La librairie d’Albert

Par Bianca

Vivienne s'agenouilla près d’Albert, cherchant désespérément un signe de vie. Du sang coulait à l'arrière de son crâne, sa tête avait dû heurter un rocher en tombant. Elle devait agir vite. Elle se mit à fouiller dans les poches de son grand-père puis dans sa sacoche. Elle y trouva une ribambelle de petits flacons dont une vieille bouteille de sels de pâmoisons. Elle déboucha la fiole et la passa sous le nez du vieil homme.

Peu à peu, les yeux d'Albert s'ouvrirent légèrement. Vivienne lui adressa un sourire souligné d'inquiétude.

- Reste avec moi grand-père, murmura-t-elle.

Après qu’Albert eut repris légèrement conscience, Vivienne se mit en tête de le ramener à leur ferme. Elle réussit à l'aider à se lever et à le soutenir sur quelques mètres mais le poids la faisait trébucher. Heureusement un coursier passait par là. Vivienne le héla afin qu'ils les aident à remonter jusqu'à la ferme. Albert respirait encore mais restait faiblement conscient.

Vivienne prit une plume, une bouteille d'encre et un parchemin qui étaient dans un petit coffret à côté de la porte d'entrée. Elle écrivit à la hâte un message pour Élise, l'apothicaire et guérisseuse du village. "Albert blessé. Besoin d'aide. Urgent." Le coursier disparut alors rapidement avec le précieux, en direction de la boutique Baumes & Potions. 

Vivienne entreprit alors de nettoyer et panser la blessure à l'arrière de la tête d'Albert. Elle s'assura que son grand-père était confortablement installé dans son lit et tira un tabouret pour s'asseoir près de lui. Alors qu'elle veillait Albert, Vivienne commença à réfléchir. Le souvenir lui revint, son grand-père avait tenté de lui dire quelque chose d'important avant l'incident, quelque chose en lien avec le déséquilibre de l'univers. Il devait sûrement y avoir un moyen de découvrir ce que c'était.

Puis, une idée lui vint.

- Je dois aller à la librairie de grand père. J'y trouverai sûrement des réponses ou du moins des indices. Mais je ne peux pas le laisser seul dans cet état... 

À cet instant précis, tout ce qu'elle pouvait faire c'était attendre. 

§

Au bout d’une heure environ, Élise frappa à la porte tenant une mallette remplie de fioles et d’onguents en tout genre.

- Élise, tu es là. Merci d'être venue, dit Vivienne, l'inquiétude palpable dans sa voix.

- C'est normal, Vivienne, répondit Élise en posant sa mallette sur la table basse en bois. Comment va Albert ?

Vivienne jetta un regard anxieux vers son grand-père, allongé inconscient sur le lit.

- Il respire mais il n'a pas repris connaissance depuis l'accident.

Élise hocha la tête et commença à préparer une infusion avec des herbes qu'elle sortit de petits flacons.

- Je vais lui préparer une décoction pour l'aider à récupérer ses forces, dit-elle. Pendant ce temps, tu dois te reposer, Vivienne. Tu as eu une journée éprouvante.

Vivienne soupira et passa une main lasse sur son visage.

- Je ne peux pas me reposer, Élise. Je... Albert essayait de me dire quelque chose juste avant l’accident. Je dois passer faire un tour à sa librairie, essayer de trouver des réponses.

Après s’être assurée qu’Élise pouvait rester veiller sur Albert quelques heures, elle repartit vers Felsen.

La vieille librairie d’Albert se dressait au coin d’une petite rue étroite, Vivienne respira profondément et fit tourner les clefs dans la serrure. Tandis qu’elle poussait la porte, elle fut enveloppée par un vent de mystère. Les rayons de soleil couchant, filtrant à travers les vitres poussiéreuses, coloraient la pièce de nuances dorées et révélaient un univers d'un autre temps.

Des séries d'étagères tortueuses s'étendaient du sol au plafond, courbées sous le poids des livres. Chaque recoin semblait être un monde en soi, recelant des piles de bouquins, dont certains si anciens que leurs reliures étaient effilochées. Des illustrations aux couleurs fanées par le temps et une odeur de papier ancien et d'encre sèche régnait. Un parfum riche et terreux qui rappelait à Vivienne l’odeur de son grand père.

Des plantes grimpantes poussaient entre les interstices des livres, ajoutant une touche de verdure à l'atmosphère rustique de la librairie. Des lanternes suspendues au plafond projetaient des ombres mouvantes qui semblaient danser au rythme d'une musique silencieuse.

Sur sa droite, un grand bureau en bois massif trônait, encombré de parchemins, de lunettes cassées, et d'une vieille lampe à huile. La chaise en cuir derrière le bureau était usée et éraflée, mais on pouvait encore discerner l'endroit où son grand-père avait coutume de s'asseoir, une marque de son existence qui perdurait malgré son absence.

Un sentiment de sérénité envahit Vivienne. Elle adorait passer du temps ici quand elle était enfant, avant de commencer à s’occuper de la ferme. Au fond d’elle-même, elle avait toujours eu ce sentiment que ce lieu était bien plus qu'une simple librairie. Elle le sentait désormais plus fort encore.

Vivienne commença par fouiller le bureau d’Albert. Elle trouva des notes en tout genre dont le sens lui échappait pour la plupart. Après avoir retourné le contenu des tiroirs en vain, elle s’enfonça plus profondément dans le labyrinthe des rayons. Alors qu’elle déambulait parmi les étagères poussiéreuses, une ombre fugace attira son attention. Intriguée, elle se fraya un chemin à travers les vieux livres oubliés et les toiles d’araignées.

Elle remarqua une étagère légèrement décalée par rapport aux autres. Son instinct lui disait qu’il y avait quelque chose de spécial ici. Elle approcha sa main et la fit glisser le long du rebord de l’étagère, une poignée de porte était dissimulée derrière l’amoncellement de bouquins, invisible aux yeux non avertis.

Pleine d’excitation, Vivienne ouvrit prudemment la porte révélant une petite pièce dont le sol était recouvert de tapis moelleux. Des objets étranges qu'elle n'avait jamais vus auparavant étaient éparpillés partout. Au fond de la pièce, des braises récentes reposaient dans une cheminée. À côté, se dressaient un bureau ainsi qu’un gros fauteuil confortable. Des colonnes d’étagères débordant de livres recouvraient les murs du sol au plafond. Pour finir, une grande carte du monde aux contours dorés et aux territoires détaillés couvrait tout un pan de mur. Elle était parsemée de nombreux symboles et annotations griffonnés au fil des ans.

Avec un mélange de crainte et d'émerveillement, elle se rendit compte que son grand-père n'était pas seulement le libraire qu'elle avait toujours connu. Albert avait des secrets, des connaissances du monde qu'elle n'avait pas soupçonnées. Dans cette pièce, elle sentait qu'elle commençait à entrevoir l'ampleur de ce que son grand-père avait tenté de faire face à la perturbation du monde.

Vivienne regarda de plus près ce qui était entreposé sur le bureau. Soudain son regard s’arrêta. Elle fixait une photo, ses doigts effleurant doucement le cadre en bois. Albert, était au centre de l'image, souriant largement. À ses côtés, il y avait un homme et une femme. L'homme était grand et robuste. La femme, en revanche, était petite et délicate, ses yeux vifs et curieux reflétaient une lueur d'aventure. Elle avait un air de famille indéniable. Ses yeux, sa forme de visage, ses traits, tout était si familier à Vivienne.

Elle passa ses doigts sur le visage de la femme, comme pour vérifier si elle était réelle. Les larmes commençaient à monter dans ses yeux, à mesure que la réalité s'imposait. Ces personnes étaient ses parents.

Alors que Vivienne détaillait la photographie, elle remarqua que les teintes en fond semblaient surnaturelles, alliant des nuances de bleu, de vert et de violet qui dansaient et se mélangeaient les unes avec les autres. Ce paysage contrastait avec les forêts et les champs verts de Felsen qu’avait toujours connus Vivienne.

Ces lumières lui rappelèrent celles de la cité marine qu’elle avait passé tant de temps à contempler. Se pourrait-il que son grand père et ses parents aient un jour été à Abyssia ?

Cette possibilité l'étonna, mais tout prenait sens. Son grand-père avait toujours été fasciné par cette ville mythique. Cette photo était une pièce du puzzle qu'elle cherchait, une preuve que ce monde dont Albert avait tant parlé n'était pas qu'un mythe, mais bien une réalité. Une réalité que ses parents avaient vécue.

Vivienne se tenait là, en pleine contemplation, son esprit empli de questions. Chacune d'elles éclatait comme une étincelle, illuminant une part de l'obscurité qui entourait les secrets de sa famille.

Qui étaient vraiment ses parents ? Et son grand-père, Albert, quels étaient ses liens avec Abyssia ? Et surtout, pourquoi ne lui en avait-il jamais parlé ?

Le cliché en sa possession représentait une autre vie, un autre monde. Un monde que ses parents avaient touché du bout des doigts. Un monde dont elle ne savait pratiquement rien.

Elle prit une grande respiration, essayant de calmer les émotions qui l'envahissaient. Elle replaça soigneusement le cadre sur le bureau. Les yeux encore humides, Vivienne découvrit une série de carnets de notes reliés de cuir, marqués de l'écriture de son grand-père. Chaque cahier était rempli de croquis détaillés, d'annotations codées et de réflexions philosophiques. Une mention fréquente de Lumen attira son attention. Lumen... une cité dont elle n'avait jamais entendu parler auparavant.

Albert avait rédigé des notes détaillées sur Lumen, mentionnant qu'il s'agissait d'une ville à l'instar d'Abyssia, mais avec des caractéristiques uniques. D'après ce qu'elle pouvait déchiffrer, Lumen était une ville qui vivait en symbiose avec la nature, nichée à l'intérieur d'une vaste montagne. Les dessins la montraient comme une ville sculptée à même la roche, ses bâtiments, ses ponts et ses tours faisant corps avec la pierre de la montagne elle-même.

La carte pendue au mur, marquée d'innombrables lignes, avait un point particulier entouré de notes. En suivant du doigt le tracé qu'Albert avait marqué, Vivienne réalisa que c'était la route de Felsen à Lumen. Son doigt parcourut les montagnes tracées sur la carte, sentant le relief sous sa peau, jusqu'à ce qu'elle atteigne le point marqué Lumen.

- Une ville sous la montagne... murmura-t-elle.

L’accident d’Albert, le mystère de la photo, la découverte d'une nouvelle cité magique, tout cela était presque trop pour elle à digérer.

Mais une chose était claire : elle devait se rendre à Lumen. Albert semblait penser que ce lieu renfermait de nombreuses réponses à ses questions. Puis, avec une détermination nouvelle et un dernier regard vers la photo, elle quitta la pièce secrète emportant avec elle les carnets d’Albert.


§

Lorsque Vivienne revint à la ferme, Élise était assise près du lit d'Albert, lui préparant une autre potion médicinale.

- Comment va-t-il ? demanda Vivienne, se précipitant vers eux.

- Stable, mais faible, répondit Élise en remuant la potion avec une cuillère en bois. Sa blessure est profonde, il faudra du temps pour qu'il se remette.

Vivienne se tourna vers son grand-père endormi. Son cœur se serrait à l'idée de le laisser, mais elle sentait que sa quête de vérité ne pouvait être ignorée.

- Élise... Je dois partir, avoua-t-elle. Il y a des réponses que je dois aller trouver dans la cité de Lumen.

Élise arrêta de mélanger ses herbes et la regarda, surprise.

- C’est quoi ça, Lumen ? Mais... et Albert ?

- C'est justement ce dont je voulais te parler. J'ai besoin que quelqu'un veille sur lui pendant mon absence. Je sais que j’en demande beaucoup mais pourrais-tu le faire, s’il-te-plaît Élise ?

Élise la dévisagea un moment, semblant peser la situation, puis elle hocha la tête avec résolution.

- Je veillerai sur Albert, Vivienne. Tu as ma parole. On se relaiera au village. 

Vivienne sentit un poids s'envoler de ses épaules. Elle ne pourrait jamais assez remercier Élise.

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