvez Lilith et demandez-lui, elle était avec moi la nuit où on a constaté les meurtres, c’est la seule qui peut témoigner de mon innocence.

Le psychologue détourna son regard, pris d’une certaine gêne, il semblait dompté du désir de parler, de me dire quelque chose, mais se retint. Son travail l’obligeait parfois à masquer certaines vérités pour le bien-être de ses patients, mais cela durait depuis trop longtemps, je devais savoir ce qu’il me dissimulait. En voyant mon regard insistant, il céda.

— Nathan, j’ai écouté ce que vous m’avez dit à propos de cette femme. Elle est bien mystérieuse, j’en ai parlé aux policiers qui ont fait leurs recherches. Cependant, après avoir interrogé plusieurs témoins, vérifié les vidéos de surveillance, les registres de population... Ils en sont arrivés à la conclusion qu’elle était introuvable.

— Je sais qu’elle est assez étrange, moi-même j’avais des difficultés à la contacter, mais je la revoyais toujours, par pur hasard.

— Non Nathan, vous ne comprenez pas. Cette « Lilith » est absente de tout, elle n’est enregistrée nulle part, elle n’a même pas de nom de famille.

— C’est étrange oui.

— Nathan. Essayez de comprendre, pourquoi suis-je à vos côtés selon vous ?

Je ne lui répondis pas. En sa qualité de psy, il refusait de me dire directement ce qui n’allait pas. Et je savais qu’il attendait que je devine de moi-même, je sentais également qu’une vérité me démangeait, je refusais de l’accepter.

— Non, c’est pas possible, les larmes me vinrent, d’autres personnes l’ont vue, demandez à Dany de la Rosa, ou même aux festivaliers du parc des Roses...

— Je vous l’ai déjà dit Nathan, ils ont tous été interrogés et confirment tous que vous étiez seul.

— Non...

— Le gérant de la Rosa affirmait que vous aviez commandé deux boissons pour vous seul et que vous parliez dans le vide, il pensait que vous étiez ivre...

Je me mis alors à sangloter, cette vérité que je voulais ignorer m’arrivait en pleine gueule et je ne pouvais plus rien faire pour l’éviter.

— Lilith n’existe pas, Nathan, elle n’est que le fruit de votre imagination.

Je pleurais maintenant, je criais, déversais ma tristesse, ma rage, mon incompréhension et ce sentiment qui me faisait sentir si minable, si pitoyable.

Le psychologue posa une main sur mon épaule avant de se lever et d’embarquer ses notes.

— Je ne vais pas vous perturber plus longtemps.

Il quitta la pièce, un gardien referma la porte derrière lui en m’ordonnant de faire moins de bruit.

Les jours passèrent ensuite. Je ne dormais plus de la nuit, je ne mangeais plus, ou très peu, j’étais incapable de digérer les aliments. Mon corps maigrissait à vue d’œil. Je voulais mourir, alors je me laissais crever, lentement, en essayant de ne pas éveiller le moindre soupçon, mais c’était compliqué. Au détour d’une conversation, à la cantine de la prison, j’entendis que les détenus faisaient circuler toutes sortes de médicaments. En parlant à la bonne personne, j’aurais peut-être mon ticket pour quitter ce monde.

Enfin.

Je m’installai en face de la grande baie vitrée du restaurant, je jetai un coup d’œil dans la rue et je la vis.

Sous une petite ombrelle, habillée d’une robe noire en dentelle, fixant un regard carmin malicieux dans ma direction.

Un sourire se dessina sur ses sensuelles lèvres rouges que je connaissais si bien...