La Dispute

   -Sofia, Faye, écartez-vous de cette tueuse ! 

   Néhémie Wilson s’immobilisa, les yeux écarquillés de terreur. Sofia quant à elle était également figée. Figée par la stupeur. 

   -Aidan...Mais...Mais où est-ce que tu t'es procuré ça... ? demanda-t-elle en désignant l'arme.

   -Pas le temps de t’expliquer, répondit-il, le regard toujours accroché sur la silhouette de la journaliste. Ecartez-vous d’elle et vite !  

   A cet instant, Sofia ressentit une sensation abominable : pour la première fois de sa vie, elle était terrifiée par Aidan. Jamais elle n’aurait cru cela possible.

  Son adorable cousin...tenir un pistolet dans les mains...C’était invraisemblable. Et tellement incohérent. Aussi incohérent que de voir le diable avec une auréole. L’homme qui se tenait devant elle avec cette arme...Ce ne pouvait pas être Aidan. C’était quelqu’un d’autre. Elle ressentit alors la même sensation qui l’avait animé ce soir de juin dernier, lorsque son cousin avait été ivre mort et qu’elle s’était sentie abandonnée. Elle haïssait cette sensation. Toutefois, il fallait qu’elle se contrôle. Elle n’avait pas envie de s’énerver. Ce n’était pas du tout le moment. 

   -Ecoute, je ne sais pas d'où tu sors cette arme, mais tu vas l’abaisser tout de suite, tu m’entends? 

   Mais Aidan n'en fit rien.

   -Comment se fait-il qu’elle soit là? demanda-t-il en désignant Wilson d’un geste du menton, sans prêter attention à ce que sa cousine venait de lui demander.

   -Abaisse ton arme !

   -J’arrive pas à y croire ! Vous l’avez emmené ici ? Mais vous êtes complètement folles ! Sofia, Wilson est une meurtrière ! UNE MEURTRIERE ! 

   Il était très rare de voir Aidan en colère. Mais il était encore plus rare que cette colère soit dirigée contre Sofia. C’est cela qui faisait le plus de mal à cette dernière. 

   -Tu vas finir par m’écouter à la fin ? Je ne discuterais pas avec toi tant que tu n’abaisseras pas ce truc !  

   -Mais je ne vais pas abaisser mon pistolet alors qu’il y a une tueuse chez nous ! C'est toi même qui as dit que tu l'avais vu faire de tes propres yeux ! Je ne comprends pas ton revirement de situation ! 

   -Abaisse ton arme et je t'expliquerais !

   -Vous auriez dû l'emmener à la police !

   Cette dispute était horrible. La pire que les cousins avaient jamais connu. Celle qu’ils avaient connu ce matin devant le British Museum n’était rien en comparaison de celle-ci. 

   -On avait l’intention de le faire ! s'exclama-t-elle, fébrile, à deux doigts de fondre en larmes. Mais Wilson a dit qu’elle était innocente et qu’elle voulait qu’on la laisse s’expliquer !  

   -Mais bordel Sofia ! s'énerva Aida. Qu’est-ce que tu croyais? Qu'elle allait te dire: “Oui je suis coupable. Maintenant, amenez-moi à l’échaffaud, merci.” ? Je ne savais pas que tu pouvais être bête à ce point !  

   -J’AI ACCEPTE DE L’ECOUTER CAR ELLE A LE DROIT DE SE DEFENDRE ! COMME MA MERE !

   Sofia avait hurlé ces mots qui avaient jailli de sa gorge et de ses tripes. Tandis qu’elle tremblait de nerfs, ses larmes coulèrent le long de ses joues. A cet instant, un silence empreint de tension s’abattit dans la pièce. La fureur qui avait animé le regard d’Aidan s’évapora pour laisser place à une toute autre émotion. Celle d’une culpabilité absolue. Au grand soulagement de Sofia, il abaissa enfin son arme. 

   -Ma mère n’avait pas eu le temps de se défendre des horribles faits qui lui étaient imputé que les journaux titraient déjà sa culpabilité ! L’opinion publique l’avait déjà condamnée alors qu’elle n’avait pas mis un pied dans un tribunal. Ca a détruit sa vie ! Tu sais que cette histoire me rend dingue ! Alors on serait les pires des hypocrites si on ne laissait pas Wilson s’expliquer si elle nous le demande ! Et tu sais très bien que si Ascott met la main sur elle, ce n’est pas lui qui cherchera à connaître la vérité. Elle sera condamnée immédiatement alors que si ça se trouve, on est pas à l’abri d’un malentendu. Jamais je ne pourrais faire à quelqu’un ce qu’on a fait à Mère. Laissons lui au moins une chance. Et après on verra... 

   Faye et Néhémie ne savaient que dire ou que faire. Quant à Aidan, sa culpabilité était forte. Elle remonta le long de ses veines et s’imprima en lui. Il regrettait profondément son comportement. Il posa son pistolet sur la table, le visage tapissé de honte.

   -Tu as raison. Je suis désolé So... C'est juste que...J'ai paniqué en la voyant. Et j'avais peur qu'elle vous fasse du mal à toutes les deux...

   -Tu vas pas t’en tirer comme ça.Tu as intérêt d’avoir une bonne explication pour ce...ce truc ! Dit-elle en indiquant le pistolet d’un doigt tremblant. 

   Puis après avoir recueilli les larmes perlant sous ses yeux, Sofia secouait la tête, comme si elle ressurgissait sur Terre puis s’assit sur le divan. D’un geste de la main, Sofia indiqua alors à Wilson une chaise située devant elle, l’invitant à s’assoir.  

   -Très bien Miss Wilson. Vous avez souhaité qu’on vous laisse vous expliquer. Allez-y, nous vous écoutons. Personne ne vous interrompra.