En rentrant chez lui ce soir-là, Jeffrey se précipita dans le laboratoire qu'il avait lui-même aménagé dans sa cuisine.
Cet appartement, plutôt vétuste, situé à dix minutes à pied de l'université, avait néanmoins l'avantage d'être suffisamment grand pour pouvoir entreposer ses loisirs d'intérieur. N'ayant jamais été très riche, Jeffrey le louait pour une bouchée de pain, avec les problèmes que cela impliquait.
Il mit machinalement à chauffer un erlenmeyer dans lequel se trouvait une solution incolore et sortit de son sac un stylo auto piqueur dont il vida le contenu dans une éprouvette.
Lors de cette soirée allait se conclure des mois de recherches personnelles. Dosages, substances, mode d'administration. Son statut de « presque » chercheur en biochimie lui donnait accès à divers produits. Sans compter que la législation en la matière était assez souple aux USA.
Il avait réussi à mettre la main sur le composant qui lui manquait : l'adrénaline.
Récupérer des stylos inutilisés au centre d'allergologie n'était pas chose bien difficile.
Il avait déjà calculé la quantité nécessaire à son mélange. En fait, il avait déjà tout paramétré. La moindre erreur pouvait mettre à bas son œuvre, au mieux, et le tuer, au pire.
Après avoir remué l'éprouvette, il rajouta le liquide incolore dans l'erlenmeyer qu'il ôta du chauffage. Il s'attela ensuite à mélanger les différents composants. Pendant des heures il remua, tritura, agita, chauffa, décanta.
Morphine, testostérone, maintenant adrénaline... La nature des autres substances qui eurent été retrouvées ensuite ne fut jamais révélée. Dieu seul savait ce qu'avait mis au point Jeffrey cette nuit-là.
Toujours est-il que ce mélange de couleur maintenant orange qui porterait bientôt le nom de Vitium allait être l'élément central de mon histoire.
« Hum... la voie injectable sera sans doute la plus appropriée, se dit Jeffrey, l'effet sera quasi-instantané, et durera approximativement cinq minutes. Les différentes espèces chimiques auront des effets secondaires certains, mais ceux des unes compenseront ceux des autres. J'ai également calibré les différents dosages pour coller au mieux à mes fonctions rénales, hépatiques, et cardiaques... Ça devrait le faire. »
Jeffrey se disait ça pour se rassurer, il le savait. Il savait qu'il allait être son propre sujet d'expérience, n'allant pas trouver une autre personne pour tester un mélange, illégal de surcroit, dont les différents paramètres avaient été ajustés sur lui seul.
Des gouttes de sueurs perlaient sur son front et son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Il avait toujours été bon en théorie, et là, en théorie, il ne devrait pas y avoir de problèmes.
Las de se torturer l'esprit quant à se demander s'il aurait le courage ou non de poursuivre, il se décida finalement à s'en aller.
Il rangea son matériel, mit l'erlenmeyer dans un placard après en avoir rempli un injecteur vide.
Il sortit, ferma sa porte, et se dirigea vers une ruelle déserte dont il avait connaissance, située à deux pâtés de maisons.
La nuit était tombée, et le climat chaud de ce début d'été pesait encore sur l'air ambiant. Les rues étaient désertes, les seuls témoins aux alentours devaient être les chats de gouttières habituellement présents. Les pierres rouges de ces vieilles maisons grandissaient son ombre à mesure qu'il avançait dans l'étroit passage, le lampadaire s'éloignant derrière lui.
Arrivé au bout de l'impasse, Jeffrey se retourna, et saisit le stylo dans sa poche.
« Je n'ai jamais été très bon en course à pied, pensa-t-il, mon appartement se situe à environ cinq minutes en courant bien... nous verrons combien de temps je mettrai pour le rejoindre. »
Il essuya une dernière fois la sueur qui coulait le long de son visage, nota l'heure, déboucha le stylo et l'appliqua contre sa cuisse.
Il mit ensuite son pouce sur l'extrémité formée par un bouton bleu, et appuya d'un coup sec.
Un léger déclic retentit. La douleur causée par l'injection et le produit diffusant dans son muscle fut étonnamment violente.
Jeffrey ne put retenir un hurlement de souffrance qui retentit dans la pénombre.
La douleur s'effaça aussi vite qu'elle était venue, et alors que le jeune homme s'élança dans la ruelle sombre, il crut que c'était la première fois que son corps courait. Le vent battait sur son visage et le monde autour de lui se faisait flou. Tout ce qu'il ressentait paraissait étranger. Tout, mis à part un sentiment de satisfaction omniprésent, plus fort encore que ce que l'on pourrait appeler du bonheur.
Jeffrey arriva devant chez lui et consulta immédiatement sa montre : deux minutes s'étaient écoulées depuis son départ. De quoi exploser le record du monde. Et le mieux dans tout ça, c'est qu'il pouvait en redemander encore. La fatigue était absolument inexistante, il ne transpirait même pas.
Il ouvrit sa porte à la volée et entra précipitamment dans son appartement. Il se rendit alors compte que sa poignée lui était restée dans la main. Le teint de Jeffrey fut partagé entre la gêne et la fascination.
Il pouvait sentir ses veines palpiter, son cœur battre de manière calme, malgré son récent effort. Il regarda sa jambe gauche, où il avait fait l'injection. Pas d'hématome. Juste un point de sang, déjà coagulé. Ses muscles n'avaient aucunement pris de volume, mais il avait indubitablement une grande force en lui, qu'il ne saurait pleinement expliquer pour l'instant.
Son esprit était en pleine ébullition. Il sentait qu'il pouvait en faire encore plus, que son corps pouvait repousser les limites, guidé par son mental. Si limites il y avait. Et surtout, une quasi-euphorie s'était emparée de son cerveau. D'avoir réussi au-delà de ses espérances, sans doute, mais pas seulement. Un étrange sentiment, que certainement personne n'avait ressenti auparavant. Peut-être celui qui nous pousse à aller de l'avant, quand on a, du jour au lendemain, trouvé la manière d'aller plus haut.
Pour Jeffrey, tout était clair. Il allait améliorer son mélange, réaliser ses rêves de gosses, ne plus passer pour un moins que rien, avoir la fille, bref être un homme digne de ce nom.
Et s'il pouvait rendre la monnaie de leurs pièces à tous ceux qui avaient abusé de sa faiblesse ou de celle de son entourage, il n'y avait aucune raison de s'en priver.
Soudain, son sentiment de toute-puissante s'évanouit et sa tête se mit à tourner.
Son expérience en biochimie lui fit rapidement comprendre ce qui était en train d'arriver. Malheureusement, il n'eut la force de se mouvoir jusqu'à la cuisine pour manger quelque chose. Sa vision se voila progressivement et tout autour de lui devint trouble.
Jeffrey tomba au sol et perdit connaissance.
Merci de ton commentaire!
C'est un chouette chapitre. On commence à entrevoir ce qu'il était en train de bricoler depuis tout ce temps !
Comme d'hab, j'ai pas spécialement vu de fautes d'ortho qui sautent aux yeux, tout va bien de ce côté là !
Y a juste un ou deux détails dont j'aimerais te faire part :
tout d'abord quand tu écris : Sans compter que la législation en la matière est légèrement plus souple aux USA.
Quand on est dit plus souple aux USA, on sous entend : plus souple que ... quelque part. Or, Jeffrey est américain ? il n'a donc pas à se soucier de la législation ailleurs. Bon,c'est un détail :)
Autre chose :
J'ai vu l'apparition d'un "Je"
"je tairai le nom des autres substances qu'on y a retrouvé après coup. Dieu seul sait ce qu'a mis au point Jeffrey cette nuit-là."
Et là ben je suis un peu perdu: qui est ce 'je' ? est ce le narrateur ? la personne qui est interrogée dans le prologue ? si c'est le cas, pourquoi ne le rencontre-t-on qu'une fois :)
C'est un détail aussi, mais je voulais t'en parler :)
A bientôt pour la suite !!
Amic.
Ce sont deux coquilles que j'ai oublié d'enlever, honte à moi. Je corrige de suite !