Le Risque

La confusion emplissant son esprit, Sofia se retourna vers Wilson. 

   -Mais de quoi parlez-vous ? demanda-t-elle.  

   -C’est la vérité, s’affola Wilson, toujours maintenue sous Faye dont la toison rousse couvrait la moitié de son visage. Si vous me remettez aux autorités, l’Empire d’Angleterre court un très grand danger ! 

   La réponse de Wilson ne fit qu’accentuer l’incompréhension qui virevoltait dans le crâne de Sofia.  

   -Et depuis quand remettre une criminelle à la police représente un danger pour les autres ? s'enquit Faye avec une pointe d’ironie. En général, c’est plutôt l’inverse, non ? 

   -Je ne suis pas une criminelle. Je n’ai tué personne. 

   -Vous avez les portugaises bouchées ? demanda Sofia. Je viens de vous dire que je vous ai aperçu au Tonneau Percé lorsque Chamberlain s’est fait assassiner. 

   -Et je vous le répète, ce n’est pas moi qui l’ai tué. 

   -Je vous ai vu ! 

   -M’avez-vous vu envoyer cette fléchette sur Chamberlain ? 

   -Oui, je... 

   Mais Sofia se tût immédiatement. Les sourcils froncés, elle se livra à un court instant de réflexion. Maintenant qu’elle y pensait, il était vrai qu’elle n’avait pas vu exactement Wilson se servir d’une sarbacane. Elle avait seulement aperçu cette dernière sur le lieu du crime. Mais cela ne signifiait pas pour autant que la journaliste n’avait pas supprimé le tenancier du pub.  

   -Vous avez très bien pu envoyer cette fléchette tapie dans un coin sans que quiconque ne vous aperçoive, suggéra Sofia. 

   -Je vous assure que non !  

   -Si ce n’est pas vous qui l’avez tué, dit Faye, alors on peut savoir ce que vous faisiez au Tonneau Percé ? 

   -C’est parce que je venais d’apprendre que Chamberlain était la prochaine victime de cette abominable série de meurtres qui sévit en ce moment et je voulais le prévenir. Mais lorsque je suis arrivée au Tonneau Percé, il était trop tard. 

   Sofia et Faye poussèrent en même temps un soupir d’exaspération. De toute évidence, l’une comme l’autre ne croyait pas un mot de ce que disait la journaliste. 

   -Oui, j’imagine que c’est un lutin magique qui a surgi de nulle part pour vous informer qu’une femme qui vous ressemble en tout point allait s’en prendre à un aristocrate que vous aviez critiqué dans votre journal ? suggéra Faye. 

   -J’admets que tout cela peut paraître absurde, concéda Wilson. Mais c’est une longue histoire... 

   -Oui eh bien vos sornettes, vous irez les raconter à Scotland Yard. 

   La lueur de panique se renforça dans le regard de Wilson. 

   -Jamais Ascott ne s’encombrera de mes explications ! Ça fait des années qu’il me déteste. Et étant donné qu’il ne vit que pour les aristocrates, vous pouvez être certaines qu’il ne m’accordera pas la moindre chance de me défendre et qu’il me fera condamnée à mort sans procès. 

   Pour toute réponse, Sofia se mura dans le silence. Les paroles de Wilson venaient de faire vibrer en elle une corde très sensible : pour Sofia, le droit de se défendre était inhérent à tout être humain. Et elle savait que Wilson avait raison : jamais Ascott ne lui accorderait ce droit. 

   -Ecoutez, poursuivit la journaliste sur un ton implorant, j’ai conscience qu’il y a beaucoup d’éléments qui jouent en ma défaveur. Mais il faut me croire : je vous jure que je suis victime d’une conspiration. Laissez-moi vous expliquer et vous comprendrez tout. S’il vous plaît. Vous êtes ma dernière chance... 

   Sofia regardait Wilson, aplatit sous le corps de Faye, la détresse gonflant son regard. Elle n’était pas obligée de croire à son histoire de machination mais elle devait au moins laisser Wilson lui partager sa version des faits.  

   -Très bien, répondit Sofia en croisant les bras. Nous vous écoutons.  

   Durant un instant, Wilson resta interdite. Cette dernière avait du mal à réaliser que Sofia acceptait de l’écouter. C’était inespéré.  

   -Eh bien je... commença la journaliste. 

   Elle balaya les alentours du regard, comme pour s’assurer que personne ne l’entendrait. 

   -Je ne peux pas vous dire ça comme ça. C’est trop risqué. 

   Sofia ne comprit pas. 

   -Et comment voulez-vous qu’on fasse alors ? 

   -Je dois parler à l’abri des regards indiscrets...Pourrais-je venir chez vous ? 

   Cette fois, c’est Sofia qui devint interdite. Elle était consternée par la demande de la jeune femme. 

   -Oui bien sûr. Et tant qu’on y est, vous voulez aussi qu’on vous serve le thé, les gâteaux et qu’on se dénonce à votre place ? 

   -J’ai conscience que je vous en demande beaucoup et croyez bien que j’en suis infiniment désolée. Mais je vous assure que tout ce que j’ai à vous dire ne doit être entendu par personne d’autre. C’est tellement important. Vous comprendrez mieux une fois que je vous aurais tout expliqué. Je vous en prie. Ma vie est en jeu... 

      Amener Néhémie Wilson, la femme la plus recherchée du pays, relevait purement de la folie. Si jamais quelqu’un l’apercevait en compagnie de la journaliste, Sofia serait dans de sacrés beaux draps. Oui, c’était de la folie. 

   Pourtant, elle répondit à Wilson : 

   -Il vaut mieux pour vous que votre explication en vaille la peine. 

   Wilson comprit alors que c’était la manière à Sofia de lui dire qu’elle consentit à sa demande. Elle n’en revenait pas. Et elle n’était pas la seule. En effet, Faye releva la tête, le regard empreint de stupéfaction. 

   -Quoi ? Mais Sofia t’a perdu la tête ? T’as quand même vu toutes les preuves qu’il y a contre elle ?  

   -Faye, soyons honnête, elle a raison : jamais Ascott ne l’écoutera. Et tout le monde a le droit de se défendre. Laissons-là nous donner sa version et après, on avisera. Allez, relâche-là. 

   Bien qu’elle conservât toujours une certaine méfiance envers Wilson, Faye trouva l’argumentation de Sofia pertinente. Elle relâcha alors la journaliste et, après s’être relevée, épousseta sa robe. Lorsque Wilson se releva à son tour, Sofia remarqua que cette dernière ne portait plus sa robe jaune mais une sorte de guenille blanche extrêmement souillée. Faye sortit son ruban de sa poche et l’enroula autour des poignets de Wilson tels des menottes en velours. 

   -Je vous préviens, dit-elle sur un ton sec, essayez une seule fois de nous fausser compagnie et là, on aura plus aucun scrupule à vous livrer aux condés. Donc pas de blague ma vieille, c’est compris ? 

   -Je ne vous fausserai pas compagnie, dit sobrement Wilson. Vous avez ma parole. 

   Faye orienta ensuite son regard vers Sofia. 

   -Sofia, c’est tout à ton honneur de donner une chance à Wilson de se défendre. Par contre, je dois t’admettre que j’ai un tout petit léger détail qui me taraude un chouilla : dis-moi, comment on va faire pour se rendre à Tavistock Place sans se faire pincer par les policiers ? Car petite piqure de rappel, les autorités ont déployés leur effectif dans toute la ville pour la capturer. Et il ne doit pas y avoir une rue qui ne contient pas une affiche de Wilson, ce qui fait que tous les londoniens connaissent son visage. Donc comment on va faire pour atteindre Tavistock Place sans que personne ne la voit?  

   -On est qu’à une vingtaine de minutes de fiacre de la maison, répondit Sofia. Si on parvient à en trouver un qui nous dépose directement devant Tavistock Place, ça devrait le faire. Bon alors dans un premier temps...Wilson vous...vous comptez ! 

   -Je...Je compte ? répéta Wilson, sceptique. 

   -Oui, comptez à haute voix. Comme ça, ça vous empêche de vous concentrer pour réfléchir à un mensonge que vous pourriez nous sortir lorsque vous serez chez nous. Allez-y. Et vous n’avez pas intérêt à vous arrêter. 

   -Euh... très bien, accepta Wilson, déstabilisée. Un, deux, trois, quatre... 

   Sofia ôta l’écharpe de son cou pour l’enrouler autour de celui de la journaliste et la monta de manière à camoufler la moitié de son visage. Puis elle saisit quelques mèches de cheveux de la jeune femme pour les placer devant ses pupilles. 

   -Waouw, là c’est sûr que Wilson ne risque pas d’attirer l’attention, ironisa Faye en constatant l’aspect peu commun de la journaliste.  

   -Si t’as une meilleure idée pour faire en sorte qu’on la reconnaisse le moins possible, je suis preneuse Faye. Comptez plus fort Wilson ! Bon maintenant, on doit trouver un fiacre. Allons-y. 

   Les trois jeunes femmes longèrent ensuite les rues crasseuses tout en s’appliquant à la prudence, craignant de tomber sur quelqu’un qui pourrait reconnaître la journaliste. Fort heureusement, elles ne croisèrent personne et au bout de quelques minutes, elles atteignirent le bout d’une ruelle qui conduisait à Coventry Street. 

   Sofia se tourna vers Faye. 

   -Faye, pars en éclaireur pour voir s’il n’y a pas de policiers dans les environs et trouve un fiacre qui pourrait nous prendre ici. Il s’agirait de limiter le plus possible nos déplacements avec Wilson aux yeux de tous. 

   -D’accord, répondit Faye. 

  La jeune irlandaise bondit alors telle une biche de la ruelle et courut de manière extravagante à la recherche d’une hippomobile. L’excentricité de Faye aurait sans aucun doute arraché un sourire à Sofia si cette dernière n’était pas en cet instant aussi préoccupée par le risque qu’elle prenait. 

   -Miss, dit Wilson. Vraiment, je vous remercie pour ce que vous... 

   -Continuez de compter, dit Sofia sur un ton sec. 

   -Oui, bien sûr. Cinq cent quatorze, Cinq cent quinze... 

   Une poignée de minutes plus tard, Sofia aperçut Faye revenir vers elles, toujours à travers une démarche farfelue. 

   -J’ai trouvé un fiacre, dit Faye en désignant de son index une hippomobile qui approchait en leur direction. 

   -Génial ! dit Sofia. Merci Faye. Ah et au fait... Je préférais que tu prennes un autre fiacre pour nous rejoindre à la maison. Prendre le risque d’emmener Wilson chez moi est ma décision Et si jamais on devait se faire prendre par la police...je ne veux pas que tu subisses les consé... 

   -Ne dis pas n’importe quoi, dit Faye. Je viens avec toi. 

   -Mais Faye... 

   -Allez, pressons, dit la jeune rouquine en tirant la manche de Sofia. Le cocher ne va pas nous attendre pendant un siècle. C’est pas tout le monde qui a la patience infinie d’Ascott. 

   Puis Faye se précipita vers le fiacre et monta à l’intérieur. Après avoir tourné la tête plusieurs fois de gauche à droite pour s’assurer qu’aucun policier n’était dans les environs, Sofia émergea de la ruelle, Wilson à sa suite, et toutes deux montèrent également dans le véhicule, s’asseyant sur la même banquette, tandis que Faye était placée en face d’elles. Puis le fiacre démarra ensuite à travers une symphonie de sabots. 

   -Sept cent vingt-huit, sept cent vingt-neuf... 

   Alors que Wilson poursuivait son énumération “J’ai tout de même de ces drôles d’idées quand j’y pense”, songea Sofia, cette dernière se rongeait les ongles et tentait comme elle pouvait de tempérer les martèlements de son cœur. Elle était terrifiée à l’idée que des policiers la surprenne d’une minute à l’autre en compagnie de la femme la plus recherchée d’Angleterre. Faye quant à elle avait les genoux réunis sur la banquette et regardait les maisons de Londres défiler sous ses yeux, le bras posé sur le rebord de la fenêtre.  

   Discrètement, Sofia adressa un léger sourire à Faye. Un sourire dont cette dernière comprit immédiatement la signification. 

   “Merci”. 

   Même si elle aurait parfaitement compris que Faye ne souhaitait pas venir avec elle à cause du risque encouru, au fond, Sofia était tout de même soulagée que la jeune irlandaise l’accompagne dans cette situation qui la préoccupait sévèrement. Sous ses airs de femme loufoque, Faye était une amie courageuse et protectrice. 

   Mais alors que le fiacre avait atteint le quartier de Bloomsbury, non loin du British Museum : 

   -Halte !  

   L’hippomobile marqua un arrêt. Le cœur de Sofia aussi. 

   Cette dernière passa sa tête par la fenêtre. Elle vit plusieurs hommes chapeautés d’un casque noir s’adresser au cocher. Elle ne saisit que des bribes de la conversation  

   -“Ordres...Fouiller...Néhémie Wilson...”  

   -“...dix-neuvième fois aujourd’hui...insupportable...”  

   -“...ordres...pas le choix...” 

   -Oh non...Oh non... Oh non..., murmura Sofia, la voix étranglée. 

   Ce qu’elle avait tant redouté arriva. Des policiers allaient inspecter le fiacre. Ils allaient trouver Wilson. 

   La terreur rongea alors chaque parcelle du corps de Sofia et la pétrifia jusqu’à la moelle de ses os. 

   En un éclair, de nombreuses pensées traversèrent son esprit. Un juge abaissait son maillet en la condamnant Faye et elle à la pendaison. La corde autour de son cou serrait sa gorge tandis que ses pieds pendaient dans le vide. Aidan à jamais dévasté d’avoir perdu sa cousine.  

   Mais tandis que Sofia restée prostrée dans son inertie, on ne pouvait pas en dire autant de Faye qui elle, semblait au contraire animée par une sérieuse bougeotte. Elle gesticula pour ôter son manteau le plus rapidement possible et se leva de la banquette. 

   -Wilson, allongez-vous et vite ! ordonna-t-elle sur un ton d’empressement. 

   Cette dernière obéit. Faye la couvrit ensuite de son manteau et la plaqua contre la banquette. 

   Puis avec une vitesse défiant cette de la lumière, Faye retira l’écharpe de son cou, l’enroula pour en faire une sorte de boule et la passa sous sa jupe de manière à la placer sur son ventre. Sofia n’eut pas le temps de comprendre ce que son amie fabriquait que Faye grimaça tout en poussant des gémissements de douleur, les mains sur son ventre. La seconde suivante, la portière du fiacre s’ouvrit et un policier apparut. 

   -Bonjour mesdemoi... 

   -Aïe ! Aïe ! J’ai maaaaaaal ! s'écria Faye, toujours en appuyant ses mains sur son ventre. Pourquoi le fiacre s’est-il arrêté ? Je veux rentrer chez moi et vite !  

   -Euh...Miss, tout va bien ?  

   Faye, qui restait figée dans son expression de douleur orienta un regard traduisant un sentiment de consternation vers le policier. 

   -Est-ce que pousser des hurlements de douleur vous donne l’impression que je vis le meilleur moment de ma vie, selon vous ? Ca n’allait déjà...aïe !... Ca n’allait déjà pas bien il y a une heure lorsque j’ai perdu les eaux dans cette rue empestant le rat crevé. Ca allait encore moins bien lorsque les...aïe !...lorsque les contractions se sont accentuées il y a dix minutes. Et ça n’a jamais été aussi moins bien que depuis que vous avez fait arrêter ce fiacre et que vous m’avez demandé si tout allait bien. 

   Le policier semblait dans ses petits souliers. 

   -Milles excuses Miss...Nous avons fait arrêté ce fiacre parce que nous avons reçu pour ordre... 

   -...De fouiller les fiacres ! Oui, tout le monde est au courant ! C’était bien le moment, tiens ! Fallait que ça tombe sur nous, tu te rends compte Sofia? Allez-y. Dépêchez-vous et plus vite que ça ! Aïe ! Aïe ! 

   Mais à peine le policier avait franchi un pied que les gémissements de douleur de Faye s’intensifièrent et qu’elle gesticula de plus en plus, entraînant le policier à reculer d’un pas surpris. 

   -Aïe ! Aïïïïe ! J’ai trop mal, j’en peux plus ! Si j’avais pas bu cette bière dans la taverne il y a neuf mois, j’en serais pas la, à me tordre comme un ver à l’hameçon.  

   Faye se tortillait dans tous les sens. Les mains fermement appuyées sur son ventre, elle poussait des cris perçants. On avait l’impression que la douleur lui broyait les os. A travers la fenêtre du cab, Sofia vit d’ailleurs que des badauds tournaient la tête en direction du véhicule, un air interrogateur plaqué sur le visage. 

   -Bon alors, vous le fouillez ce cab ou pas? Dépêchez-vous, y’en a qui accouchent ici !  

   -Nous ne voulons pas vous déranger. Pouvez-vous juste nous montrer ce qu’il y a en dessous ce manteau et nous vous laissons partir. 

   Sofia, qui avait reprit un peu d’espoir grâce à la diversion de Faye, se pétrifia à nouveau. Fort heureusement, Faye ne se départit pas de son jeu de comédienne. 

   -Ah de mieux en mieux, maintenant vous croyez que Wilson se cache en dessous? Allez-y, regardez en dessous si ça vous amuse. Moi j’ai déjà les deux mains prises comme vous vous pouvez le voir. Et ne demandez pas non plus à mon amie ne faire le boulot pour vous, elle a un lumbago, elle a du mal à marcher depuis que je lui ai donné tous ces coups. Et oui, il fallait bien quelqu’un qui me serve de punching ball. 

   Puis Faye s’allongea sur la banquette tout en se livrant à un concours de cris et de grimaces ayant pour but de dépeindre une douleur insupportable. 

   Le policier, qui était mal à l’aise devant cette scène obscène, n’avait qu’une seule idée en tête, partir de cette scène. 

   -Bon ça va, ça va...Nous vous laissons partir. Navrée pour dérangement mesdemoiselles. 

   Penaud au possible, le policier ferma la porte et un coup de fouet retentit. Le fiacre redémarra. Faye continua de pousser des gémissements de douleur afin qu’ils soient toujours audibles à l’extérieur ainsi que des exclamations telles que “Plus jamais je ne reprendrais une bière !” ou alors “Il doit y en avoir cinq à l’intérieur, c’est pas possible”. Puis après que l’hippomobile se soit suffisamment éloigné de la myriade de policiers, les grimaces de Faye s’évanouirent en un éclair pour céder leur place à un regard empreint de fierté qu’elle adressa à Sofia, les bras croisés. Un regard signifiant “T’as vu ça, un peu?” 

   -Faye, je t’enlacerais bien mais j’ai peur de faire mal à ton bébé, dit Sofia, un sourire béat de soulagement et d’admiration. 

   -Oh tu peux. De toute façon, ça y’est, j’accouche (Faye fit semblant de prendre quelque chose dans les bras, comme si elle tenait un nourrisson). Oh regarde, c’est la naissance de mon talent. Je suis une mère comblée. 

   A nouveau, Sofia esquissa un sourire. Faye donna ensuite à léger coude de hanche à la silhouette allongée de Wilson. 

   -Pourquoi j’entends plus compter ? Allez Wilson, on s’y remet. 

   -Deux mille deux, deux mille trois..., reprit la journaliste. 

   A cet instant, Sofia aurait juré entendre un étouffement de rire sous le manteau où était cachée la fugitive. 

 

 

Quelques minutes plus tard, le fiacre arriva à Tavistock Place. Après avoir de nouveau dissimulé le visage de Wilson avec la capuche et l’écharpe, les trois jeunes femmes descendirent du fiacre et un soulagement sans pareil s’insinua dans les veines de Sofia à l’instant où elles franchirent le seuil de l’immeuble. Désormais, plus personne ne pourrait voir Wilson. Mais alors que Sofia était sur le point de rentrer dans son appartement, la châtelaine en main :  

   -Sofia !  

   Cette dernière sursauta et se retourna, la main crispée sur sa clef. Un immense bouquet de fleurs sur jambes sur deux jambes descendait les escaliers du premier étage. 

   -Tenez, c’est encore pour me faire pardonner, dit le bouquet qui se tendait tout seul vers Sofia. 

   Sofia n’avait pas besoin d’avoir de pupilles capables de voir à travers les objets pour deviner que derrière cet immense bouquet se cachait Laurie. Heureusement, celle-ci ne pouvait pas apercevoir Wilson, les fleurs lui bouchant la vue. 

   -Merci Laurie, répondit nerveusement Sofia. Vous savez, je crois que ça ira pour les fleurs. Si ça continue, il y aura bientôt plus de fleurs que d’air dans la maison.  

   -Mais je veux tellement me faire pardo... 

   -Vous êtes toute pardonnée ! dit-elle sur un imperceptible ton d’impatience, voulant rentrer le plus vite possible dans son appartement. 

   Un grand sourire s’afficha sur les traits de Laurie.  

   -Oh, c’est vrai? Merci, merci, merci ! Je vous promets que dorénavant, je serais une voisine irréprochable et...pourquoi comptez-vous madame?  

   En effet depuis tout à l’heure, Néhémie poursuivait sa perpétuelle énumération. Craignant que la voisine de Sofia ne reconnaisse la fugitive, Faye saisit à la va vite le bouquet de fleurs des mains de Laurie et le refourgua dans celles de Wilson afin que son visage soit toujours caché. 

   -Elle compte parce qu’elle est atteinte d’une maladie rare, répondit Faye. Elle a la...la numéroïte aigue : Elle ne peut pas s’empêcher de compter. Et là elle va prendre son traitement. Du coup, veuillez nous excuser mais nous devons rentrer.  

   -D’accord, se contenta de répondre Laurie. Bonne journée !  

   Puis dans une démarche émoustillée, certainement conférée par la joie d’avoir été pardonnée par Sofia, Laurie remonta les escaliers et regagna son appartement. 

   -La numéroïte aïgue, murmura Sofia en secouant la tête tandis qu’elle introduisait la clef dans la serrure. 

   -En attendant, elle y a crû.  

   Sofia sourit. Puis elle saisit une des fleurs du bouquet de Wilson, la plaça sous son nez et la respira à plein poumon. C’était si agréable de sentir à nouveau une odeur saine après avoir humé les effluves nauséabonds du quartier de Soho. Puis les trois jeunes femmes rentrèrent à l’intérieur de l’appartement où déjà un parterre de fleurs jonchaient le sol. Sofia vit qu’Aidan était attablé au secrétaire du living. Il était plongé dans le journal de Sonali.  

   -Salut les filles, dit-il en levant à peine la tête, sans remarquer tout de suite la présence de Wilson. Vous avez trouvé quelques chose sur les hyéroglyphes? Pour moi c’est le désert total. Et le seul livre que j’ai réussi à trouver à ce sujet, explique très peu de choses sur la traduction. Je crois que même si ce livre avait été écrit en chinois ça aurait été plus facile à comprendre. Tu avais raison So’, on va laisser à Mercery le soin de traduire lui-même ces... 

   Mais alors qu’il avait de nouveau relevé la tête, il aperçut cette fois la nouvelle venue. Wilson ayant posé le pot de fleur par terre et ayant retiré et capuche, il la reconnut immédiatement. Les yeux d’Aidan s’arrondirent de stupeur. 

   -Mais...Mais c’est... 

   Oui. C’était Néhémie Wilson. Celle que les journaux désignaient depuis plusieurs jours comme la meurtrière la plus recherchée d’Angleterre. Elle était ici. Dans son propre appartement. 

   Sofia s’avança vers son cousin. 

   -On va tout t’expliquer. On a capturé Wilson dans le quartier de Soho et on allait... 

   Mais Sofia n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Aidan se leva d’une traite, plongea sa main dans la poche intérieure de son gilet et la seconde suivante, il braqua un pistolet en direction de Néhémie Wilson. 

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Rin Pawaa
Posté le 19/10/2024
Il est intéressant de voir l’évolution des comportements des trois personnages principaux par rapport au début, notamment la manière dont chacun réagit différemment face aux problèmes. On ne peut plus prévoir comment le groupe va réagir, car chacun aborde les situations avec sa propre manière de penser.

- Faye, qui au départ paraît excentrique et un peu insouciante, dévoile ici une vraie ruse et une réactivité face au danger. Elle est loin d’être l’idiote qu’on pourrait penser, et montre une intelligence dans l’action qui enrichit énormément son personnage.

- Aidan, bien que discret pour le moment, semble suivre une trajectoire émotionnelle marquée par des convictions de plus en plus tranchées. Il s’éloigne progressivement de sa cousine sur le plan moral et montre qu’il est prêt à adopter des méthodes plus radicales, ce qui ajoute une tension autour de son personnage.

- Sofia, elle, reste fidèle à ses principes, bien que cela la place parfois en décalage avec les autres. Sa conviction que tout le monde mérite de se défendre, même Wilson, montre une certaine inflexibilité morale. Admirable certes, mais on se demande combien de temps cela pourra durer face aux réalités brutales de Londres, réalités que peu de personnes osent ou peuvent voir.

Ce contraste entre les trois personnages crée une dynamique fascinante. Chacun réagit différemment à une même situation, ce qui rend l’évolution de l’histoire imprévisible et passionnante. Cela permet d’explorer non seulement leurs personnalités mais aussi les tensions qui commencent à apparaître dans leur groupe. C’est vraiment bien pensé !

Cette approche apporte des éléments de surprise. On ne sait jamais comment chaque personnage va réagir, ce qui rend chaque scène imprévisible. Cela permet aussi aux lecteurs de s’identifier à différentes manières de penser, en fonction de leurs propres valeurs.

Hâte de lire la suite !
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