La femme amoureuse
Y’a quelques semaines, dans le train, j’ai vu une femme amoureuse.
J’avais déjà étudié ces spécimens (et j’étais plutôt sévère, j’avoue), c’était pas la première fois que j’en voyais, mais là, j’ai vraiment approché une femme amoureuse – une vraie.
Quand le train avait ralenti pour s’arrêter à Rognac, je l’avais remarquée, la femme amoureuse, sur le quai. J’observais le paysage avec mon habituel air ennuyé et ensommeillé, et je guettais avec curiosité ces gens qui se caillaient dehors en attendant que les portes du train s’ouvrent.
La femme amoureuse restait à l’écart des autres usagers. Elle était au téléphone, la tête baissée, elle souriait bêtement avec ses petites pommettes là. Elle n’était pas jeune, mais pas vieille non plus. Allez, on va dire 32 ans. Le hasard ferroviaire a voulu que le train soit blindé et que la femme amoureuse n’ait d’autres choix que de s’asseoir à côté de moi.
À peine assise, elle a recollé son iPhone contre son oreille, a repris sa conversation avec son « nounours » et s’inquiétait de savoir si Nounours avait bien dormi. Elle parlait d’un ton bas pour pas qu’on l’entende, mais j’ai l’ouïe fine quand je le veux bien. On aurait dit une petite fille, c’était mignon. Et puis, le summum : quand elle a raccroché après moult et moult « je t’aime mon n’amouuur », elle a sorti sa trousse de maquillage et s’est pomponnée.
Mais bon, ça craint, quand même, de montrer qu’on est une femme amoureuse à cet âge. Je veux dire, « l’amour public » pour reprendre Camille Laurier, ça va bien à un moment quand t’as quinze ans, quoi, mais après, faut pas déconner non plus. Sauf que la femme amoureuse – la vraie, elle est discrète, c’est pas une m’as-tu-vue comme les gamines.
Enfin bref. La vie est bien une bonne blagueuse. J’ai beaucoup pensé à la femme amoureuse, à ce que ça faisait d’être amoureux sur les gens de tout âge, et j’étais bien contente de pas me couvrir de ridicule comme ça. Sauf que la vie n’a pas décidé les choses comme ça.
Aujourd’hui, c’est moi la femme amoureuse, c’est sur moi que ça a décidé de tomber, c’est moi qui rigole comme une bécasse dans ma Twingo après chaque baiser, c’est moi qui me repasse des films en cours, c’est moi qui me raccroche à mon téléphone à guetter le moindre texto et sourire comme une idiote quand j’en ai un de lui, c’est moi qui me pomponne à chaque fois, et c’est moi qui rêvasse comme une idiote dans le train.
Comme quoi, vous voyez : ne vous moquez jamais, même gentiment, des gens amoureux. Un jour, ça vous tomberez sur la tête à vous aussi, et vous rirez bien moins. C’est valable pour vous aussi, Messieurs. Bientôt, vous serez un indécrottable romantique. Et vous, Mesdemoiselles, la plus charmante des niaises.