La loi de l'attraction

Leandro Gabrielli​​​​​​, 30 ans, Marbella en Espagne. 

 

C'était un soir comme les autres au Legato, bar karaoké où je travaillais depuis quelques mois, jusqu'à ce qu'elle apparaisse dans mon champ de vision. Elle portait une petite robe noire assez moulante qui laissait deviner une silhouette harmonieuse et voluptueuse. Elle semblait perdue, regardant autour d'elle comme si elle découvrait ce genre de lieu pour la première fois.

Lorsqu'elle arriva près du comptoir où elle s'installa, je remarquai qu'elle tirait sur le bord de sa robe, visiblement mal à l'aise avec sa tenue courte; ce qui eut le don de m'arracher un petit sourire amusé. Ses yeux en amande se posèrent sur moi et quelque chose dans son regard me donnait l'impression de l'avoir déjà rencontrée auparavant.

Alors que j'étais en train de réfléchir où j'avais bien pu la croiser, je fus sorti de mes pensées par un client, posté devant moi, qui me demanda une bière. J'exécutai la tâche sans broncher et le servis sans attendre.

Pendant ce bref instant, un homme s'était assis à côté de la jolie brune. Il s'agissait d'un habitué qui, depuis que sa femme l'avait quitté, n'hésitait pas à se jeter sur la première paire de seins qu'il croisait dans le bar. Ses tentatives n'aboutissaient jamais et j'admirais presque sa ténacité. Je m'approchai d'eux et m'adressai à la belle.

— Bonsoir ! Je peux vous servir quelque chose ?

— Ce que vous voulez, pourvu que ce soit fort et que ça ne goûte pas trop l'alcool ! répondit-elle avec un naturel déconcertant.

Deuxième fois qu'elle me faisait sourire en peu de temps, tandis qu'elle semblait essayer d'ignorer en vain l'homme à ses côtés qui la scrutait en mode chasseur.

— Mhh... OK, je vais voir ce que je peux faire ! rétorquai-je avant de m'éloigner pour préparer un cocktail à celle qui ne me laissait pas indifférent.

Elle dégageait une aura naturelle et envoûtante qui me poussait à avoir envie d'en savoir plus sur elle. 

Tandis que je préparais la commande, j'entendis Chris - l'habitué qui était assis à côté - tenter une nouvelle approche maladroite. Je ne laissai pas bien longtemps la damoiselle en détresse et posai le verre d'alcool sur le comptoir devant elle.

— Un empire des sens pour la demoiselle.

— Ce nom promet des merveilles ! Merci beaucoup !

Elle m'offrit un fin sourire reconnaissant et je lui répondis avec un autre avant de m'adresser au dragueur des bacs à sable.

— Et si tu lui montrais ton incroyable talent ?

Je désignai la petite scène où se trouvait le karaoké d'un signe de la tête. Sans un mot, il lança un clin d'oeil à sa proie avant de s'éloigner.

— Mon sauveur ! dit-elle.

Elle soupira, soulagée d'être débarrassée du boulet. Elle me plaisait vraiment beaucoup. Je l'observai un petit instant siroter son cocktail.

— Je dédie cette chanson à la plus belle femme du bar ! C'est pour toi bébé ! hurla Chris dans le micro, désignant du doigt celle qui n'en avait strictement rien à faire de lui.

Le pauvre n'était pas prêt à rencontrer un nouvel amour de si tôt s'il continuait sur cette voie. Bien que, paraît-il, chacun pourrait trouver chaussure à son pied.

Je ne pus m'empêcher de rire tandis que mon regard se portait sur le roi du karaoké. Mais assez rapidement, mes yeux dérapèrent sur celle qui m'attirait de plus en plus. Elle sembla gênée un court instant par le discours de son prétendant avant son chant d'amour puis se mit à rire elle aussi aux éclats. Le pseudo-lover chanta avec entrain dans le but de séduire la femelle, visiblement toujours pas intéressée.

Pendant ce temps, elle commanda un nouveau verre et entre plusieurs services de boissons, nous avons discuté elle et moi de tout et de rien.

Chris finit par abandonner sa proie pour une nouvelle et la soirée suivit son cours. J'appris qu'elle n'était jamais allée dans un bar auparavant, qu'elle avait radicalement changé de vie et qu'elle avait eu un cancer de l'utérus, qui avait fait réapparition depuis peu.

Nous nous étions confiés l'un à l'autre comme si l'on se connaissait depuis des années. Son parcours assez difficile ne m'a en aucun cas refroidi, bien au contraire. J'admirais la femme qu'elle était et ne pouvais que tomber davantage sous son charme.

Mon service touchait peu à peu à sa fin et le bar n'allait pas tarder à fermer. La dernière cliente ne fut autre que celle avec qui j'avais discuté pendant des heures. Elle était légèrement pompette, rien de bien méchant, et ne semblait pas prête à retourner chez elle.

— Je vais devoir fermer le bar. Je pense qu'il est temps de rentrer chez vous. Vous êtes venue en voiture ?

J'étais soucieux de savoir comment elle était arrivée jusqu'ici afin qu'elle ne conduise pas dans cet état partiellement alcoolisé, même si elle n'avait pas bu grand chose. Et quand bien même si elle s'était déplacée à pieds, je ne l'aurais pas laissé retourner toute seule à cette heure.

— Non, à dos de licorne !

Elle se mit à rire à sa propre réponse et je lui souris d'un petit air amusé. Ce ne pouvait pas être les deux maigres cocktails ingurgités qui la rendaient aussi joyeuse. Je ne les avais pas beaucoup corsés. 

— Vous êtes toujours aussi... Enjouée ? 

— Ça dépend. Mais cette nuit est particulièrement belle et je suis en bonne compagnie. Ça fait tellement longtemps que je ne me suis pas sentie aussi vivante ! 

— D'accord. Je vais vous raccompagner chez vous, si ça ne vous dérange pas, lui répondis-je.

Je terminai rapidement tout ce que j'avais à faire avant de pouvoir fermer le bar, puis sortis en compagnie de la demoiselle motivée par sa nuit qu'elle avait l'air d'apprécier. 

— On fait quoi maintenant ? On fait la course ? On va voler des bonbons ? Je ne sais plus où j'ai garé ma licorne !

Elle manqua de trébucher en me questionnant, mais je la rattrapai de justesse.

— Vous allez surtout rentrer et vous reposer. Vous habitez où ? lui dis-je doucement remettant une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille.

— Hummm... Je ne vous le dirai pas ! Allons nous amuser encore un peu, je ne suis pas fatiguée. Vous, oui ? Vous pourriez me montrer où vous vivez. 

— Vous n'y allez pas par quatre chemins, soufflai-je. 

— C'est surtout que j'ai appris à vivre l'instant présent et à apprécier ce que la vie me met d'intéressant sur mon chemin... 

Elle ne voulait visiblement pas coopérer. Je décidai donc de l'inviter chez moi. 

*

Arrivés à destination, je la laissai s'asseoir dans le canapé foncé de mon petit appartement qui était loin d'être bien rangé. Ça faisait un moment que je vivais seul et que les mauvaises habitudes avaient élu domicile dans mon antre.

Elle regarda autour d'elle, avant de poser ses yeux sur moi.

— Voici mon modeste appart. Faites comme chez vous. Je vais me préparer un petit quelque chose à manger. Vous voulez quelque chose ? brisai-je le silence tout en ramassant un pantalon en jean qui traînait sur mon fauteuil.

— Mhhhh... De la glace !

Elle avait placé son index sous ses lèvres bien dessinées, une moue aguicheuse sur son visage hâlé. Je la contemplai un moment, sentant le désir monter doucement en moi. Je m'efforçai de penser à autre chose et acquiesçai d'un signe de la tête avant de disparaître dans la cuisine, faisant un petit détour par ma chambre afin de ranger mon jean.

Je regardai dans mon réfrigérateur s'il me restait de la glace pour assouvir l'envie de mon invité. Il y avait assez de vanille pour nous préparer deux coupes bien remplies. Quelques fraises séjournant encore dans mon frigo, je les ajoutai soigneusement au dessert.

J'amenai notre petit-déjeuner très matinal, improvisé et quelque peu particulier, dans la pièce à vivre. Je m'assis dans le canapé à ses côtés et rapprochai la petite table de nous.

— Miam, ça m'a l'air appétissant ! lança-t-elle en observant sa coupe avec gourmandise.

Elle attrapa la cuillère et savoura la première bouchée. Je la suivis, ravi de voir qu'elle appréciait ce que je lui avais préparé. Elle m'adressa un sourire séduisant avant de s'attaquer à nouveau à la glace et aux fraises.

C'était la première fois que je ressentais autant d'attraction pour quelqu'un. Bien évidemment, j'avais été attiré par plusieurs femmes auparavant, et mes conquêtes était nombreuses; mais aucune ne m'avait autant intrigué et séduit. Être assis à côté d'elle était une véritable torture. Surtout lorsque cette dernière laissa tomber sa cuillère au sol par inadvertance à mes pieds, se rapprocha de moi et se pencha pour la ramasser - me frôlant par la même occasion -.

Lorsqu'elle se redressa, elle m'adressa un « oups » désolé avant de poser l'ustensile sur la table.

— Maladresse est mon second prénom.

Elle me rappela un bref instant que je ne connaissais pas son doux nom. Elle haussa les épaules de manière désinvolte et je n'eus pas le temps de lui demander comment elle s'appelait. Elle prit un peu de glace vanille sur son doigt et le suça lascivement. J'en oubliai instinctivement ma question, combattant difficilement mon envie de poser mes lèvres sur les siennes.

De son côté, elle ne semblait pas non plus indifférente à mon charme et elle ne s'en cacha pas le moins du monde. Son regard et sa façon de se comporter me montrait clairement qu'elle n'attendait qu'un seul geste de ma part. Je ne voulais en aucun cas profiter de la situation. Sauf que... ses lèvres douces se posèrent sur les miennes sans que je n'aie le temps de m'en rendre compte.

Un long baiser langoureux s'en suivit et je n'eus plus la force de batailler contre la tentation, bien trop puissante. Mes mains explorèrent ses courbes inlassablement et je profitai avec bonheur de ce moment intime et passionnel. Je l'attrapai par les fesses, ses jambes autour de moi, et l'emmenai jusque mon lit.

Ce n'était plus possible pour moi de réfléchir à quoi que ce soit. Bien que... Je la déposai sur le matelas, restant au-dessus d'elle. Elle plaça ses mains sur ma nuque et m'embrassa passionnément. Je répondis à son baiser avec véhémence, avant de reprendre mes esprits.

— Tu es sûre de vouloir aller plus loin ? On pourrait...

— J'en suis certaine, m'assura-t-elle, son souffle se mêlant au mien. 

Elle me dévora des yeux. J'ouvris le tiroir de ma table de nuit à la recherche d'un préservatif. Rien. J'étais pourtant persuadé d'en avoir laissé là.

Ma partenaire m'attira à nouveau vers elle.

— On s'en fout ! Je suis stérile...

Avais-je bien entendu ? Son naturel et sa spontanéité étaient étonnants. Je vis en elle la femme idéale, ce qui ne m'était encore jamais arrivé. Évidemment, cette pensée était précoce, mais j'avais cessé de réfléchir après son consentement. Je l'observai tendrement avant de répondre par un baiser plein d'ardeur.

Ce n'était pas dans mes habitudes de passer outre la protection, mais cette fois-ci, c'était différent. Elle était différente. Et j'avais perdu toute volonté de résister. Nos cœurs battant la chamade, nos caresses et nos étreintes finirent par engendrer l'inévitable. Nos corps et nos âmes fusionnèrent. Extase suprême. Quel sort cette sirène m'avait-elle donc jeté ?

*

Lorsque je me réveillai, elle dormait encore à mes côtés, le drap recouvrant partiellement son corps nu. Elle semblait tellement paisible qu'un sourire attendri se dessina sur mes lèvres. Elle était merveilleuse.

Je me levai sans bruit afin de ne pas perturber son sommeil. J'enfilai un boxer et sortis de la chambre pour rejoindre la cuisine, faisant un petit détour par la toilette. Je préparai du café. Les images et les sensations de cette nuit me revinrent à l'esprit jusqu'à ce qu'une sonnerie de téléphone portable ne me sorte de mes songes.

Je suivis la mélodie qui me conduisit au sac à main de ma belle invitée. Je ne pus m'empêcher de rire intérieurement en reconnaissant la musique des films Star Wars. Cette femme était décidément pleine de surprises. Je laissai ses affaires là et retournai dans la chambre. Ce coup de fil ne m'était pas destiné.

Lorsque je m'approchai du lit, je remarquai qu'elle commençait à gesticuler. Je m'assis à ses côtés et glissai une main dans ses cheveux, remettant en place quelques mèches rebelles. Elle sourit légèrement avant d'ouvrir les paupières en douceur et de m'assaillir de paroles et interrogations :

— Ce n'était donc pas un rêve ? J'ai passé la nuit avec un bel inconnu ? Est-ce que ça fait de moi une traînée ? Je ...

Je l'interrompis en l'embrassant suavement. Je me redressai et désignai la salle de bain d'un geste de la main.

— Si tu veux te débarbouiller, c'est par là. Je serai dans la cuisine. Et cette nuit était merveilleuse.

— Elle l'était pour moi aussi, me répondit-elle doucement. 

Je lui adressai un sourire avant de disparaître, lui rendant un peu d'intimité.

Lorsqu'elle me rejoignit, elle portait à nouveau sa petite robe noire. Elle semblait un peu mal à l'aise jusqu'à ce que je brise le silence :

— Fan de Star Wars ?

Elle me regarda avec de grands yeux étonnés tout en s'installant à la table.

— Euh... oui, me répondît-elle, interloquée.

Je déposai le plateau avec le café, le sucre et le lait devant elle.

— Ton téléphone a sonné tout à l'heure.

Elle comprit instantanément et haussa les épaules d'un air amusé. Elle ajouta du lait et du sucre dans sa tasse avant d'en boire une gorgée. Elle m'observa un moment, silencieuse, son regard s'arrêtant sur les cicatrices recouvrant mon abdomen.

Elle savait pour ma maladie de Crohn et mes opérations. Nous en avions parlé au bar, nous confiant mutuellement sur nos histoires respectives. J'avais remarqué, plus tôt, une cicatrice sur son bas ventre à elle aussi, mais à côté des miennes, ce n'était rien du tout.

— Souvenirs de guerre, lançai-je en désignant mon abdomen du doigt.

Elle me sourit avant de boire à nouveau une gorgée de sa boisson chaude.

— Les guerriers sont plutôt attirants...

Sa voix était si harmonieuse et douce. Et voilà qu'elle me faisait fondre. Encore. Je voulais la revoir, je souhaitais qu'elle fasse partie de ma vie. Je m'apprêtais à lui demander son prénom, et où je pouvais la joindre, quand soudain son téléphone portable se mit à nouveau à sonner.

— Ton sac est dans le salon. C'est peut-être important. 

Elle acquiesça d'un signe de la tête et se dirigea vers son sac dans la pièce d'à côté. Je restai dans la cuisine alors qu'elle décrochait son téléphone. Je n'entendis pas la conversation et après quelques minutes, elle revint vers moi, une mine déconfite dessinée sur son visage. Je compris tout de suite que quelque chose n'allait pas.

— Je suis désolée, mais il faut que j'y aille, m'annonça-t-elle avant de poser un doux baiser sur ma joue, son sac déjà sur son épaule.

Je la rattrapai par la main alors qu'elle était sur le point de s'éclipser et l'attirai contre moi. Elle leva les yeux vers les miens et je brisai le silence.

— Je sais... Tu dois y aller. On se revoit bientôt ? 

Elle me répondit par un fin sourire qui me sembla triste avant de disparaître sans un mot.

Je lui aurais bien proposé de l'accompagner, mais j'eus l'impression que ce n'était pas une très bonne idée. J'espérais sincèrement la revoir, mais je n'avais ni son nom, ni son numéro de téléphone, ni même une adresse. Je devais compter uniquement sur elle.

 

Reviendrait-elle au bar ou ici pour me retrouver ou n'étais-je qu'un simple moment de distraction ? Durant un bref instant, je constatai à quel point j'avais été le pire des connards - n'ayons pas peur des mots - en brisant le cœur de certaines filles. Elle n'était pas comme les autres et, étrangement, j'avais l'impression de la connaître depuis toujours.

 

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