L’éclair rouge l’atteint en pleine poitrine, et Sirius grimace, portant sa main au devant de lui, serrant les dents quand, en prenant une respiration, il sent ses côtes et son sternum craquer. Ce sortilège aurait dû l’envoyer valser, mais il est parvenu à rester les deux pieds au sol. Sirius lance un regard à Harry, et c’est comme si le temps ralentissait. Il reprend une inspiration plus profonde, sourd au rire hystérique de Bellatrix et se sent partir en arrière, vers les voix, et le Voile s’écarte pour l’accueillir, comme un linceul qui se refermerait sur lui. Et il est bien trop mal en point pour résister, alors, il se laisse aller. Juste pour quelques secondes.
Juste quelques secondes.
Sirius ne sait combien de temps le Voile l’a retenu. Il était bien, en apesanteur, insensible à la douleur fulgurante qui l’a saisi quand il a reçu le sortilège de sa cousine en pleine poitrine. Un sort inconnu, certainement concocté par Bellatrix. Quelque chose qui ne tue pas tout de suite, sûrement.
Sirius se sent flotter, puis tomber, et quand il rencontre le sol dur sous lui, il exhale un soupir douloureux. Il a l’impression que sa cage thoracique a été broyée dans un poing géant. Il a senti ses côtes et son sternum craquer il y a quelques secondes, ou était-ce quelques heures ?
Il essaie de reprendre sa respiration, mais il n’y arrive pas, et s’agite faiblement, se mettant à tousser, tousser, et tousser encore. Il se retourne, se met à quatre pattes, éructant du sang et des glaires, vomissant une gelée rougeâtre dont il discerne à peine la couleur dans les ténèbres ambiantes, même si elles sont parcourues d’éclairs qui viennent les déchirer.
Il faut qu’il inspire. Il a la sensation d’asphyxier.
Quand il a vidé ses poumons, il prend une grande inspiration qui le lacère à l’intérieur, tire sur ses côtes et son sternum fêlés ou brisés, ce qui le fait de nouveau vomir tripes, boyaux, et une sorte d’écume qui ne lui dit rien de bon. Il s’essuie la bouche de sa manche, avant de reposer sa main sur le sol, cherchant à se stabiliser, épuisé par ce qu’il vient de vivre. Il ramasse ses jambes sous lui, s’assoit et redresse la tête pour regarder autour de lui, sa respiration curieusement sifflante.
Et Sirius cligne plusieurs fois des yeux parce qu’il n’est pas où il devrait être. Il n’est plus dans la Salle de la Mort, au Département des Mystères. Il ne sait pas où il est, mais l’église qui le surplombe est en ruines, et tout autour, ce n’est que ténèbres, traversées par quelques éclairs.
Le premier cri que Sirius entend lui fait fermer ses doigts autour de sa baguette. Il ne fait pas froid ici, pourtant il jurerait avoir vu l’ombre menaçante d’un Détraqueur.
- Non, non, non, non, non, non, non…
Sirius promène son regard autour de lui. Tout est plongé dans le noir, il ne voit pas à un mètre. Il se redresse, prenant appui sur un autel dont la blancheur étrange lui rappelle celle des squelettes. Il se lève, plissant les yeux, regardant autour de lui, essayant de voir à travers la toiture crevée et menaçant de s’écrouler, à travers les murs peinant à tenir la charpente. Il faut sortir de là, sinon, le bâtiment risque de s’effondrer.
Un autre cri, et un autre encore, pourtant, les Détraqueurs sont silencieux comme la mort… Ce ne sont pas des cris humains, cela ressemble à ceux d’immenses oiseaux de proie. Un frisson court le long de son échine, et quand il entend le battement d’ailes immenses, Sirius devient Patmol, et malgré la douleur en étau qui compresse sa poitrine, il détale à travers les portes de l’église, et s’enfonce dans les ténèbres qui l’engloutissent.
Cavalant à travers la nuit noire, l’atmosphère épaisse, chargée d’ombres qui semblent se jouer de lui, Patmol gémit quand il voit ces espèces d’immenses chauve-souris aux bras et aux ailes gigantesques, et aux mâchoires bien trop garnies de dents. L’idée qu’il aurait peut-être dû se cacher effleure son esprit de chien, mais, poussé par l’adrénaline et le besoin de savoir ce que devient Harry, s’il est encore en danger, ainsi que ses amis, il court comme s’il avait la mort aux trousses. Et c’est sans doute vrai, aussi zigzague-t-il pour échapper aux serres acérées qui menacent de l’attraper.
Mais foi de Patmol, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour sortir de là et retrouver Harry.
Il court dans une ville en ruines, noyée de ténèbres si épaisses qu’il pourrait les toucher, et pourtant il les traverse, file comme le vent, essayant habilement d’éviter les serres qui le menacent, et les monstres de plus en plus nombreux qui s’acharnent à le poursuivre. Aveugles, serres et crocs, ailes immenses, et ces cris aigus et sauvages. Ce ne sont pas des Détraqueurs.
Sirius ne sait foutrement pas où il est, mais s’il savait que le Département des Mystères enfermait de telles horreurs, pires que tout ce qu’il a connu à Square Grimmaurd, alors il comprend le secret qui lie les Langues-de-Plomb…
Une douce lueur bleutée vient déchirer les ténèbres environnantes, loin, très loin, sur sa gauche, et Patmol ne discerne aucun monstre ailé par là-bas. L’instinct de Patmol le pousse à foncer jusqu’à cette clarté fragile. Même si les monstres sont de plus en plus nombreux à le suivre, nuée sombre d’ailes déchirées, de cris et de crocs, il fonce vers cette faible lumière.
L’espoir vient affleurer à sa conscience alors qu’il détale, ventre à terre, mais une de ces bestioles plus entreprenantes que les autres parvient à planter ses serres dans sa peau, déchirant ses muscles, frottant ses côtes, et Patmol se sent décoller. Il piaille de douleur, redevient Sirius qui, baguette en main, envoie un Reducto bien senti par-dessus son épaule, et soudain la prise se relâche, et il tombe de plusieurs mètres, se mordant la langue, sa main libre tenant ses côtes.
Sirius reste quelques secondes immobile.
Juste quelques secondes.
Le temps de reprendre son souffle. Et, relevant la tête, il se sent pâlir en observant ces oiseaux immenses en une volée infernale, planer au-dessus de lui, cris, serres et crocs, comme des charognards attendant de se nourrir. Portant sa main à son visage, il sent l’odeur métallique du sang et pense qu’elles viennent pour la curée.
Mais elles ne l’auront pas.
Il se relève, il ne sait comment, malgré la douleur qui déchire son thorax, malgré sa respiration sifflante et sa chemise poisseuse de sang qui s’écoule de ses côtes jusqu’à son pantalon, et malgré l’écume métallique qui se forme à chaque fois qu’il expire.
Sachant qu’il ne pourrait prononcer le moindre mot sans se mettre à tousser, Sirius lève sa baguette et lance son patronus qui, faible serpentin lumineux, s’échappe de sa baguette comme une de ces blagues foireuses des jumeaux Weasley. Il repense alors à Harry, aux amis de son filleul, à Remus, à James, à Lily, convoquant les souvenirs de jours heureux qui feraient pâlir de honte les jours qu’il vient de passer qui n’en sont que des ersatz. Et il lance de nouveau son patronus, et son chien, son Patmol de fumée et de lumière jaillit à toute vitesse et va, comme avec les Détraqueurs, à la poursuite de ces bestioles démoniaques, jappant d’une voix silencieuse, montrant les crocs, le protégeant. Loyal parmi les loyaux.
Sirius se remet alors à courir, lançant des sortilèges d’entraves, sortilèges de réduction, sortilèges explosifs, tout ce qu’il a de plus offensif pour repousser, si ce n’est détruire, la nuée qui s’est concentrée sur lui, car la lumière, là-bas, ne montre toujours aucun lourd battement d’ailes, et il est si proche…
Quand il se rend compte que la nuée s’est un peu clairsemée, Sirius lance un dernier patronus, soulagé de voir les créatures s’éloigner, et redevient Patmol qui a toujours couru bien plus vite que lui. Avec l’énergie du désespoir, il fonce à travers les ténèbres, le corps broyé dans un étau de douleur. La lumière révèle la silhouette d’une sorte de bateau glissant sur le sable et des cris, humains, cette fois-ci, se font entendre. Les cris d’une femme, longs, pleins de douleur et de rage.
Sirius souhaite secrètement qu’elle ne s’arrête jamais de crier, le guidant sans qu’elle le sache, vers la liberté et la sécurité. Du moins il l’espère.
Mais les battements d’ailes, dans cet environnement de ténèbres épaisses et de silence lourd, résonnent bien trop près de Patmol qui redevient Sirius, jette un œil au-dessus de son épaule, et lance des sorts à l’aveugle derrière lui, avant d’achever par un autre patronus qui, même s’il ne détruit pas ces créatures, a au moins le mérite de les affoler et les disperser.
Sirius voit le bateau glisser sur le sable et quitter les ténèbres qui se déchiquètent en lambeaux brumeux. Le cri d’une créature plus proche que les autres lui fait dresser les petits cheveux sur la nuque. Il lance une dernière fois son patronus, hurlant le sort d’une voix qui lui déchire l’intérieur. Et alors que son double lumineux, son loyal Patmol, vole d’une créature à l’autre, jappant en silence à quelques pouces des gueules grimaçantes, cherchant à mordre de ses crocs de fumée les ailes griffues, les pattes crochues, brillant d’une lueur aveuglante tant les ténèbres sont sombres et épaisses, Sirius court les derniers mètres, complètement en nage, atteignant presque le point de rupture de l’épuisement et de la douleur, et quand il sort enfin de ce lieu de cauchemar, qui, s’il avait eu le temps de le réfléchir, lui ferait indéniablement penser à un des cercles de l’Enfer, ou un au-delà cauchemardesque, il cligne des yeux, aveuglé par la clarté indécente du jour.
La lumière est ce qui repousse les créatures des ténèbres, pense-t-il fugacement, avant de s’écrouler au sol sous le regard stupéfait d’une jeune femme habillée d’une robe bleue, seule passagère de l’esquif des sables qui a vu la lumière s’agiter dans le Fold et l’homme inconnu en sortir.
La mauvaise nouvelle, c’est que le Darkling a étendu le Fold, et que les pertes sont nombreuses. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont un autre Invocateur de Soleil. Zoya Nazyalenski sort de son état de stupéfaction et saute du frêle esquif, courant sur le sable qui fait voleter de la poussière à chacun de ses pas.
Elle réagit rapidement, repoussant les vagues de la douleur d’avoir perdu sa tante et la fille adoptive de celle-ci, et d’avoir été trahie, de toutes les façons possibles, par le général Kirigan, et se précipite sur l’homme allongé au sol, le visage dans le sable qui se poisse de sang. D’une main ferme, elle le retourne, vacille un instant en reconnaissant dans ce visage mangé par une barbe et barbouillé d’écume, quelques traits du général, avant de se rendre compte que ce n’est pas lui, que celui-ci a bien une dizaine d’années de plus, qu’il ne porte pas la kefta noire. Ses vêtements ne ressemblent en rien à ce qu’elle connaît, et dans son poing fermé, il tient une baguette de bois noire.
L’homme exhale un grognement de douleur, et des bulles rougeâtres apparaissent à la commissure de ses lèvres.
- Piotr !
Il ne faut que l’appel de son nom pour que l’homme portant la kefta rouge des Soigneurs saute à son tour de la terrasse d’une des dernières maisons encore debout, d’où il a regardé Zoya partir, inquiet, et revenir, stupéfait aussi par la lumière dans le Fold. Il s’agenouille près de Zoya qui se pousse pour lui laisser de la place. Le laissant officier, alors qu’il grimace devant les dégâts qu’il sent chez l’inconnu, Zoya tourne la tête vers l’esquif, vide de passagers, les voiles déchirées par le voyage qui a coûté la vie à tant de personnes.
Elle se promet de respecter le désir d’Alina et de Mal de partir dans la clandestinité, et celui des Crows de retourner à Ketterdam, mais cet invocateur de lumière là, elle va le ramener au Little Palace, quand elle aura compris qui il est.
Piotr est en train de sauver sa vie, il leur devra bien ça, qui qu’il soit.