Aristide
Vendredi 11 septembre 2015
Les premières semaines d’une nouvelle année scolaire sont toujours fascinantes. Je peux y découvrir mes élèves, observer la façon dont ceux que je connais ont changé durant l’été. Je vois les épanouissements ou les difficultés rencontrées en additionnant de multiples détails : écouteurs dans les oreilles, yeux vissés sur un téléphone, livre toujours à la main, tenue vestimentaire, hygiène, sourires, discussions et interventions…
C’est de bonne humeur que je passe les portes du lycée ce vendredi matin. Mon premier cours se fait auprès des Secondes Théâtre ; certains sont encore dans la mentalité collégienne. Ils ont le potentiel pour être une classe sympathique, à condition que je sache recadrer les éléments chaotiques qui considèrent cette option comme une occasion de se défouler.
Un vendredi matin, à huit heures, la salle des professeurs n’est guère remplie. À l’instar du lundi matin, il n’y a guère que les professeurs d’options de présents, ainsi que ceux dont les cours n’ont pu être placés ailleurs, Je m’assieds à l’écart pour rédiger une liste de courses : j’ai réalisé ce matin que, si le frigo était rempli de plats à cuisiner qui ne seront pas dédaignés par une enfant de cinq ans, je n’ai en revanche plus de quoi faire goûter ma nièce ce week-end, sans compter que la veilleuse de sa chambre ne fonctionne plus.
Juste avant que la sonnerie ne retentisse, je rassemble les documents que je suis censés lire avec mes Secondes. Puisqu’il s’agit de ma première véritable année autorisé à enseigner le théâtre, je devrais me montrer exemplaire. Néanmoins, une grande partie des jeunes de ce matin sont des internes et les dix jours écoulés depuis la rentrée n’auront pas suffit à les accoutumer à ce rythme nouveau.
De fait, ils sont très excités lorsque je déverrouille la porte pour les laisser s’installer dans la petite salle en U qui nous a été assignée.
— Monsieur, vous savez ce qu’on va étudier comme pièce, maintenant ?
— Monsieur, c’est vrai que les spectacles ils seront gratuits ?
— Monsieur, monsieur ! On pourrait pas recommencer les exercices qu’on a faits, genre, hier ? La théorie ça va pas nous servir.
Il est donc, évidemment, impensable de déchiffrer les photocopies d'Histoire du Théâtre Dessinée – que mes collègues m'ont mis entre les mains deux ans plus tôt en m'assurant :
— C'est de l'or ! Ils devraient tous l'avoir ! Tu t'en serviras comme support auprès de tous les niveaux !
Je pense surtout me servir de la photocopieuse pour des feuilles A3 qui finiront dans un grand sac poubelle avant la fin de l'année.
— Pour commencer, asseyez-vous.
Ils sont adorables, encore ancrés dans les coutumes du collège qui demandent d’attendre que l’adulte autorise à prendre place. Au lycée, si certains de mes collèges l’exigent encore, la plupart considère que c’est passer un temps fou pour rien. Pour ma part, je n’exige pas de mes élèves un comportement qui ne leur sera pas réciproqué. Aucun adulte ne se lève lorsque les délégués entrent en conseil de classe, timides et un peu en décalage.
Les chaises raclent.
— Ensuite, nous sommes toujours en classe. Si la parole n’est pas distribuée, cela dégénérera en une affreuse cacophonie. Levez-la main.
Il est des classes où, au contraire, il faut pousser les élèves à s’autonomiser et à répondre instinctivement aux autres de manière à créer des débats fluides. Je suis toujours plus rigide en début d’année afin de poser un cadre. Une fois que nous coopérons, je m’assouplis.
Je réponds aux questions dans l’ordre d’importance, les rassure concernant la logistique des spectacles que nous verrons plus en détail –dès que les pièces auront été approuvées et que leur budget aura été voté, ce qu’ils n’ont nul besoin de savoir–, affirme l’importance de la théorie.
Ils décrochent, je le vois. Je m’appuie contre mon bureau, un peu plus relaxé. Ce mouvement réveille l’intérêt.
— Pourquoi avez-vous choisi le théâtre ?
— Parce que c’était la seule manière d’être interne.
L’élève se marre ; il n’existe aucune expression plus juste. Ses yeux rieurs me provoquent, testent. Je prends le temps de poser mon regard sur lui, Les jeunes Secondes sont compliqués, il faut tout doser très précisément afin qu’ils ne prennent pas une maladresse ou un sursaut d’orgueil comme un affront personnel.
— Dois-je instaurer un bâton de parole, ou es-tu capable de lever poliment la main ?
Je note quelques sursauts excités, à ma droite. Certains ont étudié Sa Majesté des Mouches et apprécient la référence.
— Ben vous posez une question, je réponds m’sieur !
Qu’est-ce que tu vas faire, hein ? m’interrogent ses yeux, son menton levé.
— Sur le fond, tu réponds. Sur la forme, tu enfreins la seule règle que j’ai imposée dans ma classe. C’est dommage. Cette année théâtrale, tu vas la passer avec moi, notre intervenant, et tes camarades. Le mieux serait que nous passions tous un excellent moment, et pour cela… que nous coopérions. J’entends que tu n’as pas envie d’être ici, mais tu avais envie d’être interne. Ce lycée te tenait à cœur ?
Une jeune fille lève la main ; je lui accorde aussitôt la parole.
— C’est surtout que les places sont limitées, et quand nous venons de loin… on nous a dit de prendre l’option, au collège, pour être sûrs d’être internes. Et d’avoir ce lycée.
— D’accord. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce lycée ?
La plupart des étudiants sont persuadés d’être extrêmement rusés lorsqu’ils cochent l’option théâtre à l’entrée en seconde pour être sûrs d’être admis. Toutes les lettres de motivations contiennent les mêmes formulations, à quelques exceptions près. En vérité, nous sommes entièrement conscients des combines utilisées ; je savais, en acceptant ce poste, que certains se désintéresseraient dès le premier trimestre, voire le premier mois.
Une nouvelle main levée, timide.
— J’ai fait différentes portes ouvertes, et c’est l’ambiance que j’ai préférée. Les deux autres étaient… froids.
— C’est une excellente raison. Vous allez passer trois ans ici, peut-être plus. Il faut que ce soit un endroit où vous vous sentez bien.
Peu à peu, le dialogue se noue. Certains expriment vouloir vaincre leur timidité, d’autre rêvent de devenir comédiens et utilisent l’option théâtre comme premier tremplin vers l’intermittence. D’autres, enfin, ont suivi un ami, une amoureuse. En seconde partie de cours, je reviens sur leurs attentes, qu’ils ont rempli dans une fiche de rentrée. L’énième de la semaine dernière. Leur motivation n’est pas aussi haute que celle des premières Spécialités, ni même de la classe de Seconde que j’ai pu observer l’année précédente. En revanche, ils sont honnêtes, ce que je trouve plus important.
***
Ma sœur et moi avons hérité de notre adolescence un unique trait issu de romans pour cette même tranche d’âge : la capacité à se forger, consciemment, un visage de marbre. Neutre comme le masque théâtral, qui se revêt instinctivement lorsque nous nous trouvons en danger. Solène s’en sert les jours où elle doit ployer sous les heures supplémentaires à l’hôpital ; il arrive que des familles de patients l’invectivent ou que l’émotion la suffoque vis à vis d’une situation trop douloureuse. Alors, son visage se lisse, toute couleur quitte ses joues, ses pommettes se rehaussent tandis que ses dents se desserrent, coupant l’accès aux émotions.
Lorsque la comédie musicale Mozart, l’Opéra Rock, a connu un succès inespéré et que nous ne pouvions plus allumer la radio sans entendre Tatoue-moi ou l’Assasymphonie, de nombreuses adolescentes analysaient inlassablement la dynamique des deux rôles principaux. Salieri et son acteur –Flow comme elles l’appelaient affectueusement– étaient loués pour cette impassibilité caractérisée d’aristocratique et d’obligatoire à la cour d’un empereur. Certaines écrivaient des textes où elles utilisaient et décortiquaient ce masque de marbre, que le jeune Mozart parvenait à craqueler.
Cette année là, je m’en souviens bien. Ma nièce Noa venait de naître ; Solène redoutait d’être en proie à une dépression post-partum. Moi, je devais m’accoutumer au quotidien avec un nouveau-né ainsi que renouer avec ma sœur une relation dont nous avions striés les liens d’un commun accord. Pourtant, je me souviens de Salieri. Peut-être parce qu’il plante les bases de mon inimitié à l’égard de mes collègues ? J’étais épuisé, comme tout jeune parent ; je devais en plus refouler les injures qui brûlaient mes lèvres face aux conversations de mes collègues.
La façon dont ils, dont elles, riaient du comportement de « midinettes » des adolescentes qui se découvraient une passion pour la danse, le théâtre, les arts du spectacle vivants.
La façon dont ils, elles, secouaient la tête, écœurés d’entendre la fanfiction se répandre dans les couloirs et toutes ces écrivaines en herbe trouver du plaisir à agencer ensemble des mots et un scénario.
Le sexisme prégnant dans leur vision du phénomène.
Mes chers collègues n’ont pas un instant songé aux adolescents qui se passionnaient pour cette comédie musicale sans que la pression sociale ne les autorise à l’exprimer, ce genre étant réservé aux filles et aux homosexuels. Ils se sont contentés de mépriser un médium qui amenait des jeunes à écrire, ainsi qu’à réfléchir sur l’être et le paraître et sur la pression sociale des pairs.
***
Je me souviens de Salieri tandis que mes Terminales ES rentrent en classe et que je revêts mon masque afin de pouvoir faire face à Morgan. Il est entouré du même groupe d’amis depuis la seconde ; à l’exception de David, qui a été inclus l’année dernière. Ils s’asseyent ensemble dans un schéma prédéfini ; je suis convaincu qu’ils ont décidé durant l’été qui prendrait quelle place durant tel cours.
Je m’autorise à croiser le regard de Morgan. Contrairement à la croyance littéraire, les yeux ne sont pas le miroir de mon âme. Ma figure neutre comprend un regard éteint et vide qui m’a sauvé la vie, autrefois.
L’adolescent est un écho de mon passé. Il m’observe calmement, posément ; de fait il m’interdit l’accès à sa vie personnelle. Son corps dégingandé s’est mué en une stature droite et ancrée sur le sol ; ses chemises, vestons et pantalons de costumes sont repassés et ostensiblement luxueux ; ses cheveux impeccablement domptés au gel. Il est plus hermétique encore que l’an passé.
Et depuis trois jours, il porte une attelle au bras droit.
— Ta tendinite n’est pas encore partie ? m’enquiers-je du ton le plus amical que je m’autorise en classe.
— Ce genre d’affliction dure longtemps, répond l’enfant en haussant les épaules.
Il ne détourne pas le regard ; il me ment pas non plus dans les yeux. N’en déplaise à ceux qui se délecteront de pouvoir m’accuser de paranoïa, je connais les signes. J’ai appliqué des techniques, parfois semblables, parfois différentes, voilà plus de quinze ans. Ses épaules tendues, sa concentration aléatoire, trop souvent fuyante : je possède ce vécu. C’est mon vécu.
— Si tu as besoin d’accommodations, sens-toi libre de m’en faire part.
Sa mâchoire se crispe, la lueur dans ses yeux se durcit, comme chaque fois que je lui tends la main depuis octobre dernier. Il se mure dans le silence, et je dois enchaîner sur mon cours, commencer à rappeler la méthodologie du baccalauréat, embrayer sur la suite de ma première séquence.
***
Je déjeune un peu à l’écart des autres en compagnie de Joanna Witek. Nous parlons travail, évidemment. Il se murmure que les professeurs entre eux, voire même seuls, ne savent pas parler d’autre chose que d’école, d’élèves et de réformes. Les murmures sont véridiques. Dans mon cas, comme dans celui de Joanna, bien qu’elle se montre plus pudique, notre vocation est trop puissante pour ne pas nous envahir. Nous aimons la matière que nous enseignons ; nous aimons plus encore les gamins, leur contact, la possibilité de les aider à s’épanouir, à s’accrocher, à trouver leur voie.
J’aimerais que certains collègues sachent parler d’autre chose que de leurs élèves, ou du moins appuient les points positifs de temps à autre. La tablée derrière nous est équivoque. Et qu’untel n’est pas fait pour le Général et se réorientera avant la fin du premier trimestre, et qu’unetelle porte un décolleté trop moulant et se prend pour une adulte, et qu’une autre a déjà essayé de se faire dispenser de sport pour causes de règles douloureuses, et que celui-là va poser des problèmes c’est sûr, vu son milieu de toutes façons il est mal parti, et qu’un élève se plaint d’être dyslexique et qu’on enchaîne les PAI et que ça n’a plus aucun sens.
— Aristide, cesse d’espionner et d’énumérer les raisons de ne pas te mêler à eux, me tance Joanna.
Je cligne des yeux, reviens à mon repas, soupire.
— Je suis en train de me laisser atteindre par leur négativité.
— Ils parlent plus fort que les autres, mais factuellement ils sont une minorité.
Je désire la croire. Nombre de mes collègues ont également le bien-être des élèves à cœur, y compris celles et ceux dont je ne partage pas les points de vue pédagogiques. Je reconnais leur investissement et les respecte, quoi que de loin.
— Fatigué ? me relance mon amie.
— Certainement moins que toi.
Elle vient de reprendre les cours après quatre mois de congé maternité. Sa fille est née prématurément en mai dernier, à sept mois et demi à peine. La petite a bien récupéré dans son premier mois ; il s’agit à présent d’un bébé en pleine forme. Je demeure impressionné par la façon dont les nourrissons sont résilients, dont plus rien ne différencie l’enfant de Joanna à Noa, au même âge. Mon amie fait la moue.
— Elle me manque, c’est affreux. Mais d’un autre côté, je suis ravie de pouvoir sortir de chez moi, d’avoir une conversation qui ne tourne pas autour de millilitres de lait ingéré et de vérification de température dans la chambre.
— N’est-ce pas ? Tu vérifies ton portable chaque intercours, j’imagine.
— Il est toujours allumé et sur vibreur. J’ai installé un mode qui ne laisse filtrer que les appels de la nourrice ou de mon mari mais… oui, je vérifie dès que je le peux.
Je hausse les sourcils, puis me rappelle que je suis face à la collègue ayant fait coder à ses élèves un jeu sur la TI80 au prétexte que celui qu’ils téléchargeaient tous, à savoir Mario Bros, usait prématurément les piles et mangeait toute la mémoire.
—Le premier jour, avec mes premières S, j’ai profité qu’ils récupéraient leurs livres ou qu’ils remplissaient leurs fiches pour sortir mon portable. Je ne sais pas comment faisaient nos parents. Je les ai même libérés en avance. Au final, quand je l’ai récupérée, elle m’a boudée !
— Noa nous a fait la même chose, l’assuré-je.
Autant sa mère que moi avons subi sa rancœur de l’avoir laissée chez une nourrice, quand bien même elle appréciait visiblement les lieux. Elle détournait les yeux, refusait de sourire, voire si on se plaçait face à elle, pivotait entièrement la tête. Nous en rions aujourd’hui, cependant, il y a cinq ans, Solène avait les larmes aux yeux et mon ventre se tordait désagréablement.
— Nous ? relève délicatement ma collègue.
— Solène est ma sœur. J’élève sa fille avec elle, coupé-je court. T’es-tu résignée à rester professeure principael ?
Elle était furieuse, lors de la pré-rentrée, d’avoir été nommée. Notre nouveau proviseur et ses adjoints ont rétorqué qu’elle n’avait pas refusé ce rôle, contrairement à tous les autres ayant été approchés.
Étant en congé maternité, il est évident que Joanna n’a pas refusé : nul n’a pensé à l’inclure dans les conversations. Je lui ai proposé mon appui à maintes reprises, quoi que notre hiérarchie soit déterminée à ne pas perdre la face.
— Je suis en train de m’attacher à eux ; je ne peux pas mettre mes élèves au courant des bisbilles internes.
— En effet.
Je lui suis reconnaissant de n’avoir pas insisté concernant ma vie privée. Joanna est l’une des rares personnes que j’apprécie à ne jamais considérer que, n’étant pas le père de Noa, je n’ai pas subi les premiers mois difficiles où l’être humain devenu parent découvre une fatigue jusqu’alors inconnue ; que je n’aime pas ma nièce aussi profondément qu’eux, chers parents biologiques de familles hétéronormées et fonctionnelles.
Sans compter les insinuations ignobles concernant la nature de mes liens avec Solène.
***
Revigoré du temps passé avec une amie, j’attends mes Terminales Littéraires avec curiosité. Découvrir une classe est toujours fascinant : pour la plupart, je ne les ai jamais eus en cours. Je dois mémoriser leurs prénoms, leurs goûts, leur personnalité. Ceux qui s’asseyent ensemble en début d’année ne sont pas nécessairement les mêmes alliances de fin d’année. Il s’agit de la dernière ligne droite avant les études universitaires ou la vie active ; que vont-ils choisir, comment vont-ils s’épanouir, atteindre l’âge adulte, laisser l’enfance derrière eux ?
Les jeunes gens me saluent joyeusement, s’asseyent en discutant et riant. L’ambiance de la classe me semble intensément joyeuse ; presque de façon inquiétante tant ils sont excités. J’hésite à proposer à Élodie et son AVS de quitter la place devant mon bureau afin qu’elles soient mélangées et non à part. Malheureusement, toutes les tables sont occupées ; j’aurais dû anticiper la semaine dernière.
Une jeune fille au teint mat et aux longs cheveux bruns contemple son cahier d’histoire, timide et un peu en retrait ; je ne me souviens pas encore de son prénom. Je frappe dans mes mains ; Élodie et Cassidy sursautent brutalement, me faisant instantanément regretter ma méthode pour ramener le calme, bien qu’elle fonctionne indéniablement. Tous se tournent vers moi, faussement angéliques.
— On reprend ? proposé-je. À votre avis, où en sont, aujourd’hui, les mémoires de la guerre d’Algérie ?
Le programme m’impose un nombre d’heures limitées consacrées à la première séquence de l’année. Au choix de l’enseignant : Mémoires de la Seconde Guerre Mondiale ou Mémoires de la Guerre d’Algérie. Inutile de se demander pourquoi, aujourd’hui, des jeunes sont embrigadés sur les réseaux sociaux ni pourquoi l’extrême-droite monte aussi haut dans les sondages. La France est malade de sa mémoire, et ce n’est pas les cinq heures vaguement dédiées sur une scolarité complète qui vont changer ce fait.
Viviane lève la main. C’est une élève dynamique, réceptive à mes propositions de débat.
— C’est encore tabou, observe-t-elle. Comme avec la Seconde Guerre Mondiale, c’est plus auprès des petits enfants que les vétérans d’Algérie parleront que de leurs femmes ou leurs enfants.
— C’est vrai, répond Eliott, assis à ses côtés. On ne sait rien de la Guerre d’Algérie, en dehors du fait qu’avant, ça s’appelait les Événements d’Algérie.
— Est-ce que ça constitue une grande avancée dans la Mémoire collective, d’après vous ?
— Non, réplique Eliott du tac au tac.
— C’est simplement pour se donner bonne conscience, ajoute Viviane.
J’apprécie leur dynamisme et leur intérêt. Je leur souris largement, puis balaye la classe du regard afin de vérifier d’autres interventions éventuelles. Ces quelques secondes de latence donnent à Cassidy le courage de se lancer : il/elle lève la main, et regarde fixement le tableau. Je dois lui donner le signal vocal qu’il/elle a la parole.
— Je suis en désaccord, dit l’élève d’un ton monocorde. Le fait de changer de mot indique un changement d’état d’esprit. Les mots sont puissants. Ils ont tous une signification unique. Accepter d’utiliser le terme de guerre signifie reconnaître que c’était autre chose qu’un maintien de l’ordre. Admettre que des actions ont été commises qui n’étaient pas reconnues avant.
L’adolescent(e) s’empêtre dans ses explications ; je reprends la parole lorsque je le/la sens paniquer, espérant empêcher une crise d’angoisse de se déclencher. J’aborde la mémoire personnelle et la mémoire collective, la politique intérieure et extérieure d’un pays, sachant pertinemment que je prends déjà du retard et n’en ayant cure. Il me sera aisément possible de le rattraper plus tard dans l’année.
Je suis curieux de passer plus de temps avec cette classe. Ils bourdonnent de potentiel, se connaissent tous : nous pourrions atteindre un espace d’apprentissage idéal, où ils oublieraient parfois l’échéance du baccalauréat pour se concentrer sur le plaisir de venir en classe et de partager des connaissances.
oh, ce chapitre est très intéressant, c'est super d'avoir accès aux pensées d'un adulte aussi : )
Cet Aristide a tout du prof idéal, en tout cas en cette semaine de rentrée. C'est marrant de voir les élèves à travers ses propres yeux, et surtout ceux que l'on connait déjà, comme de voir Cassidy sursauter au bruit par exemple.
La relation à sa sœur et sa nièce est aussi super intéressante, c'est toujours prenant les personnages qui sortent des sentiers battus. On sent une grande richesse de narration à venir grâce à ce protagoniste.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, je n'ai pas grand chose à y redire ^^
Bravo pour ce point de vue : )
Ton commentaire me fait super plaisir ; je redoutais qu'Aristide ne trouve pas sa place au milieu des élèves !
Je suis impressionné'e par ce que tu arrives à voir en un seul chapitre. La narrative à venir d'Aristide est riche, à m'en surprendre face au petit point éparse qu'il était dans mon esprit au départ.
Merci pour tes retours toujours appréciés et enthousiastes !