— Debout !
Hein ?
— Réveillez-vous.
Les yeux mi-clos, le corps endolori, je m’éveillais à l’écoute de cette voix sèche et dure. Je vis plusieurs silhouettes autour de moi, la lumière m’empêchait de bien les distinguer. Cherchant à me frotter les paupières je fus surpris de constater que mes mains étaient liées dans mon dos, menottées pour être plus exact.
— Monsieur Chartu Nathan ?
M’accommodant à la lueur du jour, je reconnus mon appartement. Plusieurs policiers m’entouraient.
— C’est moi. répondis-je d’une voix rauque et faible.
— Vous êtes en état d’arrestation pour violence sur autrui et suspicions de meurtre.
La soirée de la veille conservait mon esprit dans la brume, tant que je n’arrivais pas à réaliser les conséquences de ce que j’entendais. J’essayais de demander quelques explications, mais ma gorge, irritée par l’alcool, me brûlait au moindre mot. Sans rien comprendre, je me fis relever de force, tenant à peine sur mes jambes, je tremblais et manquai de m’évanouir. Ne portant qu’un slip, dont l’humidité et l’odeur signalaient la détresse dans laquelle je m’étais mise, je ressemblais à un énième être pitoyable dont les représentants de l’ordre devaient être lassés d’arrêter.
« Violence, meurtre ? Comment pourrais-je ? »
Dehors, j’entendais le bruit des sirènes, une petite dizaine de policiers, certains lourdement armés, s’agglutinaient dans mon salon. On m’a apporté une couverture, deux d’entre eux me soutenaient et m’aidèrent à descendre les escaliers. Une fois à l’extérieur, complètement aveuglé par la lumière et le flash d’appareils photo, je vis plusieurs fourgons stationnés qui bloquaient la circulation. Des journalistes étaient présents, certains tentaient de s’approcher, mais se firent immédiatement repousser par les flics. L’un de ces derniers cacha mon visage des caméras avec son bras, mais dans la brutalité de son geste, je fus bousculé et ne pus m’empêcher de vomir à même le sol. Quelques injures et exaspérations résonnaient dans le brouillard de mon esprit.
— Putain de camé. entendis-je à ma droite.
On me jeta presque sur la banquette arrière d’un véhicule banalisé. Deux flics m’entouraient, l’un d’eux me tendant un sachet en plastique.
— Essaye de ne pas déborder.
Je l’utilisai presque immédiatement, et ce pendant quelques minutes. J’entendais les râles des policiers à chacune de mes salves. Mon regard se brouillait de plus en plus, mes sens me quittèrent, on me posait des questions, mais impossible de les comprendre.
Deux journées entières sont passées. Je pris du temps à me remettre de ma gueule de bois, un médecin était venu me voir, expliquant qu’il n’y avait rien d’anormal, seulement les signes d’une grande fatigue. Je tentai de lui demander pourquoi j’avais été arrêté, il resta muet et repartit aussitôt.
Qu’avais-je donc fait ? Je ne comprenais rien, et l’ambiance pesante régnant dans ma petite cellule ne faisait qu’accroitre mon stress. Mon estomac se tordait de douleur, il m'était impossible d'avaler le moindre aliment sans le régurgiter.
Deux policiers arrivèrent et ouvrirent la porte.
— Veuillez nous suivre, Monsieur Chartru.
Je rassemblais toutes mes forces afin de soulever le cadavre qui me servait de corps et je posai la question qui me brûlait les lèvres depuis deux jours.
— Pourquoi suis-je ici ?
— On ne va pas tarder à le savoir Monsieur, veuillez nous suivre. répétait inlassablement l'agent.
Je m’attendais à un interrogatoire digne de fictions policières, dans un bureau sombre, installé sur une inconfortable chaise pliante face à un flic désabusé, fumant sa clope en me bombardant de questions jusqu’à ce que j’avoue un meurtre, le tout en étant sous le feu d’une lumière aveuglante. Mais la réalité se présenta sous des airs moins glauques. On m’invita à m’asseoir dans un petit bureau du commissariat. Des amoncellements de documents trainaient un peu partout, pas mal de fiches étaient épinglées au mur, des photos de familles aussi, de voyages, de barbecues entre collègues... Le tout renvoyait une atmosphère plutôt chaleureuse, bien que désordonnée, tout le contraire de ce à quoi je m’attendais.
— Ne perdons pas de temps, Monsieur Chartru. Vous êtes ici, car vous vous êtes battu avec des jeunes durant une soirée organisée au parc des Roses il y a deux jours de cela. Rassurez-vous, votre casier étant vierge, vous ne risquez pas grand-chose.
Je m’étonnais de ce que j’entendais. Moi, chercher des noises ? Il m’arrivait d’avoir des coups de sang, mais jamais je ne serais allé me bagarrer, j’étais de toute manière bien trop faible pour tenir tête à qui que ce soit.
— Je ne me souviens pas m’être battu avec quelqu’un.
— C’est bien là où nous avons un problème, Monsieur Chartru. Je vais aller droit au but, consommez-vous de quelconques substances psychotropes ?
— Non, non, rien du tout.
— Cannabis, héroïne, ecstasy, cocaïne, LSD... ?
— Non, je vous assure !
— D’accord. Suivez-vous un traitement particulier, prenez-vous des médicaments ?
— J’en prenais auparavant, mais j’ai arrêté.
— Pour quelle raison ?
— Parce que j’allais mieux.
Ma réponse le titilla, il prit un air agacé.
— Et pourquoi avez-vous commencé à en prendre ?
Pendant que l’un des flics me harcelait de questions, le second tapotait frénétiquement sur son clavier, un bruit énervant qui me martelait le crâne rendant cette situation d’autant plus désagréable.
— J’ai eu des problèmes par le passé et on m’a recommandé d’en prendre.
— Serait-ce les problèmes évoqués par votre amie, Madame Lise Lorent ?
Ma gorge se noua à l’évocation de son nom, je ne pus m’empêcher de tousser et de rougir. Sans rien me demander, l’un des policiers me tendit une bouteille d’eau et je bus quelques gorgées.
— Merci.
Je repris lentement mon souffle.
— De quels problèmes vous a-t-elle parlé ?
— Elle a évoqué que vous souffriez d’épisodes dépressifs. Vous confirmez ?
— Oui, en effet.
— D’accord, le second agent s’activait à écrire, pour revenir à ma question initiale, des prélèvements sanguins ont révélé que vous étiez saoul ce soir-là. Avez-vous l’habitude de boire ?
Je réfléchis très sérieusement à cette question. Si à l’époque j’avais stoppé l’alcool à cause de mon traitement, il est vrai que je ne m’étais pas contrôlé dernièrement. Face aux représentants de l’ordre, je préférais rester honnête.
— J’ai beaucoup bu ces derniers jours, je dois avouer avoir eu la descente facile cette soirée-là.
Le policier qui m’interrogeait ne dit rien de plus et jeta un coup d’œil à l’écran de son collègue.
— D’accord Monsieur Chartru. Il serait judicieux d’apprendre à mieux gérer votre consommation, vous êtes encore jeune, donc ce genre d’accident est commun. Prenez conscience de la dangerosité de ce geste et du ridicule de la situation, notamment lorsqu’on nous signale qu’un homme se trémousse seul sur la piste de dance en provoquant tous ceux qui l’entourent.
L’agent se releva de sa chaise, comme pour me saluer. Moi je restai assis, bloquant sur sa dernière phrase.
— On s’arrête là ? demandait le collègue devant l’ordinateur.
— Oui, pas la peine d’aller plus loin, un jeune en détresse comme celui-ci, on en a vu d’autres.
Il attrapa un petit post-it sur lequel il nota un numéro de téléphone.
— Tenez, il me le tendit, vous pourrez appeler ce numéro si vous vous sentez mal. C’est toujours mieux que de finir à quatre pattes avec un trou de mémoire.
Je pris son papier sans vraiment l’écouter.
J’entendis et vis de l’animation au travers de la vitre du bureau donnant sur l’openspace du commissariat. Des agents débarquèrent, m’agrippèrent et me passèrent les menottes. Paniqué, je me mis à crier. Le policier qui m’avait interrogé semblait aussi perdu que moi.
— Attendez ! Que se passe-t-il ? demandait-il.
— Nous l’arrêtons, les analyses ont été concluantes, les traces d’ADN retrouvées correspondent à celles de cet individu.
— Comment ? Qu’ai-je fait ? Pourquoi on m’arrête ? désespérais-je.
— Vous êtes coupable du meurtre d’au moins deux personnes. La troisième doit encore être prouvée, mais nos analyses sont précises et formelles.
— Non ! hurlais-je, c’est impossible, je n’ai tué personne ! Vous faites une erreur !
— Ferme-la, assassin !
Plus personne ne m’écoutait, je fus aussitôt renvoyé dans mon cachot. Qu’avais-je fait ? Je ne me souvenais de rien, j’aurais tué des gens ? Pourquoi ?
Puis un éclair de lucidité me traversa. Je me rappelais tout, cette soirée passée avec Lilith à chasser les démons...
Les démons... Je réalisais alors. Ces taches blanches mystérieuses qu’il fallait éliminer... J’en eus la nausée. C’était impossible, je devais rêver...
Lilith... Où était-elle ?