La liberté porte ton nom

Liam tourne la tête vers le gardien impassible. C'est la dernière fois que leurs regards se croisent. Cette journée a une saveur toute particulière. Dans le couloir qui le mène vers l'entrée, une masse d'individus observe la scène avec un mélange d'envie, de jalousie et de contentement. Après tout, l'un des leurs est enfin libre ce soir. Cela a toujours cet effet la ici le groupe est d'abord et souvent sous l'influence d'une seule personne, tu es leader ou suiveur. Il vaut mieux être dans le bon camp, mais cela on l'apprend rapidement. 

 

Liam n'a jamais eu de problème avant l'accident, si on peut appeler cela ainsi. Tout le monde le trouvait perturbé mais pas mauvais garçon. La haine, la jalousie vous font parfois faire des choses impardonnables aux yeux de la loi. Ainsi il est passé du garçon sans histoire à l'atroce monstre du village. Il se fiche pas mal de sa réputation, mais refaire surface après ça ne sera pas facile, c'est comme se balader à vie avec un imposant boulet solidement soudé à sa cheville avec des grosses chaînes en fer. 

Liam est rentré dans cette cage, il n'était qu'un gamin triste, qui traînait toujours des pieds péniblement avec un air de porter lourdement le monde sur ses épaules. Il en ressort grandi,  il est un homme désormais, il ne courbe plus l'échine car avec l'expérience est venue l'assurance. 

Il a souvent imaginé sa sortie, il s'est fait des histoires dans sa tête, une série d'images édulcorées qu'il se répétait inlassablement le soir. Cela lui permettait de croire, de ne pas sombrer. Sa fierté d'être arrivé au bout de cet éprouvant épisode de sa vie entre les barreaux lui fait ralentir la cadence pour en profiter chaque seconde. Mais c'était sans compter sur l'imposant gorille le précédant, qui d'un petit coup sur l'épaule lui fait comprendre qu'il n'a pas la journée. 

 

Quand la porte en fer toute simple se referme derrière lui, Liam se retrouve seul devant une grande route, un tracé parfait en ligne droite. C'est triste et morne. Il a beau regarder de chaque côté, tout cela lui semble vide comme son esprit en cet instant. Il n'y a ici ni magasins, ni arbres, pas même un réverbère et encore moins une habitation. Qui aurait envie d'habiter en face d'une prison de toute façon? Il repère l'arrêt du bus numéro 67 qui doit l'amener au centre ville. La poubelle se trouvant juste à ses côtés est vide, témoignant d'un passage presque inexistant depuis plusieurs jours sûrement. Une heure passe quand enfin apparaît à l'horizon un véhicule tout délabré, un phare droit manque à l'appel, une rayure profonde finit de défigurer le petit engin. Liam hésite, avant de faire signe au conducteur se résignant à grimper dans cet unique moyen de transport. Il salue poliment le conducteur qui volontairement refuse de regarder le jeune homme dans les yeux. A une époque, il lui serait rentré dans le lard en lui demandant s'il avait un problème, mais il préfère l'ignorer et continue son chemin. 

 

Il doit encore gravir à pied une colline assez abrupte avant de rejoindre le quartier le plus huppé de la ville. Ici toutes les maisons se ressemblent. Ce sont de grandes bâtisses en crépi blanc, la plupart surmontées d'un balcon en bois brut suspendu dans le vide comme par magie, un gazon parfaitement tondu au millimètre près, une allée de pierres rouges, bleues parfois vertes seule touche d'extravagance dans ce labyrinthe d'habitations. On peut ressentir un étourdissement la première fois qu'on vient ici, un sentiment que l'on peut se perdre facilement. Pour celui qui a toujours vécu ici, c'est plutôt rassurant: peu importe ou notre regard se pose, tout est uniforme. Liam continue sa route, traverse deux rues, les mains dans les poches, décontracté. De loin, on aurait pu croire à un adolescent qui vient de finir sa journée de cours et qui rentre tranquille à son domicile. 

 

Liam s'arrête soudain devant un portail noir en acier massif. Sans avertir de sa présence, il pénètre dans le jardin, gravit les quelques marches du perron pour enfin atteindre le hall de ce qui fut sa maison d'enfance. La porte déjà ouverte l'incite à entrer, comme si quelqu'un l'y attendait. Rien n'a changé dans sa maison, les meubles sont restés à leurs places, seule une couche de poussière témoigne d'une activité. Il y règne une odeur de fleurs fanées trop longtemps baignées dans l'eau croupie. Liam fait la grimace, cela lui pique légèrement le nez. Une image de sa mère lui revient, à une époque, raffinée, toujours bien apprêtée, décoratrice hors pair d'intérieur. Aujourd'hui c'est comme si un siècle avait défilé en quelques années, rien n'est entretenu, tout n'est que vieux et désordre. Liam appelle sa mère une fois. Pas de réponse. Il passe une tête dans la cuisine pour voir si elle y est. Personne, a part le chat Chiffon lapant une casserole laissée à l'abandon sur le coin de l'évier. Le matou arrête un moment son activité pour surveiller ce visiteur qui a osé perturber son repas. Liam grogne fortement, il n'a jamais aimé ce chat trop possessif et roi sur son territoire.

 

Liam revient sur ses pas, appelle de nouveau sa mère. Sa voix résonne dans le hall, puis finit par lui revenir en écho. Soudain, un cri aigüe et bref lui parvient de l'étage. Le jeune homme monte les marches lentement, prudemment comme si à tout moment un fantôme pouvait surgir du mur.

 

-Il est là, il arrive, tout va s'arranger... il est là, il arrive.

 

Cette phrase tourne en boucle depuis la chambre au fond du couloir. Le jeune homme reconnaît cette voix, toujours aussi aiguë et monotone. Lorsqu'il pénètre dans la pièce, il est d'abord surpris par l'obscurité: tous les volets sont tirés, laissant peu de place à la lumière. Au milieu de la pièce, une femme est assise sur une chaise en bois usé. Elle est vêtue d'une simple robe fleurie dont les couleurs autrefois très vives sont maintenant complètement fanées. La belle femme d'une époque est devenue un squelette, dont les bras si maigres se balancent frénétiquement contre les accoudoirs, ses joues tombent de chaque côté du visage, un rictus sur les lèvres c'est tout ce qui reste de vivant dans ce spectacle sordide. Liam ressent un vent glacial lui remonter l'échine, il ne s'attendait sûrement pas à la voir dans un tel état de délabrement après toutes ces années. La vieille dame ne se retourne pas lorsque la porte s'ouvre, continuant à s'agiter d'avant en arrière sur sa chaise la faisant grincer à chacun de ses mouvements. Le jeune s'approche d'un pas lent. Il aurait presque envie de crier, mais la peur l'en empêche. Il fait le tour de la chaise pour se retrouver face à elle:

<maman?>

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Louis.W
Posté le 28/08/2020
Toujours très fluide. J'ai eu du mal à situer ce chapitre par rapport au précédent. Est-ce avant ou après l'accident ? Ce personnage a-t-il un lien avec la première jeune femme ? Ce sont quelques questions qui m'ont traversé l'esprit pendant ma lecture.
Anna-Lucia
Posté le 29/08/2020
Ahah merci. Il faut lire la suite pour comprendre...
Anna-Lucia
Posté le 29/08/2020
Ahah merci. Il faut lire la suite pour comprendre...
Vous lisez