— Jeffrey ? Tu m'entends ? Bon Dieu réveille-toi ! fit une voix familière.
Jeffrey ouvrit lentement les yeux. Il reconnut peu à peu le magnifique visage et les cheveux blonds de Victoria, sa seule amie de la faculté. Ils avaient les mêmes yeux bleu océan, mais les siens étaient rendus plus discrets par les lunettes qu'elle portait.
Ses lèvres pulpeuses, roses, et ses formes dignes d'une sirène pouvaient susciter l'envie de tout homme, mais il n'en était rien. Son attitude pour le moins introvertie et sa passion pour les laboratoires rebutaient souvent les différents abords dont elle faisait l'objet. De plus, elle arborait souvent des tenues d'étudiante studieuse et l'étiquette correspondait bien au produit.
Victoria n'était pas originaire des Etats-Unis mais du Canada. Ses parents n'avaient pas été d'accord avec son choix de carrière, elle avait donc choisi de partir faire ses études à l'étranger, et n'avait pas vraiment eu de contacts avec sa famille. Malheureusement, son père et sa mère s'étaient tués dans un accident de voiture il y a deux ans de cela. Jeffrey avait fait le déplacement pour l'enterrement d'ailleurs, ainsi que tous ses proches de l'université.
Pour l'heure, Victoria poursuivait une carrière prometteuse comme assistante technique pour le compte de l'université elle-même. Et accessoirement, elle tentait de ramener Jeffrey à lui.
— Ha ! Tu vas bien ?! J'ai eu une peur bleue ! Ta porte était fracturée, et je te trouve étendu sur le sol en pleine hypoglycémie !
— Peux-tu ralentir un peu Victoria ? J'ai un de ces mal de crâne...
— On t'a cambriolé ou quoi ? Enfin bref, tu vas m'avaler un bon petit-déjeuner, pendant que j'appelle la police... renchérit Victoria.
— Non non, on m'a pas cambriolé d'accord... rétorqua Jeffrey d'une voix faible, tout en s'asseyant, j'ai...écoute, j'ai voulu changer ma serrure. Tu sais à quel point cet appartement tombe en morceaux. J'avais en même temps pas mal de recherches à avancer, et j'en ai pas trouvé le temps de dîner...
— C'est pas à moi que ça arriverait d'avoir la flemme de manger... Je me suis faite un sang d'encre parce que monsieur Slart est si absorbé par son boulot et son bricolage, qu'il en zappe de manger. A part le fait que je trouve ça très égoïste de ta part, vu que tu savais pertinemment que je passerais le lendemain, je n'ai rien de spécial à te reprocher. Tiens, ça te fera du bien.
— Tu m'as pas fait de bouche-à-bouche au moins? questionna Jeffrey en faisant semblant d'être inquiet.
— Aucune chance! répondit Victoria en riant.
Elle posa sur la table un sachet de viennoiseries. Jeffrey se jeta sur le pain au chocolat et entreprit de le dévorer.
— Hé ben dis donc, tu avais comme qui dirait une petite fringale, fit Victoria en s'asseyant à côté de lui, tu as couru un semi-marathon hier soir ?
Jeffrey ne put retenir un rire nerveux alors qu'il engloutit le second pain au chocolat.
Victoria et lui étaient devenus proches dès la première fois où ils avaient travaillé ensemble. Une éprouvette avait explosé ce jour-là.
— Laisse m'en un peu quand même, fit Victoria en riant alors qu'elle voyait Jeffrey littéralement dévorer les viennoiseries.
— Aucune chance, répondit Jeffrey en souriant alors qu'il entamait le croissant, dis-moi Victoria, j'ai séché sur un truc hier soir, que pourrais-je faire pour maintenir une glycémie suffisante chez un sujet diabétique sans que celle-ci s'effondre ? Et bien sûr sans devoir engloutir trois kilos de nourriture ?
— Hum... Tu pourrais essayer du glucagon, qui libère les réserves de sucre de l'organisme, et...tu pourrais combiner ça avec de la taurine, qui est un excellent apport de sucres ultra-rapides.
Jeffrey se mit à songer.
Du composant de boisson énergétique et un traitement de diabéto... et elle va me dire que j'aurais dû y penser...
— Tu aurais dû y penser pourtant ! C'est plus ton rayon que le mien. Mais bon tu sais que j'aime quand tu me poses des colles.
— Bravo, comme récompense, je finis les viennoiseries, conclut un Jeffrey hilare.
— Bon, je vois, tant pis, on repassera par la boulangerie sur la route. Tu me revaudras ça. Et il faudra se dépêcher pour ne pas être en retard au cours du professeur Douglas.
Jeffrey finit le sachet, remit sa serrure en place et partit avec Victoria sur la route de l'université, en se maudissant encore de son erreur de la veille et des obscures pensées qui traversèrent son esprit.
***
Sir Douglas Roberts était un éminent scientifique d'origine britannique dont les travaux sur la chimie moléculaire étaient un pilier de l'avancée anglaise sur ce domaine dans les années 80. Hélas pour lui, un désaccord avec son employeur, sur une question obscure de morale, dit-on, le conduisit à changer de carrière en devenant professeur dans la Lakeland University.
Sexagénaire, le bonhomme n'avait rien des clichés de vieil enseignant aigri et sévère que l'on retrouve habituellement dans les films. Sir Roberts avait un sens de l'humour latent et une tendance altruiste qui le rendaient très populaire auprès de ses étudiants. Par exemple, comme il se plaisait à l'expliquer, il ne s'est jamais intéressé aux femmes, car, selon lui, il s'agit d'un « mystère scientifique sans précédent que même lui ne pouvait résoudre ».
Il était également très apprécié des autres professeurs de l'université, même du directeur, et avait contre toute attente un dégoût des formalités « trop formelles ». Aussi insistait-il toujours pour que ces étudiants ne l'appellent jamais par son nom de famille et encore moins par « Sir ».
Tout le monde l'appelait donc à juste titre « Professeur Douglas ».
Celui-ci allait d'ailleurs mener son dernier cours magistral de l'année universitaire sur un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur.
C'est pourquoi Jeffrey, et Victoria, ne voulaient surtout pas arriver en retard.
À mesure qu'ils forçaient le pas pour arriver dans les temps, Jeffrey se demanda comment il pourrait faire pour éviter une hypoglycémie réactionnelle à chaque injection. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il ne vit pas que quelqu'un arrivait en face de lui dans les couloirs de la faculté.
Il heurta de plein fouet l'étudiante qui en lâcha ses livres.
— Merde, je suis vraiment désolé, j'avais la tête... balbutia Jeffrey alors qu'il s'accroupissait pour ramasser les livres... ailleurs...
Il leva lentement les yeux, intimidé, car il avait compris qui se trouvait en face de lui.
L'odeur de jasmin qui accompagnait chacun de ses pas ne lui avait pas échappé. Les yeux bleus de Jeffrey se plongèrent peu à peu dans le brun de ceux qui lui faisaient face, tels des pierres remarquables dans la beauté du visage féminin. Le blanc de sa peau pourrait, à s'y méprendre, faire croire qu'elle avait gouté au vampirisme, tant il était semblable à la neige de l'hiver froid et glacial du Nord. Il attirait d'autant plus l'attention qu'il était entouré de longs cheveux noirs. Noirs de jais. On ne pouvait pas faire contraste plus parfait.
On ne pouvait plus faire aussi parfaite que Léa Vermont.
Jeffrey se releva doucement, pour regarder en face l'élue de son cœur, celle qui à présent le foudroyait du regard.
— Euh...Je...suis désolé Léa, commença timidement Jeffrey, je ne faisais pas attention, je suis un idiot...
— Sans aucun doute, le coupa sèchement l'intéressée, tu ne te doutes pas à quel point ces livres sont importants pour mon travail. Rends-les-moi s'il te plaît.
Sans attendre, Léa arracha les livres des mains de Jeffrey.
— Merci, j'espère que tu ne m'as pas mise en retard. Rien n'est plus important que l'exposé que je rédige actuellement.
Sans plus de cérémonie, l'étudiante esquiva Jeffrey tout comme Victoria et s'enfonça dans les couloirs qui menaient à la bibliothèque.
— Franchement, je ne vois pas ce que tu lui trouves, osa Victoria une fois qu'elle fut partie, et je ne vois pas pourquoi tu t'écrases comme cela devant elle. Quel poison cette fille...
— Arrête Victoria, tu aurais réagi pareillement si quelqu'un avait abimé tes précieux ouvrages, rétorqua Jeffrey.
— Je ne serais pas cruelle au point de l'enfoncer s'il essayait de se rattraper. Mais bon... Il parait qu'elle n'est pas si méchante si tu n'empiètes pas sur son boulot. En fait elle est un peu comme son père, sur ce point-là du moins.
— Il est vrai que le commissaire Vermont est vraiment à fond dans son boulot, c'est à se demander comment il a pris le temps de faire une fille aussi jolie.
— Je comprends ce que tu ressens Jeffrey, mais Marlow est sur elle aussi et... Comment dire...
— Va au bout de ta pensée, finit Jeffrey, il est plus fort, plus beau c'est ça ? Oui, tu as raison. J'espère juste être plus intéressant que lui.
Jeffrey marqua un temps de pause.
— Au bout du compte, j'espère juste être meilleur que lui.
— On est d'accord. Marlow est une brute épaisse, superficielle, qui ne comprendrait pas qu'avec du cacao en poudre et du lait l'on puisse faire du chocolat chaud.
Cette blague fit sourire Jeffrey.
— Pourrait-on arrêter de parler de Marlow ? Il m'a déjà explosé hier... J'ai un peu les nerfs.
— Ah bon ? Je ne m'en étais pas rendu compte. Tu n'as même pas un hématome, c'est étrange.
— Sans doute, je suis quelqu'un de coriace aussi, mine de rien, haha. Mais dis-moi, je pense que nous étions déjà en retard avant même cet incident...
— Ho mince oui, le cours ! cria Victoria.
Ils se mirent alors à courir dans les couloirs de l'université, dans une folle et comique cavalcade où les plus observateurs purent noter que Victoria portait des talons aiguilles. Après moult et maintes acrobaties, ils arrivèrent enfin dans l'aile où se trouvait la salle du professeur Douglas.
Celui-ci les attendait devant la porte, arborant un costume cravate ainsi qu'un magnifique sourire.
— Ha, mes deux retardataires préférés, je vous attendais.
Il pointa de sa canne l'intérieur de la pièce.
— Je vous en prie, entrez-donc, nous allions commencer, et, Victoria ma chère, puis-je me permettre de vous dire qu'en dépit de votre gout vestimentaire flagrant, vos chaussures ne sont pas adaptées pour la course à pied ?
Sens de l'humour courtois très « British » sans nul doute.
L'amphithéâtre n'était qu'à moitié rempli. Les vieux bancs qui avaient vu passer des générations d'élèves et d'étudiants avides de connaissances n'étaient plus que monuments croulants, ode au passé prestigieux de Lakeland et de la désinvolture dont Marlow Senior était la cause.
Une fois que Jeffrey et Victoria furent installés, le professeur Douglas se présenta sur le pupitre et commença son cours magistral.
— Bonjour à tous, et merci d'être venus, hum...nombreux, déclara-t-il. Comme vous le savez, aujourd'hui est la date de mon dernier cours à la Lakeland University, et comme vous le savez aussi, c'est le cœur lourd que je m'en vais vers ma retraite bien méritée.
L'assistance éclata d'un rire généralisée et sonore.
— Vous m'en avez fait voir de toutes les couleurs je l'admets, mais je vais vous manquer, soyez en sûrs!
L'hilarité reprit de plus belle. Décidément, le professeur Douglas savait maintenir son auditoire à l'écoute.
— J'aimerais néanmoins profiter de cette dernière heure pour vous inculquer un principe qui me tient particulièrement à cœur et que, j'espère, vous allez suivre pendant toutes vos années de recherches.
Un silence pesant s'installa dans la salle.
— Aujourd'hui, je vais vous parler de l'éthique.
ayant moi aussi fréquenté les amphithéâtres, j'avoue que cela m'a été plus facile d'en parler que si je n'avais pas fréquenté le lieu en question. Content que le petit cliché ne t'ait pas rebuté ;)
Merci de ton commentaire :)
C'est à nouveau moi pour un nouveau com
C'est un chouette chapitre
on y voit apparaître deux nouveaux personnages féminins dont on s'imagine bien qu'ils auront une importance dans la suite
Je trouve que leurs entrées en scène sont plutôt bien menées
j'ai bien aimé également le vieux prof (je crois qu'on en a tous connu des comme ça hin ?) et la chute du chapitre donne envie de lire la suite
C'est bien amené, l'éthique, comme cours que le prof affectionne le plus (un indice avait déjà été donné dans la description de sa carrière, ce qui rend le truc encore plus vraisemblable)
C'est chouette tout ca
J'attends la suite :)
C'est vrai, tu as aimé l'introduction ? Tu n'as pas trouvé ça trop cliché ? ^^"
En tout cas, tant mieux^^ on va lentement attaquer les choses sérieuses.
Merci beaucoup pour ton commentaire ! :)
Cliché ... peut être ? je sais pas trop
de toute façon, c'est une histoire de super héros quelque part
Et les histoires de super héros peuvent (doivent ? ) contenir un certain nombre de clichés, c'est un peu les règles du genre je trouve. C'est ce qui fait qu'on se sent rassuré quand on les lit
enfin c'est que mon avis :)