Cassidy
Vendredi 25 Septembre 2015
Radio Nostalgie me réveille. Mes paupières collent lourdement entre elles. J'éprouve de gros problèmes à aller dormir ; la fatigue accumulée par une semaine de lycée empire la situation. Seule la perspective d'une douche chaude me convainc de rouler sur moi-même pour me laisser glisser sur le sol, encore enroulé’e dans ma couette.
J'éteins mon réveil et allume ma lampe à lave. Six heures cinquante-quatre. Je dispose de six minutes emmitouflé’e dans un cocon avant de descendre.
Ma tête roule sur le cadre du lit. Nous sommes à peine fin septembre, et je suis déjà épuisé’e. Si aucun contrôle n'a nécessité que je sorte mon casque anti-bruit, je malaxe mon globe terrestre frénétiquement quand approchent les cours les plus durs ou que je sens ma concentration s'enfuir. Je retiens aisément ce que j'inscris sur mes cahiers, mais il est difficile de ne pas laisser divaguer mes pensées.
Six heures cinquante-huit. Comment se porte ma dysphorie, aujourd'hui ?
En pleine forme ! Elle m'envahit, compresse ma poitrine, remue mes entrailles d'une frustration coutumière.
Sept heures. Je me défais de ma couette et rejoins le carrelage froid de la cuisine. J'ouvre le frigo, choisiz une compote à la fraise, la pose sur la table. Daphnée touille son thé avec une cuillère rouge. Lorsque j'ouvre le tiroir, je constate qu'il n'y a plus que des grises.
— Tu as pris la dernière cuillère rouge ?
— T'as qu'à en laver une !
— Je risque d'être en retard ! Tu sais que je déteste ces cuillères ! Pour toi, cela n'a aucune importance ! Pourquoi tu n'y as pas fait attention ?
— Parce que je m'en fiche, réplique ma sœur. Tu me soûles. Bouh, je suis une petite autiste et je dois avoir la cuillère que je veux. T'as quel âge ?
Notre mère déboule dans la cuisine, plonge sa main dans l'évier et lave rapidement une cuillère rouge. Elle nous fusille du regard. Aucun de nous n'a intérêt à broncher. Je me verse un verre de jus d'orange sans pulpe -que ma sœur m'a gracieusement laissé- dans mon verre coloré, attrape une paille et m'assieds enfin à table.
Sept heures onze.
Je devrais être en train de terminer. Je n'ai pas le temps d'aller chercher mon livre dans le salon, je veux lire, je suis en train de bouleverser mon emploi du temps.
Je m'assieds, frustré et furieux, avec la boîte de céréales comme compagnie. À sept heures dix-sept, je range et file sous la douche.
Ma sœur ouvre la porte sans se soucier de ma présence.
— Dépêche.
— Daphnée, laisse Cassidy se préparer !
— C'est mon tour ! Mon bus passe dans dix minutes, je dois me brosser les dents !
— Vas-y, répliqué-je, je me sèche.
— T'es à poil !
Nu, complètement dysphorique, et forcé de me sécher en vitesse. La sensation poisseuse de l'eau qui fait coller ma peau à mes vêtements me poursuivra jusqu'à neuf heures. Je décide d'ignorer ma cadette. Mon binder colle à ma peau, ne se déroule pas correctement. Je m'agace. Elle me fixe. Je ne comprends pas son intention, ce qui ne m'empêche pas de ressentir le dédain qui émane d'elle.
À sept heures trente-deux, je m'assieds par terre et fixe les étoiles phosphorescentes arrangées en constellations. Arcturus est de nouveau tombée. Je vais passer la journée à penser à acheter un nouveau set d'étoiles et d'autocollants ; je n'ai pas le temps de la remettre en place. Ma lampe à lave me calme en partie, mais l'arrière de mes genoux, encore humide, crisse contre mon jean ; mon boxer colle à mes cuisses ; le bas de mon dos est pratiquement attaché à ma chemise. Je déteste, je déteste, je déteste !
Je triture mon dé le temps que le gel sur mes cheveux sèche. À sept heures trente-neuf, je referme la porte de la maison et me dirige vers le lycée.
oOo
Hélène m'accueille. Je n'ai pas eu le temps d'écrire à Florent sur la route. Les nuages d'automne dissimulent la position de la lune.
Mon amie se contente d'être à mes côtés tandis que j'envoie un message à mon amoureux. Je lui indique mes pronoms du jour. J'utilise iel de façon presque permanente, mais je suis si à cran et si dysphorique que le masculin ne pourra que m'apaiser.
— Tu es sûr ? hésite Hélène.
Toutes ces histoires de genre la perturbent ; elle ne s'y intéresse pas et s'en moque. Je suis une fille ? D'accord. Un garçon, finalement ? Pas de soucis. Non-binaire ? J'explique la définition, et elle s'adapte.
— Certain.
— Je n'aime pas que les autres t'insultent.
J'esquisse un sourire. Elle a un mouvement de recul.
Oui, c'était aussi dans le dossier. « Sourit à des moments inappropriés ». Je trouve pourtant très comique la situation :
— Ils m'insulteront quoi qu'il arrive, tu sais. Quand je portais des vêtements féminins qui ne m'allaient pas, quand je me maquillais mal... En seconde, j'ai tenté d'être moi-même et ils me l'ont fait payer parce que ma différence les dérangeait. En première, j'ai tenté d'être comme eux et ils m'ont fait payer le fait que je n'y parvienne pas. Autant faire ce qui me convient le mieux. Tant pis pour eux, Hélène.
J'appréhendais sa réaction le jour où je lui ai confirmé mon diagnostic d'autisme.
« D'accord. »
Un sourire amical.
Le soutien inconditionnel qu'elle m'offre m'est salvateur.
oOo
La classe de Littérature Etrangère Espagnole n'est ouverte qu'en cas de demande suffisante, or j'étais le seul à désirer cette option. J'éprouve encore de l'amertume en m'asseyant dans une classe d'anglais disposée en U. Nous étudions déjà Shakespeare, Poe, et toute la culture anglophone depuis le collège, sans compter les innombrables adaptations et influences dans le monde moderne.
Toute la culture Occidentale tourne autour de l'anglais. Les Japonais, occupés après la Seconde Guerre Mondiale, vivent entre leurs traditions et les modèles américains d'immenses villes et de gratte-ciels. Je suis en train de prendre en grippe ce mode de vie. Je rêve de me rendre en Amérique Latine. Pas en tant que touriste, pas dans un tour du monde qui repose sur l'incroyable charité de ces gens qui n'ont rien. Je veux y vivre en immersion. Œuvrer à leurs côtés, arpenter les grands espaces, découvrir les villes. En cinquième, Hélène et moi sommes devenus amis durant un exposé sur les Incas. J'apprends, depuis, tout ce que je peux trouver sur eux, ainsi que ce qui entoure leur passé. Je connais toutes les classifications des peuples pré-colombiens, dont les traces remontent à un millénaire avant le début de notre calendrier chrétien. Les Incas ont vécu entre le XIVème et le XVIème siècle.
La classe est parcourue d'un léger murmure, qui commence à enfler. Mes camarades se tournent, se cherchent du regard. Happé en dehors de mon monde, j'éprouve une légère dissonance, une impression d'irréel vertigineuse.
Regan, Elodie et moi sommes seuls. Il paraît évident que nous allons être groupés ensemble. Je me raidis. Non ! Je déteste les travaux collectifs !
Le regard bleu de la professeure s'arrête sur nous. Je pressens le problème sans identifier l'émotion. Elle est jeune, avec ses cheveux blonds relevés en queue de cheval. Sa moue m'alerte. Que se passe-t-il ? Est-ce parce que j'ai réagi trop tard ? Parce que je me refuse à aller vers les autres ? Elle sait pourtant que je suis autiste ! Quant à Élodie, son AVS n'est pas disponible le vendredi. Je ne m'entends pas du tout avec elle. Je crois qu'elle me renvoie mon propre reflet, ma propre différence. J'ignore quelle est sa problématique ; je devine confusément que son ton abrupt et ses tics sont semblables à ma propre maladresse et à mes stims. Je devrais être plus tolérant, sans y parvenir. Chaque fois que je la vois, mon ventre se tord violemment sous la culpabilité et la honte.
Regan fixe patiemment l'adulte, le visage vide. J'empoigne mon globe et le tord entre mes mains, perturbé. Je ne suis pas certain que l'attitude qu'elle affiche soit cohérente avec ce qu'elle ressent.
Une minute interminable s'écoule. Nos camarades ont déjà commencé à ranger leurs affaires et échanger leurs places. Le regard de la professeure passe inlassablement sur Regan, Elodie et moi. Je serre plus fort mon globe. Il ne me suffit pas. J'ai besoin de tordre, de torsader. Je crois qu'il existe un stimtoy spécifique à ce besoin, sans doute devrais-je le commander en rentrant afin de l'avoir pour octobre.
Quel est le problème ? J'essaie d'analyser. Pourquoi cette adulte met-elle tant de temps à se décider ? N'a-t-elle pas anticipé qu'en demandant de nous mettre en groupe, certains seraient inlassablement à l'écart, encore et encore ?
— Eh bien, déglutit-elle. Regan, va te mettre avec Eliott et Lorna. Cassidy, tu rejoins Brandon et Lexie. Elodie, tu peux aller avec Sélène et Nour ?
Concert de protestations. Mais madame, on a déjà commencé ! Mais c'est pas juste, pourquoi nous ? Madame, c'est pas une bonne idée, on ne s'entend pas bien avec elle... Madame, pourquoi vous ne les mettez pas toutes les trois...
Je plaque mes mains sur mes oreilles et ferme les yeux en attendant que le brouhaha retombe.
Toutvabientoutvabientoutvabientoutvabien...
— Assez.
La voix claire de l'adulte porte. Grognements, jugements, promesse de mauvaise ambiance...
Une main effleure ma chemise.
— Hé, ça va ? Ne t'inquiètes pas, on va te faire une place.
Lexie me sourit doucement. Je me fie à la douceur qui a toujours émané d'elle. Nous n'avons pas grand chose en commun, mais elle ne m'a jamais rejeté.
— Du bruit. Il y a trop de bruit, articulé-je. Et trop d'injures.
— Viens, on va se mettre près de la fenêtre. Bran, tu nous décales ?
Il me jette un regard incompréhensible, mais pas bienveillant. Qu'ai-je fait ? Pourtant, la gentillesse de Lexie m'attire. Je m'installe, bouscule des gens, obtiens des soupirs. Les critiques m'atteignent.
Tarée, c'est quoi son problème, c'était quoi le truc des mains, débile...
— Euh, du coup, comme on est tous les trois en théâtre facu, on se disait qu'on pourrait utiliser la salle pour répéter ? Tu sais, comme la prof veut des saynètes.
— Yeah, sure. What do we start with ?
Un nouveau regard sibyllin m'est adressé.
Ah. Je viens de m'exprimer en anglais. J'explicite :
— Je ne comprends pas l'intérêt de travailler une langue en en parlant une autre, cela ne nous fera pas progresser.
Je ne parviens pas à identifier ce qui tord, à nouveau, les traits de mon camarade. Je serre mon globe si fort qu'il risque bien d'être en charpie à la fin de la journée. Expliquer ma façon de voir le monde n'a pas eu l'effet escompté.
Je suis fatigué. Ma tête retombe sur mon épaule. Je m'affaisse sur ma chaise.
— Faites comme vous voulez.
Il s'agit de leur projet. Nous travaillons sur The Crucible, d’Arthur Miller. Il s’agit d’une réécriture des procès de Salem créés pour faire le parallèle avec le Maccarthysme du temps de l’auteur, et devons mettre en scène un semblant de procès. Le sujet ne m'intéresse pas, le point de vue ne m'intéresse pas. Mes idées sur les astres et la superstition de l'époque entraînent un silence gêné.
Je sors de la pièce et m'assieds sur le sol des toilettes malgré l'odeur et l'aspect des lieux. Je n'ai pas pu me résoudre à utiliser celles des filles aujourd'hui, bien qu'elles soient en général plus propres. Je passe mon visage sous l'eau, respire profondément :
— Arcturus appartient à la constellation du Bouvier. C'est une constellation Boréale, ce qui signifie qu'elle est visible dans l'hémisphère nord. En France, on peut l'observer toute l'année, mais les meilleurs horaires sont ceux de l'été.
J'essaie d'estimer mes cuillères. Je crois qu'il m'en reste quatre, pour finir la journée.
Il est huit heures quarante, au matin.
oOo
Je passe la récréation au CDI, loin du bruit, à regarder les paysages d'un Atlas au prix en Francs. Les chutes d'eau et geysers m'apaisent. Mon téléphone, sur silencieux, clignote à intervalles rapprochés pour me signaler l'arriver d'un message.
"Je te déconseille vraiment de demander à Bran ce qui ne va pas. Il pourrait très mal réagir. Tu sais comment sont les valides, non ?"
Même si Florent n'a pas tort, ma réponse est un peu plus enragée que nécessaire.
"C'est tellement simple de laisser l'autre interpréter. Et ce sont les autistes qui ont des problèmes de communications ? Mais si les neurotypiques parlaient concrètement et exprimaient leurs véritables besoins et idées, tout le monde aurait une meilleure vie !"
Je sais que Florent ne me répondra pas une variante neurotypique de Not all men. Il n'a aucun besoin de préciser que lui n'est pas comme ça, de valoriser un comportement qui devrait être la norme. J'observe en détail un pélican tout en cherchant une photo d’alpaga quelques pages plus loin.
"Tu ne peux pas changer ça, Cassidy. Pas tout seul, et certainement pas cette année. Tu as trop à faire. Qu'est-ce que tu comptes faire, aujourd'hui, pour tenir jusqu'au week-end ?"
Je liste mentalement et par écrit les méthodes conseillées par les médecins et les psys, ainsi que celles que proposent les autres autistes de Tumblr. La liste m'apaise. Puis, je l'interroge sur l'association queer de son université. Sont-ils actifs ? Sont-ils inclusifs ?
Un immense résumé me parvient quelques secondes après que la sonnerie ait retenti. Je m'installe en salle de littérature. Nous sommes placés par ordre alphabétique. Je suis au premier rang, proche de la fenêtre, à côté de Nour. Nous n'avons aucune affinité, et Madame Lefèbvre exige un silence total, aussi me contenté-je de l'ignorer.
Nous commençons l'année par Flaubert et Madame Bovary. Les brouillons et le plan de construction d'une œuvre devraient m'intéresser. J'esquisse sur une feuille à carreaux quelques idées de mise en scène et d'adaptation de la pièce afin de m’attacher à l’œuvre.
Madame Bovary est une œuvre sociale, une critique sociale. Un homme neurotypique tombe amoureux d'une femme neurotypique, que l'ambition dévore et qui rêve de se fondre dans la haute société. J'essaie sincèrement de m'intéresser à ces jeux de pouvoir et de mieux comprendre le monde de par ce que Flaubert en a observé ; pourtant, je ne parviens pas à saisir les enjeux. J'ai essayé de m'avancer cet été sans parvenir à terminer le tiers du livre. Pourquoi Emma épouse-t-elle Charles ? Pourquoi a-t-elle l'air de l'aimer et soudain, de le mépriser ? Quel est l'intérêt du pied bot ? Est-ce métaphorique ?
J'essaie une nouvelle scénographie. Mon stylo rippe sur la feuille. Je devrais utiliser l'effaceur, or l'odeur m'incommode et avec les coups de coudes involontaire de Nour, je risque de m’en mettre sur les doigts.
D'après notre professeur, le procès est fascinant. Le scandale sexuel à la sortie en dit long sur la société parodiée...
Quel est donc le problème avec le sexe ? Molière aussi, avec l’École des Femmes, a jadis fait face à un public outragé. Le tabou qui entoure la sexualité m'interroge.
Je peine d'autant plus à me concentrer que je revis en boucle la scène de ce matin. Le bruit, mes mains sur les oreilles, les moqueries, les regards malveillants... Qu'aurais-je pu faire ?
Rien. J'avais besoin de calme, je suis sorti. Mais mon casque anti-bruit risque de poser un immense problème, quand les contrôles et examens viendront, non ? Je ne supporte plus leurs rires et leurs jugements.
Je sens l'agitation monter et fais rouler mon globe sur la table, l'observe. Je dois couper mes ongles ; ils sont en train d'abîmer la mousse.
Le roulement entre mon pouce et mon index m'apaise. Je reprends le fil du cours : le personnage de Charles est écrit comme un médiocre.
— Mademoiselle, rangez-moi votre jouet.
Occupé à prendre des notes tout en malaxant mon globe, il faut tous les regards rivés sur moi et le silence de reproche de plus en plus long avant que je ne comprenne que c'est à moi que la professeure s'adresse. Je cille.
— J'attends, ajoute-t-elle impatiemment.
Je dois ranger...
— C'est un anti-stress.
Instinctivement, j'ai cessé de masquer pour endurer l'affrontement. Ma voix monocorde est dénuée d'irrespect.
— Rangez-le.
— Je suis autorisé à l'avoir en classe. Il est silencieux, discret, et ne perturbe pas les cours.
— Vous n'êtes plus en maternelle. Rangez-le, où je vous le confisque.
Brusquement, je suis conscient de mon corps, car mon cœur bat trop fort et trop vite ; car ma température corporelle augmente à m'en faire transpirer ; car mes yeux brûlent du sel des larmes. Elle ne peut pas y toucher. Personne ne peut y toucher. C'est mon stimtoy. Si elle le touche, il sera souillé.
Une fois de plus, j'ai interdiction de répliquer.
Je dois : ranger mon globe, ignorer l'humiliation subie, me rendre dans le bureau de la CPE dès que possible afin qu'elle intervienne auprès de cette professeure.
Je n'y parviens pas. Après le combat de ce matin, je ne suis pas en état de supporter la moindre frustration, surtout accompagnée de piques. Je suis la cible de tous les regards.
Je déconnecte.
Comme un appareil en panne. Error. 404 not found.
Je suis piégé à l'intérieur de mon enveloppe corporelle. J'entends ce qui se passe autour de moi mais les sons me parviennent assourdis, comme si je me trouvais sous l'eau.
— Votre carnet.
L'ordre fuse, implacable.
Je dois me baisser, plonger la main dans mon sac, être discipliné. Pour tous ceux qui m'entourent, je suis effronté.
En réalité, je suis incapable d'esquisser le moindre geste ou de prononcer la moindre parole. Mon regard est entièrement fixé sur le tableau vert devant moi.
— Dépêchez-vous.
J'ai l'impression que quelque chose me déchire de part en part. Je sais que si je ne réagis pas, la situation empirera. Je risque une heure de colle, un mot, qu'elle m'arrache mon globe.
Mes doigts se resserrent sur lui.
Rien.
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Pas parler.
Pas bouger.
Peux pas.
Essaie.
Mais peux pas.
Pire après. Peux pas. Aide. Besoin aide.
— Bon, ça suffit.
Main sur globe. Non ! Pas globe !
Besoin. Aide.
CPE. Comprendre. Aide.
Droit. Autiste.
Pas révéler !
— Madame, je pense qu'il faut aller chercher l'infirmière !
— Asseyez-vous, Lexie. Quand votre camarade aura fini son caprice, nous pourrons reprendre le cours.
Caprice. Enfant. Idiote.
Mégenré.
Mal.
Mal.
Chute. Sol. Globe serré contre ma poitrine.
Yeux fermés. Noir. Plus de stimuli. Juste des larmes. Corps secoué de sanglots.
Le cours reprend. Des pieds devant moi avec des chaussures vernies. M'ignore. La classe s'agite. Rit nerveusement.
Sortir ! Je dois sortir ! Me mettre en sécurité. Elle est dangereuse. Malveillante.
— Madame, vous allez vraiment... la laisser par terre ? I-E-Cassidy ne va pas bien du tout. C'est...
La voix de Bran. Il déglutit.
— Très bien, emmenez-la à la vie scolaire. Mademoiselle, inutile de vous représenter en cours si vous n'êtes pas décidée à agir comme une adulte.
Très bien. Je reviendrai pas. Jamais. Je la hais.
Bran me touche, me soutient, s'arrête devant les escaliers.
— Tu peux rester là ? Je vais chercher quelqu'un. Tu... tombes pas, d'accord ?
Téléphone. Dans ma poche. Envoyer un message à Florent.
Shutdown.
Une surveillante revient avec la clef de l'ascenseur, puis me guide jusqu'à l'infirmerie. Allongé sur un lit, je parviens à reprendre mes esprits.
L'embarras me submerge.
Mes pleurs alertent la vie scolaire –l'infirmière est absente. Mélinza apparaît dans l’encadrement de la porte. Elle est souvent restée avec moi, lors de mes crises de l’année dernière.
— Chut, Cassidy, ça va aller. Tu veux rentrer chez toi ?
— Non. Théâtre cet après-midi.
Son visage se crispe. Inquiétude.
— Le théâtre est important, mais ta santé aussi. Quand on est comme toi, on a moins de tolérance aux aléas et plus de fatigue.
Je relève les yeux vers son visage doré. C'est la première personne qui me parle de mon diagnostic en dehors de mon cercle restreint.
— Mais le théâtre, c'est important pour moi. 'En ai besoin.
— Si tu es sûre de toi... Tu rentres manger, ce midi ? Tu devrais éviter le self.
— Oui. Veux... Je. Je veux parler. À la CPE. Madame Lefèbvre. Elle a dit. Elle a dit que je devais lui donner mon stimtoy mais j'ai le droit de l'avoir et elle le sait et elle m'a affiché devant toute la classe et ils me trouvent ridicules et j'ai interrompu le cours...
La surveillante me laisse déverser mes paroles une bonne dizaine de minutes. Une fois que je parviens à parler correctement, ou plutôt comme les neurotypiques s'attendent à ce que je parle, elle me promet qu'elle réglera la situation. Je refuse de retourner en cours de Littérature.
— On trouvera une solution. Tu as quand même un examen à la fin de l'année.
Elle me laisse avec mon téléphone, sur lequel j'ouvre une carte du ciel. Je l'observe jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour moi de quitter les lieux.
Oooooh, pauvre Cassidy. Iel est vraiment confronté à l'ignorance et la méchanceté dans ce chapitre, c'est dur pour ellui, et dur pour les lecteurices aussi de vivre cela de l'intérieur.
Quelle prof de m****, mais en même temps, c'est très réaliste car tu plantes l'histoire dans les années 2010, et la prise en compte vraiment plus universelle des personnes autistes me semble être un phénomène assez récent. Enfin je dis universel mais en fait non, les clichés et incompréhensions restent très forts, même aujourd'hui...
C'est un chapitre effectivement assez dur à lire, mais en même temps vraiment important je pense. Il permet de faire vivre "de l'intérieur" ce qui peut effectivement être défini comme de la maltraitance alors que d'un point de vue extérieur on n'aurait peut-être pas conscience de la gravité de la situation et d'à quel point elle est inexcusable.
J'espère que cette professeure sera recadrée !
En tout cas c'est un chapitre très fort et un tournant dans le récit, il est très bien écrit et très prenant, bravo !
Par ailleurs, j'espère que tu vas bien et que l'écriture continue ♥
J'aurais l'honneur de poster le premier commentaire sur ce chapitre :), avec mon ressenti à compter du deuxième chapitre.
J'ai bien aimé le personnage d'Elsa et les autres d'ailleurs. Je trouve qu'elle ressemble à Cassidy sur certains aspects, mais elle a l'air de mieux affronter ses angoisses que notre pauvre Cassidy qui a d'ailleurs bien souffert dans ce chapitre. J'ai bien aimé également la relation entre Elsa et Jonas.
Ensuite viens le personnage d'Aurèle qui a l'air bien plus rebel et fort de caractère que Cassidy et Elsa. Il n'a pas peur et je n'ai pas eu l'impression qu'il était atteint d'autisme. La force de ce personnage qu'il a l'air d'avoir gagné avec le racisme qu'il a subi au cours de sa vie, me donne ce ressenti. D'ailleurs on sent bien la différence de narration avec Aurèle contrairement à celle de Cassidy de Elsa qui était plus similaire.
L'idée de narré du point de vue du Pr Aristide est excellente, cela montre que les difficultés ne concerne pas uniquement nos autistes, mais aussi ceux qui les accompagnent et prennent avec eux un peu de leur souffrance.
Et enfin le dernier chapitre qui m'a fait changer un commentaire que je comptais mettre. Bien que les difficultés pouvaient être présentes au cours des précédents chapitre, j'ai trouvé que cela manquait de scène marquante et pour le coup ce chapitre avec Cassidy et la scène avec cette satanée prof qui ne veut rien comprendre fait que du coup je n'ai plus grand chose à dire au niveau de cela.
Merci pour la lecture et bonne continuation :)