La nuit en reine

Par Lyrou

Les vagues s’écrasaient une par une, inlassablement, sans faiblir, sur les falaises qui s’étendaient le long de la côte. De là où elle était elle voyait l’écume flotter, dans l’air sombre vespéral d’un jour qui ne finissait pas de s’évanouir, puis retomber en neige légère dans les flots tourbillonnants. Elle sentait le sel dans l’air, l’orage peser sur l’horizon, le vent agiter sa jupe, les gouttes de la mer venir caresser ses bras.

Le chemin qui menait au phare était chaque minute plus englouti, et elle sentait en avançant le goudron disparaître puis réapparaître sous les vagues qui venaient lécher jusque le haut de ses mollets. Quand elle arriva à la grande porte, la nuit vint proclamer son règne et il fit de plus en plus sombre. Son ombre glissa sur le plancher du phare tandis que le bois grinçait sous ses pieds humides et que les gouttes qu’elle laissait derrière elle faisaient chanter l’écho avec un rythme irrégulier. Plic, ploc, plic, ploc. Puis ses pas dans l’escalier, plus de grincements encore, la plainte des gonds d’une autre porte, et enfin le vent hurlant qui s’engouffrait dans la structure en pierres.

Elle referma la porte, et la voilà dehors, à l’étage, malmenée par des tourbillons d’air et de mer, dos à la lumière automatisée qui tournait telle une danseuse de ballet et éclairait les côtes de son faisceaux virevoltant. Tic, tic, tic, font les gouttes qui parfois, emportées par l’élan des vagues s’écrasant contre le phare, retombaient sans panache sur le plancher de la ronde.

Il faisait nuit, et le phare était une luciole dans l’obscurité, une étincelle de braise, une étoile dans le vide du cosmos. Il était un morceau de visible dans l’ombre infinie qui s’étendait sur la côte, c’était son travail, sans aucun doute, mais elle l’éteignit. Elle ne le devrait pas mais elle l’éteignit. Alors la nuit dévora tout. Elle entendit un cri de mouette non loin, un oiseau attiré par les feux du phare, qui avait dû changer sa trajectoire au dernier moment. Alors elle souffla et elle ria, et elle rendit son cri à l’oiseau, part petite mouette part loin d’ici, car elle savais que le jour suivant quelqu’un allait relancer le phare. Quelqu’un allait allumer l’ampoule immense, morceau de visible dans la nuit, et les oiseau viendraient, et les oiseaux s’y écraseraient pour y mourir comme un moucheron s’approche un peu trop des lampes d’une terrasse. Mais pas ce soir, pensa-t-elle, pas ce soir. Ce soir la nuit était reine, et c’était sans doute mieux comme ça.

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Liné
Posté le 10/09/2020
Oh, j'avais pas vu qu'il me restait une nouvelle non lue !

J'ai beaucoup aimé le jeu sur l'incorporalité de "elle" : j'ai cru qu'"elle" était la nuit, mais certaines phrases m'éloignaient de cette hypothèse, et du coup j'ai opté pour les deux : "elle" est à la fois la nuit et autre chose que la nuit.
(Oui, c'est plus clair dans ma tête que dans mes explications)

A bientôt !
Lyrou
Posté le 18/09/2020
Oh wow ok alors, pour tout t'avouer, tu m'as donné un 2e sens de lecture que je n'avais même pas en tête en l'écrivant ni en le corrigeant, mais en le relisant avec "elle" étant la nuit aussi ça marche super bien?? Je ne sais pas si c'était inconscient ou juste absent comme angle du coup mais merci j'aime encore mieux cette nouvelle maintenant avec cette approche-ci du elle flou.
à tutti!
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